Menu

France : Diploma non grata

Dans les hôpitaux français, quelque 500 Marocains vivent la galère des médecins à diplôme étranger, exploités pour maintenir le système à flot.

"Allez en banlieue parisienne, une nuit, aux urgences. Tous les noms y sont étrangers". 3.000 médecins formés hors Union européenne font tourner la machine de santé française, frappée d’une démographite médicale aiguë. Maghrébins pour un bon tiers, dont plusieurs centaines de Marocains, "la moitié des gardes, ce sont eux. Jusqu’à une quinzaine par mois ou parfois 72 heures d’affilée", détaille le Dr Mohamed Ettahiri, urgentiste marocain et président du Comité des médecins à diplôme étranger. "Faisant fonction d’internes", assistants associés, attachés associés, praticiens assistants contractuels (PAC), Nagib et Nejma collectionnent, comme Mohamed il y a 10 ans, les semi-statuts généreusement distribués par les autorités publiques de l’Hexagone, ayant tous en commun leur précarité.


Cherche médecin à tout faire

Happés par les services les plus en manque - urgences, obstétrique, Samu, anesthésie, pédiatrie, psychiatrie… - ils occupent, à très bon marché, des postes officiellement vacants et peu prisés par les internes. D’après le Dr Ettahiri, "certains hôpitaux sollicitent des boîtes d’intérim", spécialistes ès urgentistes ou pédiatres vacataires. En 1998, Bernard Kouchner, alors secrétaire d’état à la Santé, avait avoué le "caractère ambigu, voire restrictif et humiliant de leur statut" pour une "rétribution accordée souvent du bout des doigts".

"On vient en France pour les moyens, par curiosité médicale", confie Najib Boudelal, R’bati de 29 ans arrivé à Paris il y a 5 ans pour se perfectionner en gynécologie. Après deux échecs – le maximum autorisé – à un ancien concours d’internat, ce médecin désespère d’intégrer un jour le système français. Inscrit à la fac pour habiter en cité universitaire, Najib n’a cessé d’accumuler les gardes d’infirmier, pas seulement pour payer ces années frustrées : "La pire crainte, c’est de laisser dépérir notre savoir-faire. Les gardes, dans n’importe quel service, on prend, c’est tout : j’ai même bossé comme "faisant fonction d’infirmier" !"


Hypocrisie

Parfois indispensables à la survie de telle maternité ou de tel hôpital de proximité, il est clair que sans ces médecins marocains, algériens, croates ou péruviens payés au rabais pour gérer les postes délaissés, la machine de santé serait sévèrement grippée. "D’où le maintien d’un parcours aussi labyrinthique pour accéder à une reconnaissance de nos compétences, alors qu’on fait les gestes de santé au quotidien, se souvient cette cardiologue arrivée en 1989 et qui a attendu 10 ans avant de faire partie de l’Ordre des médecins. à l’oral, ils ont décidé de ne me poser que des question de pédiatrie… et même après mon succès, j’ai dû attendre 4 ans pour des histoires de dossier à refaire, de "manque de poste"… Pendant ce temps, je contribuais à l’équilibre budgétaire de la Santé publique. Fixer des règles d’équivalence, c’est normal. Mais le double discours, non".

Aujourd’hui, les hôpitaux continuent de recruter officieusement. "Ils sont même déclarés et ont une fiche de (maigre) salaire", assure Mohamed Ettahiri : leur discrimination est entérinée par les hiérarchies hospitalières. Qui s’exposent, paradoxalement, aux retombées judiciaires au cas où survient un problème sous la responsabilité d’un médecin ainsi employé.

"Il n’y a pas encore eu d’affaire de ce genre : quand on travaille dans la peur, on redouble d’efficience. Mais le jour où ça arrivera, ça fera la Une des journaux" ironise le médecin militant. Le climat de méfiance est un postulat de base à combattre : "En pâtissent les relations avec les infirmiers et aides-soignants qui voient tout ça d’un mauvais œil, car dans les faits, on est leurs supérieurs. Parfois chez les patients, le masque tombe et la défiance se lit sur leur visage". D’où, entre autres, le nom de Metek, ce collectif des "Médecins à titre extracommunautaire" figurant parmi les défenseurs de ces "sans grades" de la santé.

Même une fois régularisés, les médecins marocains désireux à l’origine de s’installer dans le privé ne quittent pas les hôpitaux. "Quand on s’appelle Mohamed, difficile d’ouvrir un cabinet à côté de Bernard…", rappelle le Dr Ettahiri, qui a longtemps essuyé les galères du médecin marocain dans la dizaine d’hôpitaux de toutes provinces fréquentés en tant que vacataire. à attendre des années durant quelque déverrouillage du système, nombre de ces médecins obtiennent la nationalité française, sans que celle-ci ne change rien à leur cas.

Si le statut de PAC (Praticien adjoint contractuel) constitue une amélioration officielle depuis 1999, ayant octroyé aux trois quarts des médecins "clandestins" une ébauche de régularisation, des insuffisances persistent : "C’est un défi d’attester de 3 ans d’exercice continu comme le prévoit la loi pour "valider" ce diplôme, quand on a enchaîné les contrats de 6 mois parfois non renouvelés de suite", martèle Nejma, 35 ans. Après avoir travaillé comme aide soignante et multiplié pendant 6 ans les vacations aux urgences dans le nord de la France, cette pédiatre marrakchie venue renforcer sa spécialité fait partie des quelque 5.000 reçus à cette nouvelle "passerelle" vers une hypothétique intégration. "Et tant qu’on n’est pas titularisé, on continue de gagner moitié moins que la normale…". "Tout en sachant que quand on n’aura plus besoin de nous : dehors", résume Mohamed, qui, lui, a pourtant fini par gagner sa place parmi les praticiens reconnus. Aujourd’hui, entre deux plages de bénévolat dans des urgences parisiennes, Nagib prend des cours… d’allemand. "Si j’échoue au nouveau concours parallèle (qui intégrera un vingtième des candidats potentiels) en mars, je pars en Allemagne. Là-bas, tu es reconnu pour ce que tu es : compétences égales, boulot égal, traitement égal".

"Les cerveaux vont là où les cerveaux sont, là où l’argent est, là où reconnaissance et saine compétition sont assurées", aurait dit un chercheur chinois, cité lors d’une table ronde sur le sujet. Un mirage d’eldorado… au visage de chemin de croix.

Cerise Maréchaud
Source : Tel Quel

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com