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Ces Marocains que leur pays tarde à reconnaître

Aucune nouvelle sur la réforme du code de la nationalité n'a été faite une année et demie après le discours royal de juillet 2005. Des milliers d’enfants nés d’une mère marocaine et d’un père étranger attendent toujours de bénéficier du droit à la nationalité marocaine. La société civile monte au créneau pour dénoncer cela. Les raisons de ce retard seraient liées à des préoccupations d’ordre sécuritaire.

L’inquiétude est à son comble : les enfants nés d’une mère marocaine et d’un père étranger attendent toujours avec angoisse et impatience la réforme du code de la nationalité censée leur donner désormais droit à la nationalité marocaine, tout comme les enfants nés d’un père marocain. Leur espoir, et celui de leurs mères, a grandi depuis le 30 juillet 2005, jour où le Roi Mohammed VI avait évoqué, dans le discours du Trône, la nécessité de cette réforme. Depuis, aucune nouvelle. Pourtant, les propos du Souverain étaient on ne peut plus limpides. «Soucieux de toujours répondre aux préoccupations réelles et aux aspirations légitimes et raisonnables de tous les citoyens - qu’ils résident au Maroc ou à l’étranger -, nous avons décidé, en notre qualité de Commandeur des croyants, de conférer à l’enfant le droit d’obtenir la nationalité marocaine de sa mère», avait-il déclaré.

Le propos est solennel et la mesure annoncée n’est que la conséquence logique de la décision courageuse du Maroc d’instaurer, dans le nouveau code de la famille, l’égalité de l’homme et de la femme. Il fallait alors, pour plus de cohérence, harmoniser la nouvelle législation de la famille avec d’autres textes, dont, justement, le code de la nationalité. Les deux voisins maghrébins ont déjà franchi le pas : la Tunisie en 1997, et l’Algérie en 2005. Pour être au diapason de la majorité des législations du monde dans ce domaine, le Maroc n’a pourtant besoin d’ajouter qu’une toute petite mention «...et d’une mère marocaine» à l’alinéa 1 de l’article 6 de son code de la nationalité. Quoi de plus simple ?

L’impatience des mères marocaines qui ont contracté un «mariage mixte» est légitime. Celle de leurs enfants nés de père étranger ne l’est pas moins car ce sont eux qui vivent au quotidien les tracasseries administratives et les conséquences ubuesques d’une situation qu’ils n’ont pas choisie. Certaines de ces mères, par commodité, ont embrassé la nationalité de leurs maris pour bénéficier de certains droits, comme un passeport où elles peuvent inscrire leurs enfants en cas de voyage à l’étranger. C’est le cas de Fatiha, 43 ans, mariée à un Français depuis 1995 (divorcée en mai 2006). Elle a deux filles, de 7 et 9 ans. Au niveau de leur scolarité, cette mère ne se plaint d’aucun problème car ses filles sont inscrites dans une école de la mission française. Elles ont d’ailleurs la nationalité française et peuvent se déplacer avec leur propre passeport et jouir de tous les droits comme citoyennes françaises. «Mon seul problème, s’inquiète-t-elle, est de les voir obligées une fois qu’elles auront18 ans, de renouveler, dans leur propre pays, leur carte de séjour chaque année. Que cesse cette discrimination à l’égard de la femme marocaine ! C’est une honte !».

Il n’y a «en principe» aucune opposition politique à la réforme
Depuis quelque temps, les familles tentent de faire entendre leur voix à travers les médias qui ont pris à bras le corps leur cause en publiant leurs témoignages (voir encadré en p. 59).Tout le monde s’interroge sur les raisons qui font qu’on n’a pas encore ajouté ces quelques mots, qui permettraient de réparer tant d’injustice, une année et demie après le discours royal. Pour lever enfin l’interdiction faite à ces enfants d’avoir, comme tous les Marocains, une carte d’identité, un passeport, de s’inscrire à la faculté ou de postuler à un poste dans la fonction publique ?

