Menu

L'UPM ne peut se faire sans la libre circulation des personnes

La circulation des personnes entre les deux rives de la Méditerranée continuera de handicaper tout effort de rapprochement entre les rives Nord et Sud de la Méditerranée, aussi longtemps que les pays du nord persisteront à imposer des restrictions à la liberté de circuler, dans une région dont l'histoire est faite, pendant des siècles, sur les échanges humains.

Certes, l'Europe a ses raisons. Tantôt, il s'agit de craintes d'ordre sécuritaire, tantôt d'emploi et des difficultés de procurer du travail à ces milliers de postulants du sud, qui fuient la misère pour des cieux plus cléments et plus hospitaliers. Mais, en même temps, l'Europe n'adopte pas la même démarche, s'agissant de son flanc Est ou de la rive sud de la Méditerranée. Si elle se montre plus ouverte pour intégrer les pays d'Europe de l'Est, la géographie aidant, elle est plus réticente à l'égard de la rive sud.

La question migratoire est plutôt perçue au Nord comme un problème de sécurité, qui impose une gestion spécifique, d'où cette tendance à vouloir traiter les flux migratoires entre les deux rives de la Méditerranée, au même titre que la lutte contre le crime organisé, le terrorisme, la drogue ou tous les autres trafics illicites.

Le sommet de l'UPM lancé le 13 juillet en grande pompe à Paris, sera-t-il le signal d'une prise de conscience des gouvernements européens de la nécessité de ne plus dissocier les questions de la migration de celles du développement ? "En travaillant au partage du savoir, à la sécurité alimentaire, à l'accès à l'eau, à la gestion en commun des flux migratoires, à la sécurité collective, nous ferons que la Méditerranée cessera un jour d'être un lieu de toutes les tragédies et de tous les périls pour redevenir un creuset des civilisations", estiment ses concepteurs.

D'ores et déjà, l'on se félicite que cette initiative "politique et non pas bureaucratique" ait adopté des projets concrets qui vont sceller ce nouveau partenariat où les deux rives envisageraient sereinement un avenir commun.

D'aucuns y voient un projet inscrit dans la durée qui a le mérite d'exister. "C'est une perspective politique, une construction stratégique qui n'a pas vocation pour le moment d'apporter la réponse à toutes les questions".

Cependant, des zones d'ombres restent à éclaircir, tel que le financement du projet ou certains sujets qui fâchent, à savoir le débat sur la politique d'immigration soigneusement évitée ou si peu évoquée.

"L'UPM sera un cadre dans lequel nous allons pouvoir essayer avec les pays de la rive Sud de gérer ensemble les flux migratoires", dira prudemment Henri Guaino, un des concepteurs de l'initiative et conseiller du président Sarkozy.

Pourtant, les écarts de développement Nord/Sud en Méditerranée, les besoins de croissance économique en Europe et la disponibilité du capital humain au sud de la Méditerranée sont une tendance lourde, présente et future dans la mare nostrum. Avec 470 millions d'habitants actuellement et 670 millions à l'horizon 2050, les pays méditerranéens hors UE vont forcément alimenter les flux migratoires dans le sens sud-nord.

"Il y a 14 km de distance au Détroit de Gibraltar, mais il y a le plus fort écart de revenus au monde entre les deux rives. C'est un fossé qui se creuse et qui porte en lui les drames de demain", disait le président français Nicolas Sarkozy en avril dernier à Tunis, deux mois avant le lancement de l'Union pour la Méditerranée (UPM).

Seul un taux de croissance annuel de 7 à 8 pc pourrait réduire cet écart, selon l'IFRI (Institut français des relations internationales).

Construire une union des peuples riverains de la Méditerranée afin qu'ils puissent "assumer leur part de destin commun", tout en voulant faire de l'Europe une forteresse et protéger le "bien-être" des Européens par des mesures de contrôle drastiques est humainement condamnable et politiquement une fuite en avant.

La prospérité et le progrès est un tout indivisible en Méditerranée.

L'invocation du développement ne doit pas servir de paravent à des préoccupations d'ordre uniquement sécuritaire, estiment des observateurs.

A l'évidence, il est indispensable de lutter avec force contre les filières d'immigration clandestine. Mais est-ce, là, la priorité ? Les enjeux en matière de migration sont trop importants pour être réduits aux seules considérations policières.

