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Les Marocains sont-ils racistes ?

«Aâzzi», «draoui» «hartani», des insultes que les Noirs résidant au Maroc entendent souvent, quand ils ne sont pas agressés à coups de pierre dans la rue.
Au début des années 2000, avec des flux migratoires importants venus d’Afrique subsaharienne, mis en exergue par les médias, un climat de xénophobie marquée s’est installé.
Les femmes sont moins racistes.

Maroc, terre d’accueil, d’hospitalité et de tolérance. Un cliché souvent rabâché. Pourtant, aujourd’hui, au Maroc, il existe une tendance xénophobe voire raciste. Il est des milieux où il est admis que le racisme anti-Noir fait partie de nos mœurs, où il est banalisé. Les étrangers originaires des pays subsahariens résidant dans notre pays, noirs donc, sont évidemment les premiers à en souffrir.

Le recensement de 2004 a estimé à 7 000 le nombre d’étudiants venus de ces pays et qui vivent au Maroc de façon régulière. Entre 8 000 à 15 000 personnes y résident d’une manière irrégulière selon les estimations des observateurs qui ont travaillé sur le sujet. Et les Marocains, du moins un certain nombre parmi eux, éprouvent un malin plaisir à les ridiculiser, à les railler dans la rue en raison de la couleur de leur peau. Certains chauffeurs de taxis refusent même de les prendre en course. Sans vouloir généraliser, les témoignages recueillis ne laissent planer aucun doute sur l’existence d’un racisme, latent ou manifeste, au sein de la population marocaine.


Dans la rue, un racisme primaire

Antoine, d’origine camerounaise, est âgé de 41 ans, dont 16 ans passés au Maroc. Il a d’abord suivi les cours d’une école de management, avant de faire l’Ecole d’Etat des infirmiers de Marrakech. Quand on lui demande s’il est ou a été l’objet de racisme de la part des Marocains, Antoine a beaucoup de choses à dire. Il n’a pas ressenti ce racisme pendant son parcours estudiantin, ce n’est qu’après avoir épousé une Marocaine, acheté un appartement en copropriété à Casablanca (boulevard de la Gironde), raconte-t-il, qu’il a été la cible d’un racisme qu’il qualifie d’«épouvantable». Certains voisins, dans son immeuble, n’hésitent pas à utiliser, en parlant de lui, des mots comme moussakh (sale), aâzzi (nègre), hartani (homme de second rang) et aâbd (esclave). Les choses se sont encore dégradées le jour où Antoine a ouvert, dans le même immeuble, une petite infirmerie pour exercer son métier. L’hostilité à l’égard d’Antoine et de sa femme, Meriem, Marocaine, est alors montée d’un cran. Les insultes à caractère raciste pleuvent dru. Pour lui mener la vie dure, ses voisins n’hésitent pas à colporter sur lui des ragots fabriquées de toutes pièces : «Ils m’accusent d’avoir un cybercafé à la maison, de ne pas payer mes impôts (comme s’ils étaient des agents du fisc), d’héberger des Africains clandestins, d’exercer le métier d’infirmier sans autorisation. Ils ont cassé les vitres et crevé les pneus de ma voiture... Combien de fois ne les ai-je pas entendus, derrière mon dos, jurer qu’ils “finiraient par renvoyer ce nègre chez lui”».
Le même traitement raciste a été réservé à trois autres Subsahariens qui ont loué un appartement dans le même immeuble, sous prétexte qu’ils étaient célibataires. Or, d’autres célibataires marocains habitent le même immeuble, qui ne sont pas le moins du monde inquiétés. Les voisins d’Antoine sont-ils donc tous racistes ? Non, loin de là, répond Antoine. «Plusieurs habitants ne sont pas d’accord avec ces agissements discriminatoires, mais ne le montrent pas, préférant plutôt se solidariser avec leurs compatriotes. D’autres frappent à ma porte en catimini pour une piqûre ou un médicament, ou m’appellent en pleine nuit, mais en cachette, pour me demander d’examiner un malade souffrant de fièvre ou de diarrhée...». Meriem, la femme d’Antoine, n’est pas non plus à l’abri. Ce comportement «xénophobe» est honteux, tempête-t-elle. «Je suis allé plusieurs fois au Cameroun, l’accueil qu’on me réserve là-bas est d’une chaleur humaine indescriptible. Si ce n’était mon mari qui s’y oppose, nous aurions déjà quitté le Maroc pour aller vivre là-bas».

Sur le boulevard Oulad Ziane, des dizaines de familles africaines élisent domicile dont un grand nombre d’étudiants. Esi, une Congolaise de 25 ans, en fait partie. Elle se plaint du concierge de l’immeuble où elle réside, qui lui a refusé, par exemple, l’utilisation de l’ascenseur le jour du déménagement. Raison : le concierge a eu peur des représailles des autres copropriétaires marocains. Heureusement que l’un d’entre eux, Abdallah, est intervenu in extremis pour barrer la route au concierge. Bacar, Sénégalais, lui, est journaliste de son état. Il vit au Maroc depuis 17 ans. Il n’a observé aucun comportement raciste à son égard dans son milieu professionnel. Il subodore toutefois que ses collègues n’en sont pas exempts mais ne le manifestent pas au travail. Toujours est-il que ce racisme, il l’a vécu plus d’une fois à l’extérieur, dans la rue. Un jour, il prend rendez-vous avec un responsable marocain pour les besoins d’une enquête dans le cadre de son travail. Ce dernier ne sait pas que son interlocuteur est noir. Quand il l’a en face de lui, il se rebiffe. Bacar s’entend souvent traiter de draoui dans la rue, et il a été exposé maintes fois à des jets de pierre quand il habitait dans un quartier populaire. Il se souvient encore de ce jour où un enfant le traite de aâzoua (nègre) devant ses parents sans que ces derniers ne réagissent. Bacar lui caresse les cheveux et lui dit sur un ton affectueux : «Ce n’est pas ta faute mon fils, mais celle de tes parents qui ne t’ont pas bien éduqué». Les parents, eux, ont fait la sourde oreille. A Dakar, ajoute Bacar, il connaissait beaucoup de Marocains, mais ceux qu’il rencontre à Casablanca sont différents. En classe, il n’a jamais vu un Marocain blanc s’asseoir à côté d’un noir.


