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Enseignement: Belfkih confirme la crise du système marocain

Tout le monde semble d’accord sur la question de l’enseignement au Maroc. Après le ministre de l’Education nationale, Ahmed Akhchichine, (www.leconomiste.com), c’est au tour de Abdelaziz Meziane Belfkih, président délégué du Conseil supérieur de l’enseignement, de confirmer la «crise» que connaît le système éducatif national.

«Contrairement aux années précédentes, aujourd’hui il y a une vraie prise de conscience des problèmes que connaît le système de l’enseignement», insiste Belfkih, lors de sa participation à la conférence sur «le système éducatif et les réformes qui s’imposent», organisée par HEM, jeudi dernier. «Sur le plan du développement humain, nous sommes classés par le Pnud 126e sur 177 pays. Et c’est la scolarité qui nous pénalise», ajoute-t-il.

Comment s’en sortir? La tâche semble ardue. Néanmoins, Belfkih a proposé quelques leviers d’action. Commencer d’abord par un objectif tout à fait «jouable»: atteindre un taux d’accès à la scolarité de 95% dans toutes les communes d’ici 2014. Aussi, rendre effective l’obligation de scolarisation jusqu’à l’âge de 15 ans. Avec une offre améliorée, basée sur la mise à niveau des infrastructures, et le renforcement du réseau scolaire. Cela dit, le nombre d’établissements demeure insuffisant par rapport aux besoins. L’offre privée de son côté reste faible. Selon les statistiques annoncées par le ministre de l’Emploi, l’offre privée de scolarisation au primaire est de 8,37% (dont 25% à Casablanca) seulement. Pour le collège elle n’est de près de 4%. Dans des pays à développement similaire, ce taux est de 20%.

D’après Akhchichine, il faudrait arriver à développer un modèle économique de groupes scolaires privés autre que celui qui existe. Avec un management de porteurs de projet et un encadrement de l’Etat.
Ce n’est qu’ainsi qu’on pourrait présenter une offre alternative complémentaire au public, et qui soit accessible pour tous. Une attention particulière devrait par ailleurs être portée aux enseignants. Belfkih a affirmé qu’une enquête officielle, portant sur 2.000 enseignants, du primaire, secondaire et lycée, est en cours. Son objectif est d’appréhender tous les aspects de la vie de cette catégorie. Les résultats seront dévoilés durant le troisième trimestre 2008.

Belfkih n’a pas manqué de citer le préscolaire. Il devrait, selon lui, être généralisé à long terme. Actuellement, 50% des enfants marocains sont préscolarisés, mais dans différentes conditions. D’où un projet de modèle d’écoles, normé et codifié «à la marocaine», qui devrait être concrétisé dès le dernier trimestre 2008. Près de 100 écoles seront lancées pour commencer. Ceci pour un coût de 5 milliards de DH par an. Soit 10 à 15% du budget actuel.

Belfkih a présenté un bilan tout aussi dramatique que celui exposé par le ministre de l’Education nationale. Selon lui, comparativement à certains pays, le Maroc ne mobilise pas assez de ressources pour l’éducation. Les dépenses pour un élève sont de l’ordre de 525 dollars par an. Alors qu’en Tunisie par exemple, c’est bien plus que le double, avec près de 1.342 dollars. En Algérie, la dépense annuelle est de 696 dollars, en Turquie, 612 dollars et en Afrique du Sud, 1.160 dollars.

Par ailleurs, les enfants ne sont pas tous égaux devant l’accès à l’école. Certaines régions sont beaucoup plus favorisées que d’autres, et il n’existe pas une forte mobilisation civile sur cette question. Côté abandon de scolarité et échec, que des chiffres décevants! Sur 100 élèves qui rentrent au primaire, seulement 13 arrivent à obtenir leur bac. Et encore, uniquement 3 y arrivent sans redoublement. En outre, la durée moyenne de scolarisation est de 5 ans. Dans d’autres pays, elle est de 10 à 12 ans.