La revendication de la transmission automatique de la nationalité marocaine à l’enfant né d’une mère marocaine et d’un père étranger n’est pas nouvelle. Le groupe parlementaire de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) à la Chambre des représentants avait même, le 26 décembre 2002, soit deux ans avant le discours royal, déposé une proposition de loi pour réformer le code de la nationalité. En outre, le projet n’a rencontré aucune opposition politique, et le principe n’est contesté par aucun groupe parlementaire. Les politiques n’étaient pas les seuls sur le terrain : durant toute l’année 2005, avec l’aide de l’équipe du magazine Femmes du Maroc (qui avait publié un dossier spécial, témoignages à l’appui, sur le sujet), une pétition demandant la transmission de la nationalité de la mère marocaine à ses enfants nés de pères étrangers avait circulé sur Internet et avait rassemblé des milliers de signatures.

Alors, d’où vient le blocage ? Y aurait-il des courants attachés à la filiation patrilinéaire des enfants au détriment de l’égalité de la femme et de l’homme au point de mettre les bâtons dans les roues ? Une chose est sûre : alors que le projet de l’USFP était sur le bureau de la Chambre des représentants, le ministre de la justice, Mohamed Bouzoubaâ, a demandé (après le discours royal) son retrait pour confier la préparation d’un nouveau projet à une commission spéciale créée à cet effet. Aujourd’hui encore, ledit projet, devant aboutir à l’insertion de la mention en question, n’est toujours pas arrivé au Parlement, ni même été approuvé en conseil du gouvernement. Pourquoi dans ce cas-là, peut-on se demander, le Président du Parlement, Abdelouahed Radi, avait-il annoncé l’examen du texte de la réforme du code de la nationalité pendant la session d’avril 2006 ?
Impatientes et inquiètes, trente-trois associations de défense des droits humains et de la femme, constituées en réseau, ont envoyé le 28 novembre 2006 un mémorandum pour rappeler au gouvernement l’urgence de la réforme du code, qu’elles veulent voir se concrétiser notamment sur trois points précis. D’abord une modification claire de l’article 6 qui donnerait le droit d’être marocain à tout enfant né d’un père marocain ou d’une mère marocaine. La rétroactivité de cette loi, ensuite, afin que ceux qui sont nés avant sa promulgation puissent en profiter aussi. Le réseau associatif va plus loin en demandant dans son mémorandum une modification de l’article 10 également, afin de faciliter les conditions d’obtention de la naturalisation aussi bien pour le mari étranger que pour l’épouse étrangère (voir encadré ci-contre). Ne voyant aucune réponse venir, les militants de ces associations sont descendus le 6 décembre dernier dans la rue pour organiser un sit-in devant le ministère de la justice. Le département de M. Bouzoubaâ fait la sourde oreille. Le ministre, lui, n’a même pas pris la peine de recevoir les représentants de ce réseau pour leur communiquer l’état d’avancement des travaux de la commission.

Si rien ne bouge, l’ADFM prévoit de renforcer la pression
Rabia Naciri, présidente de l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) ne comprend pas ce silence. «Notre association reçoit quotidiennement des mères qui viennent demander des nouvelles et nous ne savons quoi leur dire, certaines commencent à désespérer. C’est le flou total. Si nous ne recevons aucune réponse en ce mois de décembre, nous serons obligés de renforcer la pression», avertit-elle. Amine Abdelhamid, président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), a une autre analyse. «Nous croyions après le discours royal du 30 juillet 2005 que le problème était réglé, dit-il. Or, 18 mois après, nous remarquons que le dossier n’a pas avancé d’un iota. Nous en déduisons tout simplement qu’il y a une résistance d’un courant machiste qui refuse carrément l’égalité entre la femme et l’homme». Vieux débat qui nous rappelle étrangement la bataille rangée idéologique et politique que se sont livré les deux clans à propos de la réforme de la moudawana : le clan des modernistes qui réclamait une refonte totale du code de la famille et le clan des conservateurs qui, lui, voulait maintenir le statu quo.

Ce qui fait dire à certains que, finalement, l’enjeu de la réforme du code de la nationalité n’est pas simplement d’ordre juridique, à savoir changer une loi par une autre, mais aussi et surtout d’ordre social et politique. Certains esprits englués dans la tradition verraient en effet d’un mauvais œil les enfants nés d’une mère Marocaine mariée à un étranger, qui n’est ni arabe ni musulman, jouir automatiquement de la nationalité marocaine. A l’image de cet élu proche du PJD. «C’est une menace de l’identité arabe et islamique du Maroc que d’ouvrir cette voie. De plus en plus d’étrangers épousent des Marocaines et s’installent au Maroc, et j’ai du mal à accepter que des enfants nés de pères chrétiens ou juifs jouissent de la nationalité marocaine. Le Maroc est d’abord un pays musulman et arabe, et il faut qu’il le reste», explique-t-il.

