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Quand les médias se penchent sur les vieux immigrés

Petits coups de coeur social et effet médiatique : le cas d’école du café Chibani

Le 27 octobre 2001, le quotidien Le Parisien publie un article qui sera suivi moins de 10 jours plus tard par un article du quotidien Libération puis trois semaines plus tard par un autre du mensuel branché Nova Magazine. Ces articles concernent un projet d’ouverture d’un café social à Paris qui serait destiné aux « Chibanis » (les anciens) immigrés maghrébins. Inconnus ou quasiment des médias. Ils seraient à Paris près de 25.000.

Silhouettes discrétes ces anciens travailleurs migrants retraités mais non retournés « au pays », passent leurs journées à marcher dans les rues, s’asseoir dans les squares, dans les salles de café ou sur les bancs des boulevards. Ils tuent le temps entre deux voyages « au pays ». Mal logés beaucoup vivent en foyer, ou bien plus souvent encore dans des chambres de bonne ou des hôtels meublés insalubres et en voie de disparition. Ces oubliés se préparent bien malgré eux à faire une spectaculaire arrivée sur la scène médiatique pour le plus grand profit de l’émotion populaire qui comme chacun sait fait encore la grandeur de notre pays...

En 2001, trois articles viennent donc tirer la premiere salve, d’une soudaine découverte médiatique alors que l’association concernée cherche locaux et financements. Il faudra attendre la fin février 2003 pour que l’annonce de l’ouverture du café « Ayyem Zamen » (Le temps jadis) un association crée en juin 2000, soit annoncée par la presse. Bertrand Delanoé « himself » y aurait attaché beaucoup d’importance. Le Parisien dans une bréve du 26 février 2003 annonce donc l’inauguration de ce « nouveau café social » pour le 6 mars. Le lendemain, dans une bréve encore plus courte le quotidien Métro annonce l’exacte même chose.

Le jour même de l’inauguration en grande pompe, un reportage est diffusé dans le journal du soir de FR3 Ile de France, un autre dans le journal de RFI de 23 heures

Le lendemain de l’inauguration une dépêche de l’AFP d’une page est diffusée a tous les abonnés, la première moitié de l’article raconte la visite du maire et d’un aéropage d’élus et décrit le lieu, le projet, la seconde moitié le contexte issu du recensement de l’INSEE de 1999 comptabilisant à Paris, « 24.600 migrants agés de plus de 60 ans, pour les 2/3 des hommes et pour les 3/4 originaires du Maghreb, dont 82 % vivent seuls ». Le Parisien qui était aussi sur place le jour de l’inauguration consacre un article enthousiaste à la venue du Maire de Paris, illustrant la nécessité du lieu par deux bréves interviews d’habitués de ce café social ouvert depuis janvier, Métro consacre lui aussi un vrai article, le journal de RTL un bref reportage alors que le journal de RFI de 7h30 diffuse une nouvelle version de son reportage de la veille.

L’Humanité Hebdo du 16 mars dans sa rubrique « Acteurs de la Ville » dresse le portrait du porteur de projet et fondateur de l’association. Zurban publiera dans son édition du 2 avril une colonne pour présenter le café.

La seconde salve issue de la communication municipale est presque fini.

Vient le temps des « sujets de fond » ou presque : FR3 Ile de France revient sur le café, le 19 avril dans son magazine, suivis le 2 mai par Télérama qui y consacre une brève.

RFI de nouveau y consacre un reportage au cours d’une semaine spéciale « seniors », il s’agira cette fois du récit de vie de Sadok, ouvrier du batiment tunisien arrivé en France en 1956 et joint par téléphone. En plein été, le 17 juillet, une journaliste de L’Express réalise un reportage sur les « chibanis », le café social bien sur et pour la premiére fois leurs conditions de vie en France sont évoqués assez briévement. La journaliste y parle des maladies professionnelles, du kafakaien montage des dossiers retraite, de l’exploitation qu’ils ont vécus, et des revenus inférieurs à 450 euros que la majorité d’entre eux perçoit mensuellement.

