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Le monde arabe face à ses défis

À Marrakech, plus de deux cents intellectuels ont réfléchi à la façon de sortir le monde arabe de l'impasse

Un nouveau document émanant de l’ONU devrait créer, dans les prochaines semaines, un électrochoc dans le monde arabe. Établi par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), il devrait en effet dresser un bilan sans complaisance de l’état des libertés dans cette aire géographique et culturelle. Élections fictives, républiques héréditaires, procès inéquitables, inexistence de l’État de droit… Une version provisoire du rapport circule déjà sous le manteau.

Depuis deux ans, le Pnud a déjà publié deux autres rapports qui reflètent «une image très moche» du monde arabe, selon l’universitaire jordanien Chaker Al Naboulsi. Le premier, paru en 2002, dressait un état général des sociétés arabes, plaçant le monde arabe parmi les régions les plus sous-développées du monde. Le second, publié un an plus tard, mettait en exergue la faillite des systèmes d’enseignement et d’éducation.

Entre constat amer et interrogation


Les documents ont provoqué un profond abattement, et parfois des réactions de rejet, dans le monde arabe. Et ils étaient dans tous les esprits lors d’une conférence sur « Les Arabes, entre la culture du changement et le changement de culture», qui s’est tenue la semaine dernière à Marrakech, à l’instigation de la Fondation de la pensée arabe, créée et présidée par le prince Khaled el Faiçal, un des frères du roi Fahd d’Arabie saoudite. Pendant quatre jours, plus de deux cents intellectuels et chercheurs du monde arabe ont navigué entre constat amer et interrogation sur l’ampleur du changement à accomplir.

«Nous avons perdu le nord dans le monde arabe», a constaté l’un des participants. «Nous nous sentons moindres, inférieurs» au reste du monde, a avoué un autre. Le débat, parfois stérile ou répétitif, a fait apparaître une opposition entre conservateurs et libéraux, les premiers affirmant que la culture musulmane et arabe recelait les qualités nécessaires pour s’adapter, les autres jugeant l’isolationnisme suicidaire et appelant à ouvrir grand les portes dans un monde marqué par la mondialisation.

La question du rôle de l’étranger dans le changement affleurait en permanence. Pour les uns, le monde arabe fait face à une attaque de l’Occident ou des États-Unis, et il serait impossible, dans un contexte marqué par la guerre en Irak et le conflit israélo-arabe, de se faire le relais d’une culture dominatrice et impérialiste. Pour les autres, le désir de réformes au sein du monde arabe n’a pas attendu les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, et encore moins le projet de démocratisation du Moyen-Orient concocté cette année par l’administration Bush.


"Le temps presse"


«La culture de l’Occident est devenue universelle, elle est au cœur de la culture mondiale», a affirmé Massoud Daher, professeur d’histoire moderne à l’université libanaise. Figurant parmi les très rares intervenants occidentaux, l’ambassadeur de Grande-Bretagne en Arabie saoudite, Sherard Cowper-Coles, a résumé le défi : «Les Arabes ne doivent pas adopter de modèles stéréotypés, mais le temps presse.»

Dans leur grande majorité, les réformateurs, parmi lesquels de nombreux Marocains, ont pointé quatre grands chantiers : le développement économique et social, les libertés politiques, l’éducation et les droits des femmes – «le Maroc croit en l’égalité des sexes», a par exemple déclaré le premier ministre de ce pays, Driss Jettou.

Ancien ambassadeur des États-Unis en Égypte et secrétaire d’État adjoint au temps de Bill Clinton, Robert Pelletreau a égrené une longue liste d’obstacles à surmonter : l’absence de dirigeants élus, l’occupation des Territoires palestiniens par Israël, un système d’enseignement fondé sur la mémorisation, la mise à l’écart des femmes dans la vie économique et politique, le lien étroit entre l’État et la religion, la mauvaise qualité de l’enseignement religieux, la difficulté de la langue arabe à se moderniser, la priorité donnée à la communauté sur l’individu, l’attachement trop grand à un passé glorieux…

"L'autocritique, arme la plus efficace contre l'autodestruction"


«Toutes les sociétés aujourd’hui essaient de gérer les changements massifs et extrêmement rapides provoqués par la mondialisation, mais c’est peut-être plus dur pour le monde arabe. Pourquoi ?», a-t-il questionné.

Ancien représentant de la Ligue arabe auprès des Nations unies, Clovis Maksoud, de son côté, ne se laisse pas abattre. Membre du groupe, largement constitué de hauts fonctionnaires arabes, qui a été à l’origine des rapports du Pnud, il explique que « l’autocritique est l’arme la plus efficace contre l’autodestruction». La petite avant-garde dont il fait partie croit en «une renaissance arabe» maîtrisée. Mais elle nécessitera, selon lui, une transformation de très grande ampleur, fondée sur une percée réformatrice, une approche globale («holistique») du développement et la création d’un marché commun arabe.

Une telle dynamique ne peut être créée que si les dirigeants politiques arabes assument leurs responsabilités, ce qui ne paraît pas gagné. «Tout le monde veut le changement, mais le problème est politique. Ce sont les dirigeants qu’il faut convaincre», résumait en aparté un des organisateurs de la conférence de Marrakech.

Le monde arabe redoute son repli ou son "américanisation"


En creux, les débats ont par ailleurs été marqués par une grande absence, celle de l’islam. La controverse sur le changement s’est faite au nom de la culture arabe, dans laquelle la religion musulmane est, certes, étroitement imbriquée, mais jamais celle-ci n’a été présentée comme conditionnant les réformes envisagées. Les très rares intervenants qui ont cité des versets du Coran étaient les modernisateurs.

À la lumière de la conférence de Marrakech, dont les débats ont été largement relayés par la presse de la péninsule arabique, le monde arabe semble sur la défensive, redoutant son repli ou son «américanisation», mais espérant encore un «partenariat» ou une «interaction» avec l’Occident.

Jean-Christophe PLOQUIN à Marrakech
Source: La Croix

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