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Label marocanité : L’envers du décor par Driss Ajbali

Ainsi donc, me voilà, par presse interposée, recommandé à la tête d’une institution marocaine chargée de l’émigration. Excepté la faiblesse de croire qu’il s’agit là de sentiments bienveillants.

Ainsi donc, me voilà, par presse interposée, recommandé à la tête d’une institution marocaine chargée de l’émigration. Excepté la faiblesse de croire qu’il s’agit là de sentiments bienveillants. Excepté le câlin pour mon ego, cela n’exige pas moins, de ma part, une réaction destinée, ne serait-ce qu’à m’affranchir de toute collusion avec cette pétition. Car si la suggestion est quelque peu cavalière, il reste que le problème qu’elle soulève demeure.

Soyons sérieux. Ce qui fait défaut à l’émigration, ce n’est ni un homme providentiel, ni une figure emblématique, encore moins une personnalité symbolique. Ce qui fait défaut au dossier, ce n’est pas le manque d’intérêt, puisque précisément il souffre d’un excès d’intérêt.

L’impuissance, l’infirmité incontournable du dossier, c’est l’absence d’un projet vigoureux, cohérent et global. A qui expliquera-t-on que, sur le plan financier par exemple, un «secteur» qui produit 36 milliards de dirhams de recettes n’est pas un dossier décisif ?
L’émigration pèse aujourd’hui considérablement dans les recettes de l’Etat. Elle constitue, à elle seule, les cinq premiers postes de produits marocains. Elle génère près de 10% du BIP. Le tourisme, lui, atteint à peine 26 milliards. Qui pourrait prétendre que le tourisme n’est pas un dossier stratégique? Et ce n’est là qu’une facette du prisme. A qui exposera-t-on que, sur le plan humain, un dixième de la population marocaine est traité de manière aussi chaotique, décousue et saucissonnée à loisir entre fondations, ministères et banques insatiables. Serait-ce à cause de la dimension exogène du dossier ? Apparence, apparence, quand tu nous tiens ! La figure émigrée est endogène et intrinsèque au paysage marocain. Rare la famille, dans le pays, qui ne soit traversée par (dépendante de) l’histoire de l’émigration d’un proche, de proches. Et ce n’est, là aussi, qu’une facette du prisme.

A qui dira-t-on que, sur le plan de la citoyenneté, l’émigré n’est pas émasculé d’une partie de ses droits marocains ? Que le constitutionnaliste qui occulte, comme anomalie, l’exclusion de 10% de la population de leur citoyenneté, pleine et entière, lève le doigt ! Facette arbitraire du prisme.
A qui faudra-t-il faire entendre, sur le plan sociologique cette fois-ci, que la dynamique de la double nationalité finira par produire la dynamique d’une double allégeance qui, à terme, se déséquilibrera. Et que si le Maroc n’y prend pas garde, cela se fera à ses dépens. Les pays d’accueil ouvrent tous les moules d’intégration possibles afin de répondre aux déceptions des générations d’hier et d’aujourd’hui aspirant à mieux digérer les générations futures. Facette alarmante du prisme.

Qui soignera cette myopie qui nie le décalage entre le traitement vieillot, suranné et désuet d’une gestion archaïque face à une émigration qui foisonne d’acteurs, d’interlocuteurs et d’interfaces qui, à la différence de leurs aïeux, ne cherchent pas la reconnaissance, mais aspirent à la confiance.

Le prisme est loin d’être achevé… Mais en attendant, une pelote complexe ne se déficelle pas à coups de bons sentiments ou de stratagèmes.

Lire l'article initial par Ahmed Ghayet

Driss Ajbali
Source : Aujourd'hui le Maroc

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