Zurban, hebdo branché courroie de transmission peu regardant de la vie municipale, publie de nouveau une bréve sur le café dans « un dossier » de deux pages baptisé « Entraide : la solidarité au café » de septembre...

Avec un temps de décalage dont son lectorat peu pressé ne lui tiendra pas rigueur Notre Temps publie a son tour un bref reportage reprenant strictement les mêmes éléments que ces collégues prédécesseurs.

Enfin le 22 octobre, un grand reportage est publié dans les Actualité Sociales Hebdomadaires.

Le pari est réussi, médiatisé de façon la plupart du temps superficielle ou anecdotique, ce café qui recevrait une centaine d’usagers quotidiennement mais entre 9 heures et 18 heures, est entré dans le paysage comme une réussite.

Régulièrement le mauvais goût y fait être présentées des expositions dont ces vieux migrants sont eux même l’ objet. Mais peut être plus que dans les médias eux même c’est dans les compte-rendu du conseil municipal du XXéme (un arrondissement dont le maire habite le 16éme et refuse « le desserrement » des foyers de travailleurs migrants surpeuplés) qu’on peut trouver la source de ces perles de mauvaise conscience ou sans sourciller les demandes de subventions se suivent chaque année et passent comme lettre à la poste accompagnées d’interventions émues d’élus trouvant là quelques raisons de croire que Paris est vraiment à gauche.

Au conseil de Paris là encore dans une parfaite méconnaissance de la question des migrants agés, la convention pluri-annuelle qui prévoit un financement de 30.000 euros par an du conseil régional donne lieu à quelques exercices d’émotion.

Un tel unanimisme ne pouvait dès lors qu’entrainer une reconnaissance symbolique qu’au plus haut niveau. Ce projet reçoit donc le label Fraternité, attribué par l’association Grande cause nationale Fraternité domiciliée dans les locaux du journal de l’Action sociale, Bd St Michel.

Un enthousiasme unanime des médias salué d’une multitude d’articles redondants, que n’avait malheureusement pas généré la sortie d’un rapport de l’IGAS sur « les immigrés vieillissants » de Françoise Bas-Theron et Maurice Michel tous deux membres de l’Inspection générale des affaires sociales [1]. Un rapport qui ne fait pourtant que 82 pages, mais il est vrai nécessite plus de temps de lecture tout de même qu’un communiqué de presse de l’Hôtel de Ville ou une dépêche de l’AFP vite ficelée...

Entendons nous bien, la question n’est pas que cette association n’aurait pas dû sortir de l’ombre, non bien sur.

Le premier probléme est que menée comme une opération de marketing, elle vient soudainement remplir, un espace, tout un espace, de façon irrationnelle au détriment d’un réseau seul à même d’accompagner ces quelques 25.000 vieux migrants parisiens auxquels s’ajoutent les dizaines de milliers vivant en banlieue parisienne. Une population que le rapport de l’IGAS recensait au nombre de 690.000 pour toute la France. Second probléme, a lui seul ce café coûte en subventions 90.000 euros par an à l’Etat et 176.900 euros aux autres financeurs, des chiffres qui pour ceux qui connaissent le monde associatif et plus encore du social ne paraitront pas symbolique.

De plus dans l’ensemble des articles publiés, la création de ce café semble être la seule solution possible pour venir en aide a ces Chibanis, « un peu de mémoire, un peu de solidarité mise en oeuvre par des bénévoles, quelques voyages en bateau mouche, du thé à la menthe, deux animateurs et une seule et unique assistance sociale chargée de faire le lien avec les différents acteurs institutionnels ». Enfin pas un mot de la discrimination, des expulsions et projets d’urbanisme qui les renvoient toujours plus loin se faire loger.

