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Pays-Bas: pourquoi la nationalité marocaine pose problème ?

Les Pays-Bas persistent et signent. Le gouvernement de ce pays, répondant à une requête parlementaire, a de nouveau affirmé que l'interdiction de la double nationalité aux ressortissants marocains était toujours envisageable. Les 227.692 ressortissants marocains établis aux Pays-Bas et disposant d'une double nationalité (chiffre établi en 2006 par le Bureau central néerlandais de la statistique) auront donc à choisir : veulent-ils garder leur nationalité marocaine ou renoncer à la néerlandaise ?

Une politique du fait accompli, après l'échec des «négociations» entre les deux pays que le Maroc n' a pas manqué de dénoncer. S'exprimant au nom du roi, le gouvernement a tenu à exprimer «son vif étonnement» et «son rejet catégorique» de «toute politique, quels qu'en soient les origines, les motivations ou les desseins, qui exigerait des citoyens marocains résidant aux Pays-Bas de renoncer à leur nationalité d'origine». Un communiqué du ministère des Affaires étrangères nous apprend d'ailleurs que, sur instructions royales, Abdelwahed Radi, ministre de la Justice, et Taïeb Fassi Fihri ont reçu, lundi, Sjoerd Leenstra, ambassadeur des Pays-Bas à Rabat, pour lui signifier cette position. La polémique, datant de plusieurs années, reprend ainsi de plus belle. Et les positions des deux pays restent tranchées et totalement divergentes.

Côté Maroc, c'est le principe d'allégeance perpétuelle qui est mis en avant. Le communiqué des Affaires étrangères ne manque d'ailleurs pas de le souligner en parlant de fait de l'allégeance perpétuelle de tous les Marocains à l'égard du roi, commandeur des croyants. Comprendre le caractère sacré de ce lien suppose cependant un retour en arrière. Et pour cause, jusqu'à l'avènement de la colonisation, le concept de nationalité n'existait pas dans le monde musulman. «Vous aviez d'un côté, la terre d'islam et de l'autre, la terre des mécréants. L'appartenance se définissait d'abord par la religion», explique Khalid Berjaoui, chef du département de droit privé à la faculté de droit Souissi-Rabat èt spécialiste, l'un des rares au Maroc, du droit international privé. Ayant accédé à leur indépendance, les pays musulmans étaient obligés d'intégrer la notion de nationalité telle qu'universellement admise, mais ne se sont pas pour autant détachés de ce concept. «D'ailleurs, les constitutions des pays musulmans affirment unanimement que l'islam est la religion d'Etat et instrumentalisent l'islam dans leurs systèmes juridiques», explique l'universitaire. Au Maroc, et au sujet de la nationalité, le concept d'allégeance perpétuelle est érigé non seulement en loi, mais en règle sacrée et inviolable. Si, dans la loi musulmane, toute personne née musulmane meurt en tant que telle, dans notre droit positif, tout Marocain né Marocain va à sa tombe en portant cette nationalité. Et il n'existe dans la pratique aucune marge à la renonciation à cette nationalité, même si la loi prévoit des paramètres pour le faire. Dans les textes, notamment celui de 1958, la perte de la nationalité marocaine d'origine ne peut être autorisée qu'à titre exceptionnel et par décret seulement, en fonction de critères objectifs (mariage, résidence...). Dans les faits, aucune autorisation de renonciation à la nationalité marocaine n'a été accordée depuis l'indépendance. «Il y a eu dans toute l'histoire du Maroc deux exceptions, qui ont porté sur des citoyens de confession juive», précise Berjaoui.

Pour les Pays-Bas, les enjeux sont d'ordre... terrestre. Ils obéissent à des considérations d'abord politiques. «Pour les autorités de ce pays, c'est un moyen de forcer ceux qui veulent y rester à s'intégrer totalement, se diluer dans la société hollandaise. Ceux qui tiennent à leur nationalité d'origine n'ont qu à quitter le pays», dit cet observateur marocain établi aux Pays-Bas. C'est aussi un moyen de s'assurer «l'allégeance» de tous les citoyens, notamment ceux ayant des projets politiques ou qui assument des postes de respons­abilité. «Il faut dire qu'il est difficilement concevable d'accepter un candidat à un poste de parlementaire ou de ministre, sachant qu'il a une nationalité autre que celle du pays qu'il est censé représenter et défendre», ajoute-t-il. Economiquement, le constat est qu'un citoyen a forcément recours aux lois du pays qui lui offre le plus d'avantages, ce qui pose nombre de problèmes. C'est ainsi que quand il s'agit de payer ses impôts ou de bénéficier d'aides sociales, les ressortissants marocains aux Pays-Bas font valoir leur nationalité marocaine. Mais quand il est question d'investir au Maroc, c'est leur statut de Hollandais qu'ils affichent L'objectif des autorités néerlandaises est aussi d'assainir les nombreux problèmes posés par la double nationalité et d'en finir avec le conflit des lois, que ce soit pour les affaires civiles (divorce, héritages) ou pénales. La double nationalité pose également le problème du service militaire (quelle armée doit-on servir lorsqu'on a une double nationalité ?). Socialement, un problème de taille se pose. «Les MRE des Pays-Bas, en majorité rifains et de la région de l'Oriental, se considèrent toujours comme étant, avant tout, des travailleurs marocains dans ce pays ou alors issus de ce modèle d'immigration.. Ils n'ont nullement cette ambition de devenir des Hollandais à part entière», explique notre source aux Pays-Bas. Réconcilier entre les deux positions est un véritable chemin de croix.

Les visites des responsables des deux pays se sont multipliées ces dernières années, mais sans qu'une solution soit amorcée. De l'aveu même des deux gouvernements, aucun accord ne peut être trouvé. On retiendra cependant dans la position marocaine, exprimée dans le communiqué précité, qu'une politique d'intégration réussie et durable «ne passe pas par la contrainte du déracinement et de l'amputation des multiples liens, notamment juridiques et spirituels, que les populations d'origine marocaine souhaitent maintenir avec le royaume du Maroc». Si le discours se veut diplomatique, il en dit cependant long sur l'écart entre les deux positions. La guerre diplomatique ne fait que commencer.

Tarik Qattab
Source: Le Soir Echos

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