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Haj/arnaques: Des victimes en France aussi

Moment phare de la vie d’un musulman, le haj peut parfois tourner au cauchemar. Vols annulés, conditions d’hébergement spartiates, absence de sécurité... En France, pays d’Europe qui comptabilise le plus grand nombre de pèlerins (devant la Grande-Bretagne et l’Allemagne), les escroqueries sont monnaie courante.

Le tourisme cultuel est devenu en quelques années un véritable marché lucratif. Et pour cause: le nombre de pèlerins en France est en constante augmentation. On dénombrait 5 à 6.000 départs au début des années 2000. Cette année, environ 40.000 musulmans se rendront dans la capitale religieuse de l’Islam.

L’industrie du pèlerinage à La Mecque génèrerait 250 millions d’euros (2,8 milliards de DH), selon les estimations du cabinet aZensys. Cette situation favorise le développement d’un marché parallèle; d’autant plus que ce voyage n’est pas à la portée de toutes les bourses. Le prix moyen acquitté par les pèlerins en France pour ce déplacement s’élève à 3200 euros (36.350 DH).

L’appât du gain attire ainsi toute une armée d’associations non-agréées et de rabatteurs qui organisent ce voyage en toute illégalité. Selon le code du tourisme en vigueur en France, l’organisation du haj nécessite pourtant une autorisation préfectorale. Au Maroc, le ministère des Habous et les agences de voyage participent à l’opération du haj. A contrario, en France, pays où la laïcité est inscrite dans la Constitution, seuls les professionnels du tourisme organisent les pèlerinages. Actuellement, ce marché très ciblé compte 70 agences « officielles » proposant pour la plupart des voyages clé en main (visa, vol, hébergement, repas et guide compris).

Cependant, certaines associations ou rabatteurs sans licence d’agent de voyage passent outre l’agrément. Abusant de la confiance des pèlerins, ils vendent des prestations avec des conditions de séjour sommaires et sans aucune garantie de sécurité. «En 2006, l’Arabie Saoudite a délivré entre 25 et 26.000 visas haj via les agences agréées, et pourtant, ils ont été 35.000 à quitter la France. Par conséquent, près de 5.000 personnes, victimes de faux voyagistes, ont dormi dans la rue», explique Zakaria Nana, président-fondateur de l’association SOS Pèlerin. Cette année, selon les estimations de l’association, 20 % des pèlerins partiront encore avec des «vrais faux visas».

«Lorsque j’ai découvert la réalité du pèlerinage, ça m’a scandalisé. Une telle carence de législation et une absence totale de régulation du marché est inacceptable. Le haj constitue un véritable business, où certains profitent de la faiblesse des pèlerins ignorants de leurs droits », affirme Ouria Shérazade Kahil, 24 ans et directrice de formation à l’association. Cette étudiante en droit et sciences politiques réalise sa thèse sur le pèlerinage à La Mecque. Selon elle, un des problèmes majeurs en France est la désinformation des pèlerins. Ce sont majoritairement des « personnes âgées aux revenus modestes et parfois analphabètes». Ils passent par des proches pour organiser leur haj, faisant une confiance aveugle à leur imam, à leurs compagnons de prières déjà partis à La Mecque, ou à l’association qu’ils fréquentent.

Essaïd Chouial, 65 ans, en fait partie. Il part pour la première fois cette année en Arabie Saoudite. Quelle agence a-t-il choisi pour son haj ? Il est incapable de répondre. «J’ai été conseillé par des amis qui fréquentent la même mosquée que moi. Un guide organise tout le voyage. Il est déjà parti à de nombreuses reprises. C’est à lui que j’ai payé mon séjour », explique Essaïd confiant. Ce manque d’information est plutôt courant en France. En effet, selon une autre enquête réalisée par SOS Pèlerin après le haj en 2006, plus de 90% des musulmans partis avouaient ne pas connaître le nom de l’agence qui organisait leur voyage en Terre sainte.

Alertées par SOS pèlerin, les autorités françaises ont pris des mesures. Une antenne consulaire spécifique est installée à La Mecque pendant le haj. De plus, une brochure d’informations a été éditée en français et en arabe par les pouvoirs publics. Mais cela suffit-il ? «C’est un outil fabuleux, mais il a été très mal distribué. En 2006, 35.000 guides ont été mis à disposition des voyageurs à l’aéroport au moment de leur départ. C’était trop tard», souligne Zakaria Nana.

Quelle est la solution alors? «Pour mettre fin à ces arnaques, il faut combiner une transparence des contrats, un meilleur contrôle des agences de voyage, une régulation du marché et une réglementation étatique plus forte. Des campagnes d’information sont également nécessaires», souligne Ouria Shérazade Kahil. Pour Zakaria Nana, il faut «un tour opérateur global qui apporterait de la transparence».

SOS pèlerin
Victime d’une arnaque, Zakaria Nana a décidé en 2005 de créer SOS pèlerin avec l’idée ambitieuse d’assainir le marché du haj. L’objectif ? Faire réagir les pouvoirs publics français et défendre les pèlerins. «Au-delà de l’aspect spirituel du haj, les pèlerins sont aussi des consommateurs. Quand on paye, la sécurité et le confort sont obligatoires. Un pèlerin arnaqué, c’est une personne qui se cachera. Nous avons brisé ce tabou en le dénonçant publiquement», défend le président-fondateur.

Il organise cette année une session de formations pour permettre aux pèlerins de partir sereins (présentation du haj, conseils pratiques, précautions sanitaires, etc.). Pour éviter les accidents survenus les années précédentes, SOS pèlerin a même lancé un appel d’offres pour concevoir une assurance complète et spécifique aux pèlerinages. Sélectionné, AXA a créé «Pèlerin assistance».

Source: L'Economiste

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