Pour les Noirs français, les choses sont plus supportables

Le racisme anti-Noir est-il si ancré dans la société et la culture marocaines ? Richard et Olivier, respectivement manager et directeur commercial d’une société spécialisée en nouvelles technologies de l’information et de la communication à Casablanca, sont français de nationalité, Guadeloupéens d’origine, noirs de peau. Au terme de deux années passées au Maroc, ils ont déchanté. Le pays de la tolérance dont ils ont entendu parler quand ils étaient en France n’est pas celui qu’ils découvrent sur le terrain. Le pire est que ces Marocains qui les traitent de haut changent d’attitude quand ils apprennent que ces Noirs sont français. «Dans la rue, on a affaire à un racisme primaire épouvantable : mais quand des gens me traitent de aâzzi, je les traite, moi, de pauvres crétins», enchaîne Richard.

Ce qui aggrave les choses, ajoute Richard, c’est qu’en plus d’être racistes, certains Marocains profitent de la moindre occasion pour arnaquer les étrangers, quelles que soient la couleur de leur peau et leur nationalité. Arnaque, hypocrisie aussi : «Ils nous prennent pour des imbéciles : les mêmes personnes qui peuvent vous faire un scandale parce que vous buvez de l’alcool, vous les surprendrez en train de boire en cachette. Quant à l’Administration, les portes s’ouvrent comme par magie dès qu’on montre nos passeports». Sa nationalité française, Richard ne la révèle jamais au premier venu. « Je ne veux pas que les gens soient respectueux envers moi parce que je suis français, mais parce que je suis un être humain comme eux, au-delà de la couleur et de la nationalité».

Un bémol : selon Richard, les femmes sont beaucoup moins racistes que les hommes, plus tolérantes. Certaines ont noué une relation avec un Noir. Sauf que, dans ce cas, la famille peut s’opposer à un éventuel mariage car on n’accepte pas de Noirs dans la famille, surtout s’il est non musulman. Mais Richard, lui, malgré son sévère réquisitoire contre les Marocains, a fini par épouser une Marocaine, une métisse dont le père est noir, mais qui n’a jamais accepté que sa fille en épouse un. Cette dernière a, depuis, coupé toute relation avec sa famille. «Les Marocains ont une fâcheuse manière de juger les gens avant de les connaître», estime- t-il.

Pourquoi ce racisme ? Profond sentiment de supériorité qui puise ses racines dans l’histoire esclavagiste du Maroc de l’Antiquité comme le prétendent certains ? La pratique de l’esclavage a été interdite depuis mais jamais abolie de façon officielle dans les pays du Maghreb. Toujours est-il, qu’il perdure toujours, en ce début du XXIe siècle, dans certaines familles marocaines, un sentiment de supériorité vis-à-vis des hommes de couleur, fussent-ils marocains. Et cette relation raciste maître-esclave, on la retrouve encore chez certaines familles aisées qui traitent leurs bonnes ou leurs jardiniers, noirs ou blancs, comme des personnes de second rang. Les témoignages des Noirs victimes d’actes racistes au Maroc attribuent ce comportement surtout à un manque d’éducation qu’ils qualifient tous de «terrible». «Qu’il y ait eu des esclaves noirs au Maroc, et que les Marocains continuent dans leur subconscient de se considérer comme des maîtres supérieurs aux noirs, c’est leur affaire, mais nous n’avons pas, nous, à en payer le prix», s’indigne Olivier.

Pour d’autres, ce racisme n’est perceptible que dans les classes populaires. Pour Walter, originaire du Congo Brazaville, étudiant au Maroc depuis deux ans, les personnes cultivées sont ouvertes d’esprit. Dans les quartiers populaires, par contre, il y a les autres, ceux qui ne veulent avoir aucun rapport avec les étrangers d’Afrique, et qui les regardent de haut. Tout dépend aussi du comportement des Africains eux-mêmes, nuance Walter. «Moi, peut-être à cause de mon caractère extraverti, je suis très bien accueilli et j’ai même été à plusieurs reprises président du bureau des étudiants. Si on s’ouvre, on fera un grand pas vers l’intégration. Personnellement, j’ai pas mal d’amis marocains. J’étais en Algérie, je dirai que les Marocains sont plus ouverts que les Algériens et moins égocentriques.» Au Maroc, il s’agit plutôt d’un racisme primaire, confirme Mehdi Lahlou, enseignant chercheur et auteur de plusieurs études sur les migrations irrégulières. Les Marocains, selon lui, ont la fâcheuse manie de se sentir meilleurs que les autres. «S’ils prononcent des mots et font des gestes déplacés qui font du mal aux autres, c’est plus par ignorance et naïveté que par préméditation ou méchanceté.» Les médias publics audiovisuels, pour leur part, n’arrangent guère les choses en déformant l’image de ces Noirs d’Afrique subsaharienne, ajoute-t-il.

JAOUAD MDIDECH
Source : La Vie Economique

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