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A Sète, objectif atteint pour le collectif «Saïd revient»

Le musicien marocain avait été expulsé il y a un an. Son retour a été autorisé.

Le bateau en provenance de Tanger glisse le long du quai. Il est 13 heures, hier, à Sète. Derrière les vitres de la salle d'attente du port, quarante personnes scrutent les rares voyageurs qui traînent sur le pont. «Vous l'avez vu ?» «C'est lui ?» A 13 h 15, les premiers passagers franchissent la douane, observant avec curiosité ce comité d'accueil qui scande «Saïd, Saïd !» en lançant des cotillons. 13 h 35. Hurlements. Saïd, la quarantaine élégante, jean noir et veste de cuir, vient d'apparaître au portillon. Il semble presque étonné d'être là. Il étreint chaque personne, lentement. Il se retient de pleurer. «Je reviens à mon univers. Je n'étais pas chez moi là-bas. Mon corps était au Maroc, mais mon âme, elle, est restée en France», murmure-t-il.

Raisons artistiques.Il y a tout juste un an, ce joueur de luth a effectué le même chemin. Mais en sens inverse, expulsé vers le Maroc pour absence de papiers ( Libération du 8 février 2006). Depuis un an, il vivait chez sa mère, à Rabat, alternant entre le cybercafé et la lecture de Libération ou du Monde pour garder le contact avec la France. Quand il ne déprime pas, il compose, écrit des paroles : «La seule façon de m'exprimer», raconte cet ancien fonctionnaire marocain venu en France en 2000 «pour des raisons artistiques, pas financières». A l'époque, il obtient un titre de séjour suite à son mariage avec une Française. Mais il divorce en 2003 et ses papiers ne sont pas renouvelés. Fin janvier 2006, il est arrêté. Le tribunal administratif de Montpellier rejette sa demande d'annulation de l'arrêté de reconduite à la frontière, estimant que «la durée relativement courte de [sa] vie privée et familiale fait obstacle au but de l'intérêt général poursuivi par le préfet». Dès qu'ils ont appris son placement au centre de rétention de Sète, ses proches montent un comité de soutien. Ils sont près de 80 au tribunal, le 7 février 2006, pour attester de la vie privée du musicien en France. Parmi eux, sa compagne française, Latifa, qu'il a rencontrée en 2004, mère d'une enfant de huit ans dont il s'occupe comme si elle était sa fille. Les musiciens de Sim-Sim, le groupe arabo-andalou qu'il a fondé à Montpellier, sont aussi présents. Autant d'arguments jugés insuffisants par le tribunal. Le soir même, Saïd est embarqué pour le Maroc. Latifa et deux amies effectuent la traversée à ses côtés pour le soutenir.

Jugement annulé. Depuis, la mobilisation du collectif «Saïd revient» s'est poursuivie sans relâche. Présence régulière sur des événements locaux pour distribuer des tracts, organisation de concerts pour récolter des fonds, signatures de pétitions (5 500 noms recueillis en un an), rencontres avec des élus, création d'un site Internet. En parallèle à ces actions de terrain, la Cimade de Montpellier, association pour la défense des étrangers, mène la bataille juridique. Une première victoire est remportée, le 8 décembre 2006, quand la cour administrative d'appel de Marseille annule le jugement du tribunal de Montpellier, évoquant la «parfaite insertion sociale de l'intéressé depuis son entrée en France» et taclant au passage le préfet de l'Hérault, dont l' «arrêté a porté aux droits de M. Aguili et au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris». Au Maroc, Saïd, qui presque chaque mois reçoit la visite de Latifa ou d'un proche, reprend espoir. Mais le consulat français à Rabat refuse de lui délivrer un visa. Enfin, le 13 février, trois jours avant l'examen par le Conseil d'Etat du référé-suspension engagé par Saïd contre ce refus, la bonne nouvelle tombe. Le ministère des Affaires étrangères demande que soit délivré à Saïd un «visa de court séjour lui permettant de se rendre en France et de régulariser sa situation administrative». Pour Nicolas Ferran, salarié de la Cimade, «on a gagné sur la vie privée et familiale. Ce n'est pas un problème juridique complexe, ce sont des faits, fondés sur des témoignages. Tout le monde peut le faire». A qui le tour ?

Carole Rap
Source: Libération (France)

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