La richesse au nord de la Méditerranée fait appel à la misère de l'Autre rive, des mirages se dessinent donc à l'horizon méditerranéen et les drames de l'immigration clandestine se multiplient au quotidien, le tragique incident des semaines dernières au large des côtes espagnoles où neuf bébés ont trouvé la mort, le rappellent encore et avec force.

Drame humanitaire qui requiert un traitement humanitaire et des politiques socio-économique audacieuses de co-développement entre le Nord et le sud de la Méditerranée. Si toutes les initiatives de sécurité et de prospérité partagée en Méditerranée n'ont jusqu'à présent pas donné les fruits escomptés, c'est en partie à cause de leur parachutage du Nord soucieux de son opinion publique, vers le Sud.

Elles ont été pensées par le Nord et pour le Nord, sans une implication forte et d'égal à égal des deux rives de la Méditerranée, soulignent des analystes. Un état des faits qui incitent à la réserve en ce qui concerne l'UPM, qui risque d'être confrontée aux mêmes écueils que le processus de Barcelone lancé en 1995, actuellement en panne, d'une part en raison du conflit israélo-arabe, mais aussi et surtout, à cause du sort réservé aux questions sociale et culturelle.

Comme annoncé et au vu de la situation du partenariat euro-méditerranéen, l'UPM vise à donner un regain de vitalité et de visibilité au processus de Barcelone. Ce projet phare du Président français Nicolas Sarkozy cherche à refonder le partenariat euro-méditerranéen sur de nouvelles bases, avec un partage égal des responsabilités entre les pays du Nord et ceux du Sud et où les deux rives seraient donc "co-propriétaires" du projet.

Le projet de Sarkozy de l'UPM, lancé devant un parterre de plus de quarante chefs d'Etat et de gouvernement, sera-t-il assez imaginatif et innovant afin de sortir des sentiers battus et explorer des voies et moyens originaux pour un traitement privilégié et positif de la complexité de la question de l'immigration et dont les retombées seraient positivement partagées ? Pourtant, il ressort d'un rapport de la Banque Mondiale intitulé "perspectives économiques mondiales en 2006" qu'un accroissement de 3 pc du nombre des migrants (main d’œuvre non qualifiée) dans les pays à revenu élevé d'ici à 2025 pourrait accroître le revenu réel mondial de 0,6 pc, soit 365 milliards de dollars. Mais les gouvernements européens auront-ils suffisamment de courage pour affronter leur opinion publique et adopter des politiques moins restrictives en matière d'immigration peu qualifiée ? Le doute est permis lorsque l'on prend connaissance de la proposition française dans le cadre de sa présidence semestrielle de l'UE placée sous le signe de "l'Europe protection" et qui invite les 27 à prendre des engagements communs pour une "immigration concertée", dans le cadre de son "Pacte européen sur l'immigration et l'asile".

La proposition de la France dénote une approche contradictoire et incite au questionnement quant au caractère innovant de la nouvelle politique en Méditerranée. Le spectre de la fuite des cerveaux se profile menaçant, soulevant ici et là interrogations et protestations.

Derrière cette gestion "concertée" de l'immigration, plane l'ombre de "l'immigration choisie", une approche largement décriée à Rabat en 2006 lors de la conférence Euro-africaine sur l'immigration. "Ce n'est pas une politique d'immigration restrictive, c'est une politique d'immigration maîtrisée", se défend Henri Guaino.

En attendant, cette immigration maîtrisée se décline en France par la proposition du recours aux tests ADN pour le regroupement familial, un projet qui a reçu 56 pc d'opinion favorable. Aux Pays Bas, on invite les étrangers à opter pour une seule nationalité et en Espagne, le gouvernement socialiste gère à sa façon la problématique du chômage en proposant aux immigrés sans travail une aide au retour dans le pays d'origine.

Mais sur les rives de la Méditerranée, les embarcations de fortune continuent de sillonner les eaux avec à bord de pauvres hères à la quête de l'Eldorado européen car si "les richesses ne vont pas aux hommes, alors ce sont les hommes qui iront chercher les richesses", comme le soulignait Alfred Sauvy.

Bouchra Benyoussef
Source : MAP

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com