Pas un mot non plus de leurs femmes qui une fois leur mari immigré décédé ont toutes les peines du monde à toucher les pensions de reversion et dont certaines viennent alors a Paris ou face à la complexité administrative, c’est en se prostituant qu’elles arrivent à survivre.

La somme des articles publiés en dit en vérité long sur ce qu’il ne faut pas dire : les années non comptabilisés dans le calcul de la retraite car effectuées pour des employeurs qui ne versaient pas les cotisations, les anciens combattants, anciens ouvriers des « trente glorieuses » vivant avec le minimum vieillesse (241,52 euros par mois et par personne au 1er janvier 2004 auxquel s’ajoute l’allocation supplémentaire de 346,22 euros par mois et par personne). Rien non plus sur ceux qui après quelques années dans les mines de charbon de Lorraine étaient raccompagnés au village en ramenant la Silicose et étaient tout aussi vite remplacés par leurs fréres,

Autant de choses jamais effleurées par le fondateur du café qui a tout de même trouvé 34301,02 euros de subventions diverses pour financer une étude de faisabilité, une grande première dans le monde associatif.

Un montage financier ambitieux qui sera suivis de 18293,88 euros pour la préfiguration du café puis 61.000 euros pour subvention d’investissement et 22.900 euros pour le fonctionnement en 2002 versés par la Ville de Paris. Suivront 83.900 euros toujours pour des travaux. Un afflux d’intérêt et d’argent qui fera que même la droite pas trés finaude, voir carrément lamentable de Paris finira par trouver tout cela génant et déclarer devant le Conseil de Paris, par la voix de Brigitte Mariani, je cite : « Que l’étude diligentée par “Ayyem Zamen”, subventionnée par les pouvoirs publics, a permis d’établir un constat de la situation des migrants âgés sur les plans sanitaire et social. Que cette étude a permis par ailleurs de confirmer et de valider le concept de “Café social”... » et de s’interroger et déclarer en ces mots forts appropriés : « Comment peut-on, en même temps, être maître d’ouvrage d’une étude de faisabilité et porteur de projet ?

Il n’est donc pas surprenant que l’association valide ce projet pour lequel nous sommes invités à voter des crédits d’investissement et une fois de plus de fonctionnement ». Avant de rajouter en guise d’explication que, je cite : « l’essentiel de la subvention de fonctionnement étant consacré aux salaires des responsables, on est en droit de s’interroger sur les retombées concrètes pour les intéressés eux-mêmes pour lesquels il est prévu “de faciliter la mise en oeuvre d’actions” fort peu ciblées au demeurant ».

Suivront 40.000 euros de Subvention de fonctionnement à l’association « Ayyem Zamen » pour le suivi de son « Café social ». et pour 2004, la subvention sera de 30.000 euros pour la seule participation de la Ville de Paris.

Une manne municipale qui se rajoutera aux financements d’Etat des postes d’adultes relais et de subventions complementaires de la Ville de Paris. Mais il est vrai que l’association « Service social Breton » (15e) aura également perçu en 2003 : 46.000 euros.

Rassurons nous pas sur la ligne budgétaire « intégration et de politique de la ville ».

Au total le budget de ce café social qui fait frémir tous les bars kabyles de Paris où l’on déméle des histoires de papiers sans faire de demandes de subventions, mais aussi l’ensemble du monde associatif parisien qui tire le diable par la queue se monte à 278.400 euros pour l’année 2004.

Un partenariat exemplaire avec la Préfecture de Paris, la Mairie de Paris, Vinci numero 1 mondial des concessions, de la construction et des services associés, la Fondation de France, la Région Ile de France, la Caisse Nationale d’Assurance Maladie, le FASILD, AG2R 1er groupe interprofessionnel de prévoyance et de retraite complémentaires des salariés et des retraités en France, et même les brasseries Kronenbourg.

Un budget royal à la hauteur de la mauvaise conscience dont tout le monde semble porteur.

