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Les défaillances du plan Villes sans bidonvilles

«En matière d’accompagnement social, notre action reste défaillante». Les propos sont de Taoufik Hjira, ministre chargé de l’habitat et de l’urbanisme. En cause, les différents blocages qui touchent de nombreux projets de réhabilitation urbaine aux quatre coins du Maroc.

A Fès et à Mohammédia, les bénéficiaires de programmes de relogement ont carrément refusé de quitter leurs bidonvilles tout simplement parce qu’ils n’étaient pas préparés à un si grand changement dans leur vie.

«Les plus grands problèmes qui freinent la mise en œuvre du programme Villes sans bidonvilles (VSB) concernent l’accompagnement social des populations lors des transferts», avoue un cadre d’Al Omrane en charge de plusieurs projets de résorption de foyers d’habitat insalubre dans le Nord. Pour toute la wilaya de Tétouan, par exemple, où est initiée pas moins d’une quinzaine d’opérations de recasement et relogement (la ville devra être déclarée sans bidonvilles en 2008), ils ne sont que deux à faire de l’accompagnement social, en plus de leurs fonctions habituelles en tant que cadres du holding.

Ce constat, la Banque mondiale l’a fait à l’occasion d’un rapport d’analyse de l’impact social et sur la pauvreté du programme VSB, rapport rendu public en janvier 2007. «L’urgence de l’achèvement du programme VSB semble exacerber le niveau insuffisant de coordination institutionnelle ainsi que l’attention des acteurs, qui est axée sur les aspects techniques plutôt que sur l’accompagnement social et la participation, dont le besoin se fait tellement ressentir», soulignent les rédacteurs de ce rapport. Et de mettre en exergue l’insuffisance des incitations actuellement en place pour déclencher la participation active des habitants des bidonvilles, l’intervention des banques et des institutions de microfinance pour fournir le crédit et la motivation des promoteurs à s’engager dans la construction de logements. Ainsi, dans différents projets, ces accompagnateurs, maillon important dans la chaîne de tout projet de recasement de bidonville, ne sont même pas prévus.

Leur importance réside dans le fait qu’ils suivent au jour le jour l’évolution du projet. Depuis le recensement initial des bénéficiaires jusqu’à leur transfert final et parfois même plusieurs mois après le transfert. A cet effet, l’ambassade de France a même édité un guide des accompagnateurs sociaux.

Douar Kora, une exception
Le travail commence en effet par un diagnostic, établi avant le début de l’opération, qui vise à déterminer à l’avance les caractéristiques de chaque ménage (taille, emplois et revenu des membres de la famille..). Les ménages les plus vulnérables sont par la suite recensés. Ils représentent près de 20% de la population totale à recaser et se composent notamment de personnes âgées, handicapées ou de femmes chefs de foyer. «C’est nous qui sommes censés savoir exactement comment les aider, financièrement notamment, à s’acquitter de leur contribution», reconnaît un cadre de la direction du logement social et des affaires foncières au ministère de l’habitat.

Dans plusieurs cas, la participation de foyers très indigents a été, ainsi, revue à la baisse. Pour Douar Laskar, à Fès, par exemple, ce sont les habitants qui ont pris en charge le logement d’une octogénaire qui vit seule depuis plusieurs décennies. L’accompagnateur social a également un grand travail de communication et d’information à fournir auprès de la population. «Je dois non seulement informer les habitants de ce bidonville sur les différentes procédures et l’avancée du projet mais également anticiper sur toutes leurs questions et appréhensions, qu’elles soient financières ou autre», explique une accompagnatrice sociale opérant dans le Nord.

Or, force est de reconnaître que les opérations où l’accompagnement social a été intégré dès le début du projet ne sont pas nombreuses. La plus connue est celle du relogement de Douar Kora, à Rabat, opération menée par l’Agence de développement social. L’opération de recasement du bidonville d’El Oued Laâyayda, à Salé, est également citée en exemple. Menée en collaboration avec Enda, organisation non gouvernementale de lutte contre la pauvreté dont le siège est à Dakar, elle a permis de suivre les ménages dès le début de l’opération. Au total, ce sont neuf organisations internationales qui œuvrent dans ce sens.

