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Des "enfants de colonisés" revendiquent leur histoire

Se proclamant " indigènes de la République", ils réclament des "assises de l'anticolonialisme"

Les banlieues comme nouvelles terres d'humiliation coloniale ; les enfants d'immigrés comme "indigènes" du XXIe siècle ; les discriminations comme manifestations de l'incapacité de la République à dépasser une face sombre de son histoire mêlant traite des Noirs et colonisation.

Saisissante, provocante, la vision s'affiche dans un appel diffusé depuis la mi-janvier sur Internet et signé en ligne, selon ses initiateurs, par plus d'un millier de personnes, où se mêlent militants de gauche, d'extrême gauche et musulmans. L'humoriste Dieudonné n'est pas signataire de ce texte. Mais sa dénonciation récurrente de l'amnésie française sur l'esclavage s'inscrit dans un mouvement de revendication mémorielle, voire de réparation, qui prend de l'ampleur parmi les "minorités visibles", maghrébine et noire, et plus largement chez les militants mobilisés contre les discriminations.

"Nous sommes les indigènes de la République !", proclame cet appel qui prétend parler au nom des "descendants d'esclaves et de déportés africains, filles et fils de colonisés et d'immigrés" et "militantes et militants engagé(e)s dans les luttes contre l'oppression et les discriminations produites par la République postcoloniale".

A leurs yeux, les symptômes de la survivance du colonialisme sont légion : relégation des populations des banlieues "aux marges de la société", discriminations visant "les personnes issues des colonies, anciennes ou actuelles, et de l'immigration postcoloniale", cantonnement des élus issus de ces populations au rôle de ""beur" ou de "black" de service"... Pour les signataires, la gestion de l'islam par le ministère de l'intérieur, la "loi anti-foulard", le "parcage des harkis" et même la situation des immigrés "dans le contexte du néolibéralisme" et des sans-papiers, sont autant de signes marquant la perpétuation de l'esprit colonial.

Elargissant leur propos, les signataires estiment que "la gangrène coloniale s'empare des esprits". Ils accusent ainsi "une frange active du monde intellectuel, politique et médiatique français" de "tourner le dos aux combats progressistes dont elle se prévaut" pour se transformer "en agent de la "pensée" bushienne" et désigner les populations d'origine "africaine, maghrébine ou musulmane" comme "la cinquième colonne d'une nouvelle barbarie qui menacerait l'Occident et ses "valeurs"".

S'affichant "héritiers" de "grands-parents (...) mis en esclavage, colonisés" mais aussi des Français ayant résisté au nazisme et au colonialisme, ils veulent "décoloniser la République". Dans ce but, ils appellent à des "assises de l'anticolonialisme", le 16 avril à l'université de Saint-Denis et à une "marche des indigènes de la République", le 8 mai, anniversaire de la victoire sur le nazisme mais aussi de la répression des émeutes de Sétif en Algérie, en 1945.

Les promoteurs de l'appel se situent essentiellement au sein des courants qui avaient mené la lutte contre la loi interdisant les signes religieux à l'école. Laïques et proches des altermondialistes comme le collectif "Les mots sont importants", musulmans comme le site oumma.com, qui diffuse le texte, ou le Collectif des musulmans de France, proche du prédicateur suisse Tariq Ramadan, que l'on retrouve parmi les signataires.

MOUVANCE

Cette mouvance, en quête d'un rebond politique, a reçu le renfort d'intellectuels comme le sociologue Saïd Bouamama et d'universitaires comme Vincent Geisser ou Nacira Guénif, aux côtés d'élus et responsables de gauche n'engageant pas leur organisation, comme Clémentine Autain, adjointe (app. PCF) au maire de Paris, la sénatrice Alima Boumediene-Thiery (Verts), Gilles Manceron, membre du bureau national de la Ligue des droits de l'homme, ainsi que de militants d'Attac, de la Ligue communiste révolutionnaire et du MRAP.

Plus encombrante est apparue la signature de Ginette Skandrani, militante propalestinienne négationniste, ancienne dirigeante des Verts. Son paraphe a été retiré de la liste qui figure sur Internet. "On ne veut pas de ces gens-là, affirme Houria Bouteldja, l'une des initiatrices de l'appel. Les esprits sont si embrouillés qu'il est difficile de prévenir les débordements. Cette confusion est le résultat de vingt ans d'absence d'offre politique dans les quartiers. Il faut sortir de l'impasse communautariste vers laquelle on nous pousse et revenir sur le terrain politique en posant la question qui nous rassemble : la persistance de la gestion coloniale."

L'appel des "indigènes" n'a pas tardé à susciter des réactions qui traduisent la diversité des sensibilités, au sein même des "descendants de colonisés". Raillant la naissance d'" une nouvelle identité, le conglomérat des immigrés de père en fils", la sociologue Leïla Babès s'inquiète de ce que ce texte "confus" fait passer les "Maghrébins laïques" pour des "collaborateurs" de la République néocoloniale", des "Arabes de service", et des "sionistes". De son côté, le site Primo-Europe, spécialisé dans la dénonciation de l'antisémitisme, pointe le recours à la "culpabilisation" par "les islamogauchistes", qui fait de chaque Français "un colon même chez lui".

L'appel des "indigènes de la République" reflète en tout cas le débat sur l'amnésie française face à son passé colonial et sa transmission pour la construction d'une histoire partagée par toutes les composantes de la population française.

Phhilippe Bernard

Source: Le Monde

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