La volée d’articles de presse sera t’elle un jour suivis de question sur cet afflux d’argent dont il parait évident que l’usage ne sera controlé que de façon formelle ?

Le café social a à ce jour bénéficié d’une bonne trentaine de passages dans les médias, de reportages tous plus indigents les uns que les autres, et ce n’est pas fini.

A cette médiatisation dans la grande presse s’ajoute une ribambelle d’articles sur des sites Internets non pas en mal d’inspiration mais plutôt d’investigation, des louchées de bréves ou de petits articles dans des journaux associatifs, ou de quartiers. Mais également des annonces dans tout ce que la France compte de bulletins traitants de questions sociales, de gérontologie et bien entendu dans la presse municipale de Paris et du XXéme arrondissement.

Post scriptum

Un tel engouement médiatique n’a pas manqué d’être suivis par sa ribambelle de stagiaires, étudiants, cinéastes, photographes, créateurs et autres. L’ouverture de ce café en partie gérée par des bénévoles donnera également lieu à un concert de soutien organisé par Ras le front 19éme. Et inspirera à n’en pas douter bien des créateurs...

Une belle manifestation de solidarité à vrai dire, mais fut elle bien orientée ?

Pour finir enfin, le livre La double absence. Des illusions de l’émigre aux souffrances de l’immigré, d’Abdelmalek Sayad sociologue algérien, directeur de recherche au CNRS et publié en 1999 aux éditions du Seuil qui fait référence sur la question des immigrés agés n’a pas été cité une seule fois dans aucun de ces articles et c’est peut être là aussi motif a crier au scandale.

Que tout ces piétres journalistes soient pardonnés de ne pas l’avoir lu.


Calendrier des publications
27 octobre 2001, Le Parisien, « Polémique sur le projet du café social »
6 novembre 2001, Libération, « Chibanis échoués en Ile de France ».
Décembre 2001, Nova Mag
4 janvier 2003, L’humanité, « Ile de France : le réseau citoyen »
26 février 2003, Le Parisien, « Un nouveau café social »
27 février 2003, Metro, « Un café social pour le 7, rue Pali-kao
6 mars 2003, RFI journal de 23h00
7 mars 2003, Dépêche AFP, « Un café social à Paris pour les personnes agées immigrées »
7 mars 2003, Le Parisien, « Le premier café social pour les immigrés agés »
7 mars 2003, Metro, « Un café social pour les retraités immigrés »
7 mars 2003, RTL journal de 7h00
7 mars 2003, F3 Journal régional 19h00
9 mars 2003, RFI journal de 7h30
16 mars 2003, L’humanite Hebdo, « Moucef Labidi, directeur du café social, rue Pali-kao (Paris 20éme.
2 avril 2003, Zurban, « Le café du bon vieux temps »
19 avril 2003, F3 Ile de France Centre journal de 11h30.
2 mai 2003, Télérama, « Pause café »
16 juin 2003, RFI Planete M, 12h00
17 juillet 2003, L’express, « La grande solitude des chibanis »
10 septembre 2003, Zurban, « La solidarité au café »
1er janvier 2004 Notre temps, « Un coin de paradis pour les chibanis »
22 octobre 2004 Actualités sociales Hebdomadaires, « Un café contre l’isolement et la précarité »

Auxquels s’ajoute ce que je n’ai pas lu
La Croix (10 février 2003)
20 minutes, n°228 (19 février 2003)
Viva, n°177 (avril 2003)
La Croix (10-11 novembre 2003)

Ce que je n’ai pas vu
Actualités matinales, France 3 (12 janvier 2004).

Ce que je n’ai pas entendu Europe 1, France inter, France info, France Culture...


[1] « Rapport sur les immigrés vieillissants », Françoise Bas-Theron et Maurice Michel, Inspection générale des affaires sociales. Version à télécharger :
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/034000107/0000.pdf.

Par Lionel Marcovitch
Source: L'association Samizdat.net

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