A Fès et Mohammédia, des bidonvillois ont refusé de quitter leurs baraques
Mais ces réussites sont loin d’être la règle. L’absence d’accompagnement social des populations tout au long du projet, pendant la mise en œuvre des chantiers, le déplacement vers les nouveaux sites de relogement, ou lorsque sont établis des programmes de recouvrement financier, sont autant de facteurs qui freinent considérablement les opérations. Toujours pour le cas de Douar Laskar, à Fès, on a frôlé l’émeute quand les habitants ont refusé de quitter leurs baraques (les nouveaux logements étaient pourtant construits à une centaine de mètres). Ils ont même lapidé la délégation officielle conduite par le ministre, lors de l’inauguration du site.

Les demeures avaient été jugées trop petites, inadaptées, trop chères. Un accompagnement social mené dès le début aurait justement été d’une grande aide à ce niveau en préparant les populations et en répondant à leurs préoccupation. A Mohammédia, préfecture qui demeure très touchée par les bidonvilles (plus de 24% de sa population totale habite des baraques), les autorités ont mis en place, à titre expérimental, un centre de qualification sociale dédié à l’accompagnement des populations vulnérables, confié à un réseau d’associations locales. Mais ce n’est qu’après l’échec de plusieurs projets auparavant que ce centre a été créé. «Le bidonvillois bénéficie d’un logement social qui lui est affecté par tirage au sort et il devient, de facto, “copropriétaire” d’un logement en collectif avec nécessité de paiement, de gestion d’espaces privés et communs et de cohabitation sociale non désirée, sans aucun encadrement social».

Troisième exemple, celui des habitants de Kariane Thomas ou de Douar Skouila, deux des plus vieux bidonvilles au Maroc. «Le rôle de l’accompagnement, dans ce cas, est plus que vital», explique-t-on à la direction de l’habitat social. «La difficulté réside dans le fait qu’il s’agit d’un traitement au cas par cas. Difficile de mettre en place un programme d’action global et général et de le mettre en pratique sur différents sites. Il s’agit vraiment de suivi très personnalisé».

En définitive, l’accompagnement social que certains considèrent comme secondaire peut, quand il existe, contribuer véritablement à la réussite d’une opération. Les responsables du ministère de l’habitat en sont de plus en plus conscients. Mieux vaut tard que jamais !


Focus: Former les accompagnateurs sociaux

Pour pallier le manque de ressources humaines formées en matière d’accompagnement social, le ministère chargé de l’habitat et de l’urbanisme a mis en place, en collaboration avec la coopération française, un cycle de formation de deux années à l’Ifmos de Meknès.

Cette formation-pilote a été lancée officiellement le 17 novembre 2006 et porte sur «l’accompagnement social dans les opérations de développement urbain et de réhabilitation de l’habitat insalubre du programme Villes sans bidonvilles». A l’issue de la formation, un diplôme d’accompagnateur social sera délivré aux lauréats. La première promotion comptera une soixantaine d’étudiants.



Acteurs: Les soldats de l’ombre

Le plus souvent, l’aspect le plus visible des opérations de relogement des bidonvilles se ramène à des inaugurations de chantiers, à des remises de clés, des signatures de conventions... Mais ce n’est pas tout car, au-delà, il y a dans chaque opération des soldats de l’ombre dont l’action n’est pas toujours mise en avant. Il s’agit, entre autres, de certaines ONG marocaines ou étrangères, organisations internationales qui, par leur action sur le terrain auprès des bénéficiaires, contribuent à la réussite de ces opérations. Le 8 juillet prochain, le programme Villes sans bidonvilles soufflera sa troisième bougie. Cet anniversaire sera l’occasion de faire le bilan du programme mais également de rendre hommage à l’action de neuf organisations internationales qui travaillent sur le projet dans les différentes régions du Maroc.

Il s’agit de la Banque Mondiale, l’Agence française de développement (AFD), l’USAID, Enda, l’Union européenne, Cities Alliance, le Pnud, Askwa
et la JBIC.



Fadoua Ghannam
Source: La Vie Eco

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