Menu

Pourquoi le Maroc a peur de la CPI

Le Maroc refuse de ratifier la Cour pénale internationale sous prétexte de la sacralité de la personne du roi et d’un pacte qu’il aurait secrètement signé avec les USA. En agissant ainsi, le royaume laisse penser que l’option démocratique n’est pas forcément un choix irréversible. Retour sur une décision controversée.

Le 8 septembre 2000, Abderrahmane Youssoufi, alors Premier ministre, signe le statut de la Cour pénale internationale (CPI), une juridiction pénale internationale créée en 1998 pour juger des personnes accusées de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre ou de génocides.

Quelques jours plus tard, le représentant du Maroc à Genève confirme devant la sixième commission des Nations Unies la volonté du royaume adhérer à la CPI : «Nous sommes convaincus que la Cour veillera à garantir la primauté du droit afin d’interdire les crimes odieux contre les populations civiles, lors des conflits, et à faire appliquer le droit international humanitaire. Le Maroc réaffirme sa volonté de coopérer de manière constructive à l’entrée en vigueur le plus rapidement possible de la Cour».

Six ans après ces déclarations enthousiastes, la position n’est plus tout à fait la même du côté des officiels marocains. Non seulement la ratification du traité n’est plus à l’ordre du jour mais elle est même carrément présentée comme incompatible avec le droit marocain. Oubliés, la signature du dernier Premier ministre de Hassan II et du premier du règne de Mohamed VI et l’engagement de la diplomatie marocaine vis-à-vis de l’ONU. Mohamed Benaissa vient de renvoyer aux calendes grecques toute ratification. Vive la continuité de l’Etat ! Sa crédibilité aussi !

Répondant, le 3 janvier 2007, à une question du député usfpéiste Mohamed Karam à ce sujet devant le Parlement, le ministre des Affaires étrangères a livré une réplique surprenante. Pour lui, «les dispositions du traité de la Cour pénale internationale signé le 8 septembre 2000 s’opposent aux dispositions légales et constitutionnelles marocaines». Voulant être plus concret et très précis, Mohamed Benaissa explique même que les lois du royaume et celles de la CPI sont antinomiques. Et en donne pour preuve deux exemples. Le premier concerne la notion de l’immunité : «L’article 27 du traité de la Cour pénale stipule que la qualité officielle d’un individu, qu’il soit chef de l’Etat, membre de gouvernement ou parlementaire, ne l’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale, alors que la loi marocaine prévoit quelques exceptions comme le précise l’article 23 de la Constitution qui souligne que la personne du roi est sacrée et qu’on ne peut pas violer sa sacralité. Contrairement aux autres personnes officielles de l’Etat qui jouissent d’une immunité relative, SM le roi bénéficie d’une immunité absolue».
Le deuxième exemple concerne la notion de grâce royale : «(…)La Cour pénale internationale peut, en vertu de son article 29, poursuivre et juger une personne ayant bénéficié de la grâce royale, ce qui est en contradiction avec la législation marocaine au sujet de la grâce et avec l’article 34 de la Constitution», explique Benaissa.

Les exemples cités par le ministre des Affaires étrangères et qui touchent, comme par hasard, les prérogatives du roi, posent un double problème. D’une part, ils évaluent l’acceptabilité ou non des dispositions d’une juridiction transnationale à l’aune d’une notion aussi problématique que celle de la sacralité de la personne du roi. D’autre part, ils considèrent son immunité comme étant absolue. Or la démocratie ne pose aucune valeur en absolu. On voit bien donc que l’Etat est capable de mettre en avant les idées les plus régressives et les plus contradictoires pour préserver les acquis anachroniques de l’institution monarchique. Une institution dont on veut imposer la sacralité même à la CPI. Du coup, les recommandations formulées par l’Instance équité et réconciliation (IER) pour ratifier la convention de la CPI resteront lettre morte. Créée en janvier 2004, l’IER avait pour mission d’apporter un règlement global à la question des violations graves des droits de l’Homme commises au Maroc depuis 1956 et de «formuler des recommandations portant des propositions de mesures destinées (...) à garantir la non répétition des violations, remédier aux effets des violations et restaurer la confiance dans la primauté de la loi». La ratification du traité de la CPI devait être justement une garantie juridique, pour les victimes des exactions du passé, de la non reproduction des mêmes pratiques. Elle devait ainsi contribuer à la fin de l'impunité et au renforcement de l'Etat de droit au Maroc. Hélas, ces avancées démocratiques ne semblent pas être à l’ordre du jour pour l’Etat marocain !

Cette reculade ne semble pas malgré tout dissuader la société civile au Maroc qui a milité en faveur de la CPI depuis sa création. «Il est vrai que nous avons été surpris par les déclarations de Benaissa mais nous n’allons pas lâcher prise. Nous comptons davantage sensibiliser les partis politiques et les médias», martèle Hicham Cherkaoui, membre de la coalition marocaine pour la CPI.

Créé en janvier 2005, cet organisme s’est fixé comme objectif de pousser le Maroc à ratifier la convention de la CPI. Dans ce but, l’association marocaine des droits humains (AMDH), membre d’ailleurs de la coalition, a envoyé, le 10 janvier 2007, une lettre ouverte au Premier ministre. L’AMDH explique à Driss Jettou que la CPI ne peut en aucun cas porter atteinte à la souveraineté du Maroc, contrairement à ce qu’a affirmé Mohamed Benaissa devant le Parlement. L’AMDH, qui s’est engagée à présenter une note de solutions constitutionnelles et légales à ce sujet, considère même que la ratification de la CPI est un acte nécessaire pour consolider les jalons de la transition démocratique au Maroc.

Mohammed Belmahi, membre du Conseil du Barreau pénal international, regrette, lui, l’attitude du royaume qui devrait, selon lui, «adopter le traité de Rome au lieu d’avancer des justifications insensées et qui risquent de priver le Maroc de services dont il a grand besoin». Me Belmahi rappelle qu’«en agissant ainsi,le Maroc n’a pas tenu son engagement inscrit au préambule de sa Constitution, qui prévoit de respecter les conventions et les traités internationaux relatifs aux droits de l’Homme». La non ratification par le Maroc du statut de la CPI est également justifiée par une convention secrète que le royaume aurait signée avec les USA. Dans son rapport de l’année 2005, Amnesty dénonce que «le gouvernement américain a intensifié ses efforts pour saper le pouvoir de la Cour pénale internationale». Le gouvernement de G.W.Bush a approuvé, en décembre 2004, une disposition prévoyant de priver d’assistance économique et militaire certains gouvernements refusant d’accorder l’immunité aux ressortissants américains risquant d’être traduits devant la CPI. Cette mesure, mise au grand jour par l’ONG, est un des éléments de l’ASPA (American Service Member Protection Act), une loi adoptée par les USA en 2001 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Autant dire que repousser ainsi la ratification du traité permet à l’Etat marocain de faire d’une pierre deux coups. D’un côté, asseoir la sacralité du roi et de l’autre, faire plaisir à son allié américain dont il a bien besoin.

Taieb Chadi
Source: Le Journal Hebdomadaire

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com