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La télé française en déclin au Maghreb

Depuis le 11 septembre, Marocains, Algériens et Tunisiens plébiscitent les chaînes arabes.

Le 11 septembre aura fait une victime supplémentaire : les chaînes de télé françaises qui sont en perte de vitesse dans les trois pays du Maghreb, Maroc, Algérie, Tunisie. Selon le bureau d'étude spécialisé Sigma Conseil, «il y a dans ces pays une préférence accrue pour les programmes venant du Proche et du Moyen-Orient, plus accessibles et plus en phase culturellement». «Chaque année, la part d'audience des chaînes françaises diminue. Lorsqu'on zappe [d'une chaîne française à une TV locale ou arabe], on ne revient plus», explique Hassen Zargouni, le président de Sigma Conseil.

Ainsi, au Maghreb, les chaînes nationales de chacun des pays sont en tête avec 42 % d'audience, suivies des télévisions arabes comme Al-Jezira (28 %) et des chaînes françaises (26 %). C'est en Tunisie que les chaînes arabes font la plus forte audience (56 %) et en Algérie que les françaises réussissent le mieux (47 %). La résistance des chaînes nationales s'explique aisément. En effet, si les paraboles sont monnaie courante dans les grandes agglomérations, ce n'est pas le cas dans les petites villes où tous n'ont pas les moyens d'en installer. De plus, «nous sommes nombreux à faire l'effort de regarder les informations de la télévision nationale pour nous faire une idée de la manière dont on nous conditionne, dont on nous manipule et dont on nous ment», raconte un étudiant tunisien. «Je l'impose à mes filles car je ne veux pas qu'elles oublient où elles sont. Mais pour le reste, il est plus intéressant de voir les chaînes arabes», dit la journaliste-écrivaine algérienne Salima Guezali.

Partiales. Cette montée des chaînes arabes et la désaffection pour les françaises ne sont pas un phénomène nouveau. «Les années 90 y ont beaucoup participé, estime Salima Guezali. On croyait que les télés françaises étaient partiales seulement à l'égard des violences qui ont déchiré l'Algérie. Mais avec la guerre du Golfe, on s'est aperçu que le problème se posait avec le monde arabe et musulman en général. Et il y a un moment où on en a marre de se faire malmener, que tout soit la faute de l'islam, que des gens qui ne représentent à peu près rien soient surmédiatisés, comme cela a été le cas lors de la crise en Algérie. C'était terrible : on se disputait les cassettes de la télé anglaise Channel Four pour avoir un autre son de cloche... Quand les chaînes arabes sont apparues, nous avons pu enfin avoir une "couverture" réelle des campagnes électorales : elles invitaient tous les hommes politiques algériens, du pouvoir certes, mais aussi de l'opposition, qui n'avaient pas, ou si peu, accès à la télévision nationale.» Un autre élément, cette fois d'ordre culturel, a joué dans une région où le nu, notamment dans les publicités, peut choquer. «Sur les chaînes arabes, on est sûr de ne pas avoir ce problème», s'amuse Lakhdar.

Mais c'est loin d'être la seule raison du succès de la télévision qatarie Al-Jezira (en tête au Maroc), de MBC (en tête en Algérie) et de Rotana Cinéma, une chaîne sur le cinéma arabe, financée par des investisseurs saoudiens, première en Tunisie. «Avec le 11 septembre, Al-Jezira a tout raflé à cause de l'information permanente et des débats qui donnaient enfin un autre son de cloche que les éternels "experts en islam" tellement prisés par les télés françaises», raconte un universitaire, qui continue cependant à voir ces dernières pour les films, le sport ou des débats politiques, surtout... dans les périodes de campagne électorale en France.

Boycott. Selima Guezali va plus loin : «C'est à partir du 11 septembre que le "nous et les autres" est né. On s'est alors branché sur les télés arabes pour voir de vrais Arabes, de vrais opposants, de vrais islamistes, de vrais hommes du pouvoir et surtout de vrais débats, très contradictoires et qui vont au coeur des problématiques de nos sociétés, de nos problèmes quotidiens. Les télés arabes s'inscrivent, c'est sûr, dans la guerre de l'information, mais pas dans la propagande : on y entend dix fois plus de critiques des gouvernements ou des islamistes.»

Dahman, un militant des droits de l'homme, affirme «boycotter les télés françaises». «Depuis le 11 septembre, je n'arrivais à regarder que les Guignols. Quatre ans après, c'est pareil, toujours la même incapacité d'écouter vraiment l'autre, pas même ceux que vous appelez "les banlieusards" et qui sont pourtant des citoyens français.»

Ce repositionnement culturel vers l'Orient arabe est particulièrement notoire dans les milieux populaires qui enragent devant ce qu'ils estiment être le «deux poids deux mesures» des télés occidentales et françaises, sur l'Irak ou sur la Palestine. Une situation que résume Sigma Conseil : «La langue de Voltaire n'est pas en forme dans le Maghreb.» «La musique est depuis quatre ou cinq ans l'autre vecteur de ce phénomène, notamment par le biais de la télé Rotana», raconte Karim, un jeune Algérien. Signe qui ne trompe pas : les jeunes Maghrébins se sont mis à la musique orientale avec les chanteurs entendus sur télé Rotana, l'Irakien Es-Saher, les Libanais Waël et Kfouri, l'Egyptien Amr Diab.

Source: Libération

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