Concernant les études supérieures, seuls 12 les entament. Avant la réforme des universités, des enquêtes avaient montré que 10% seulement des étudiants réussissaient à décrocher leur licence. 50% n’arrivaient pas à obtenir le Deug, et il fallait en moyenne compter 8 à 9 ans pour effectuer une licence de 4 ans! Même après la réforme, les chiffres ne sont pas réjouissants. D’après certains professeurs universitaires, le nombre d’étudiants qui finissent leur cursus à l’université varie de 4 à 10% selon les filières. Et bien sûr, le taux de chômage augmente avec les diplômes. Il est de 30% pour les jeunes du niveau secondaire, et de 45% pour les diplômés du milieu universitaire.

L’abandon de la scolarité est très révélateur. Cela veut dire que si le système n’est pas capable d’intéresser et de retenir ses bénéficiaires, c’est qu’il doit être entièrement repensé. «Le parcours du primaire à la faculté est une vraie course d’obstacles. Nous perdons pratiquement un tiers des élèves à chaque cycle», affirme Belfkih. Au niveau du primaire, c’est plus de 35% qui sont perdus. «Ils retombent automatiquement dans l’analphabétisme que nous tenons absolument à éradiquer», martèle le conseiller du Souverain. D’après le président délégué du Conseil, le système d’enseignement suivi au primaire devrait être totalement différent de celui appliqué pour les autres niveaux. Le redoublement par exemple devrait être totalement proscrit. «Comment peut-on juger les capacités intellectuelles d’enfants de 5 ou 6 ans? Et puis pourquoi condamner ces enfants, alors qu’ils viennent d’être insérés dans l’univers scolaire qui est totalement différent de leur environnement familial», s’interroge Belfkih. Il faut également redonner à l’école ses «vraies» missions. À savoir, éduquer et préparer les enfants à leur vie future de citoyens, et leur permettre d’exprimer tout leur potentiel de créativité. Or, selon Belfkih, l’école aujourd’hui est un théâtre de conflits idéologiques et politiques.

Dysfonctionnements, aberrations…
Malheureusement, le système de l’enseignement porte en lui plusieurs aberrations et dysfonctionnements. Les exemples sont bien trop nombreux pour être tous cités. Au niveau du personnel encadrant par exemple, il existe une réelle crise de recrutement des directeurs de collèges. Et pour cause, personne n’est motivée pour ce poste. Aussi ceux qui sont recrutés n’ont aucune vocation pour la gestion d’un établissement. Leur seul souci est de finir leur carrière en beauté, et loin des tracas des classes.

De leur côté, les collèges, niveau intermédiaire durant lequel les élèves consolident leurs connaissances et développent leur autonomie, doivent être revus. Mais pour cela il faudrait d’abord procéder à une évaluation. Une opération qui fait défaut au Maroc. «Nous sommes le seul pays au monde à ne pas avoir un système d’évaluation des apprentissages. Nous ne savons pas quel est le minimum requis pour un élève issu d’un niveau précis», déplorait Akhchichine, lors d’une conférence de presse organisée la semaine dernière à la faculté de droit de Casablanca. Et enfin, imposer la langue arabe pour tous les niveaux d’enseignement jusqu’au bac. Puis imposer la langue française à l’université. Beaucoup estiment que ce passage d’une langue à une autre constitue un choc brutal pour les élèves. Mais cette question ne semble pas pour l’heure à l’ordre du jour.

Scolarisé, mais analphabète!
Les cas d’élèves ne sachant pas lire existent, bien que rares. Un collège de la ville de Khouribga en a déjà rencontré un. Il s’agit d’un élève arrivé à la première année du collège en étant «analphabète». Comment cela est-ce possible? La réponse est aussi étonnante que révoltante. L’élève, qui avait développé une grande dextérité dans l’écriture, ne faisait que copier ce qu’il y avait sur le tableau. Durant les examens, ses enseignants lui montraient les réponses. En contrepartie de leur «aide», l’élève s’occupait du ménage chez eux et faisait leurs courses. Après deux années au collège, l’élève a été renvoyé, et a vu son avenir gâché à cause de l’immoralité de ses enseignants. Un cas de figure qu’on rencontre souvent dans les milieux ruraux.

Ahlam Nazih
Source: L'Economiste

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