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Perpignan: «Un meurtre pas du tout significatif»

Jean-Claude Olive, sociologue, revient sur les rapports entre gitans et Maghrébins à Perpignan :

Jean-Claude Olive est maître de conférence en sociologie et anthropologie à l'université de Perpignan. Il analyse les rapports entre les communautés maghrébine et gitane après une semaine de tensions.

A quelle sorte de baril de poudre le meurtre, dimanche, de Mohamed ben Bachir par un groupe de gitans a-t-il mis le feu ?

Ce meurtre est un décrochage violent, et donc inattendu, dans une situation entre communautés qui évolue plutôt positivement ces derniers temps. Le fait est inadmissible mais il n'est surtout pas significatif ni explicatif d'un climat général. Et pour commencer, il n'y a pas deux communautés. Il s'agit de deux groupes sociaux certes distincts mais extraordinairement diversifiés en leur propre sein : des gitans qui sont là depuis six siècles, intégrés jusque dans la mécanique politique de la ville, qui ont pu s'enrichir, d'autres qui viennent d'arriver, d'autres encore qui sont toujours nomades. De même, il faut distinguer les Maghrébins arabophones et berbérophones, ceux qui sont originaires du Maroc et les originaires d'Algérie. Ils ne se ressemblent pas.

Qu'est-ce qui donne donc le sentiment que ce sont deux blocs qui s'affrontent ?

Il n'y a pas affrontement entre deux blocs, j'insiste. Il y aurait plutôt triangulation... C'est une partie à trois qui se déroule : les gitans, les Maghrébins et «nous» qui avons une grosse part de responsabilité : d'abord ce pays a commencé à accueillir ces gitans ici dès 1425. Les Maghrébins y sont arrivés dans les années 60 et 70 parce que nous avons fait appel à eux... Et nous laissons aujourd'hui les enfants de cette immigration au chômage... Nous ne pouvons pas faire comme s'ils étaient là par hasard. Il n'y a même pas de phénomène de ghettoïsation : des gitans habitent dans tous les quartiers de la ville, dans les HLM de la périphérie et même en zone rurale. La population maghrébine a rejoint les gitans les plus déshérités dans le quartier Saint-Jacques, mais beaucoup se sont émancipés depuis. Ils sont de plus en plus de jeunes Maghrébins à réussir leur intégration dans la vie économique et sociale par l'école, puisqu'elle n'est plus possible directement par le travail. Cela passe trop inaperçu. Si l'inspecteur d'académie, le directeur de l'hôpital ou de la Ddass prenaient plus souvent la parole, ils pourraient indiquer que cette intégration se fait de mieux en mieux...

Le quartier Saint-Jacques est caricaturalement fait d'habitations gitanes et de commerces maghrébins. Cela ne crée-t-il tout de même pas quelques tensions ?

Ce n'est en effet qu'une caricature. Il y a à Saint-Jacques une cohabitation structurée. Même les commerces sont disposés pour ne pas se faire de concurrence. Parce qu'il y a des commerces gitans. Et quand ceux-ci ouvrent une boutique de dentelle, le Maghrébin à côté ne vend que du coton. Et le tout se passe sous l'oeil des autorités qui jouent justement la paix. En ne vérifiant pas toujours, par exemple, de quel camion cette marchandise a pu tomber. Ce n'est pas l'idéal, mais le quartier fonctionne. Même si mettre en avant tel ou tel mariage mixte froisserait encore trop de membres des deux communautés. C'est pourquoi il faut que leurs représentants respectifs continuent à faire démonstration de leur commun souci de bien vivre ensemble...

Il semble pourtant que ces représentants soient de moins en mois écoutés de la jeunesse.

Les années 80 ont été celles du désemploi. Les fils et filles d'immigrés n'ont plus pu s'insérer dans la société qui avait accueilli leurs parents. Idem pour les jeunes gitans qui n'ont même plus trouvé à s'employer occasionnellement dans une agriculture à la dérive depuis le VIe Plan. Les parents, les anciens ne faisaient donc plus référence. Cette jeunesse a développé d'autres valeurs. Ensuite, les années 90 ont été en conséquence celles des drogues et du sida. A tort ou à raison, Perpignan s'est vu coller l'image d'une cité où le sida était extrêmement développé. Aucune statistique ne m'a d'ailleurs jamais démontré ça. Mais ce qui est certain, c'est que les ravages sociaux et familiaux du sida ont peut-être fait plus de dégâts dans les quartiers où les familles précaires ne demandaient qu'à être un peu plus déstructurées... Quoiqu'il faille là aussi nuancer : les mères gitanes sont tout de même descendues dans la rue il y a deux ans pour faire la chasse aux dealers. Le tissu social à Saint-Jacques est loin d'être complètement défait.

Hier, le calme semble revenir...

Je ne crois pas que le déploiement actuel de 150 gendarmes mobiles dans le quartier puisse vraiment ramener l'ordre. Il n'y a que la parole insistante des familles, des représentants communautaires, de la municipalité qui puisse aujourd'hui apaiser les esprits. Ce sera très compliqué, très difficile.

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