Une société multiconfessionnelle est une richesse pour le pays
Assertion balayée d’un revers de main par d’autres Marocains musulmans qui rétorquent ironiquement que le Maroc gagnerait à rallier à la nationalité et à la religion de leur mère ces enfants au lieu de les encourager à suivre celles de leur père étranger. L’attribution de la nationalité à l’enfant né d’une mère marocaine et d’un père étranger ne fera que contribuer à la modernité dans notre pays, rétorque Nouzha Skalli, députée PPS. «Contrairement à l’opinion conservatrice qui défend le patriarcat, qui a peur que les enfants suivent la religion de leur père, je considère qu’une société multiconfessionnelle est une ouverture sur les autres et une richesse pour notre pays», martèle-t-elle.

Au-delà de ce débat d’idées, la question reste entière : pourquoi la préparation du projet de loi sur la nationalité a-t-elle pris tant de retard ? Selon des sources proches du dossier, une ébauche de projet a bel et bien été rédigée, dont une copie a été soumise à des juristes marocains spécialistes en droit international privé pour donner leur avis. Si le gouvernement marocain tarde tant à rendre sa copie, c’est essentiellement à cause de préoccupations sécuritaires liées à la lutte contre le terrorisme. «Attribuer automatiquement la nationalité marocaine à des enfants nés d’un père étranger, encouragerait encore plus les Marocaines à épouser des étrangers. C’est un risque terroriste à ne pas négliger... ». Les pouvoirs publics temporisent et veulent réfléchir deux fois avant de trancher, ajoute la même source.
Une autre raison est invoquée pour expliquer ce retard: si l’on attribue la nationalité marocaine à l’enfant né d’une Marocaine, cela pourrait poser des problèmes aux personnes installées dans des pays qui interdisent la double nationalité (c’est le cas du Danemark, de l’Allemagne, de l’Arabie Saoudite notamment). Cet argument ne tient pas la route, selon la présidente de l’ADFM, «du moment que ces personnes auront toujours le droit d’opter pour la nationalité de leur choix».

Que dit le ministère de la justice ? Des sources proches de la commission qui planche sur le dossier ont affirmé à La Vie éco que le projet de loi sur le code de la nationalité ne souffre d’aucun blocage. Si sa préparation a pris un peu de retard, depuis le discours du Roi prononcé en juillet 2005, confirme la même source, c’est qu’«on veut prendre toutes les précautions pour que le nouveau code réponde aux aspirations et aux attentes des Marocains. Le travail est bien avancé et le texte sera tout prochainement soumis au conseil de gouvernement». Le ministère se refuse à toute autre déclaration quant aux questions de fond. Pour la plus grande déception des familles concernées qui, en attendant, n’ont d’autre choix que de prendre leur mal en patience.

Naturalisation... le parcours du combattant
Neuf cents demandes de naturalisation ont été déposées entre 2003 et 2005 selon le ministère de la justice, dont la moitié émane de ressortissants algériens. 1400 personnes ont pu obtenir cette naturalisation depuis l’indépendance du Maroc, dont plus de 60% sont de père algérien. Cela dit, il y a des milliers de Marocaines mariées à des étrangers qui ne sont pas installées au Maroc et dont les enfants souhaitent acquérir la nationalité marocaine n’étaient les conditions drastiques posées par l’article 11 de l’actuel code qui stipule : «Avoir sa résidence au Maroc au moment de la signature de l’acte de naturalisation, y justifier d’une résidence habituelle et régulière pendant les cinq années précédant le dépôt de sa demande, être majeur, sain de corps et d’esprit. Etre de bonnes mœurs et n’avoir fait l’objet ni de condamnation pour crime, ni de condamnation à une peine restrictive de liberté pour un délit infamant, non effacée dans l’un et l’autre cas par la réhabilitation. Justifier d’une connaissance suffisante de la langue arabe et de moyens d’existence suffisants

Vous avez dit valeurs universelles ?
Outre l’article 6 qui exclut de la nationalité marocaine les enfants nés de mère marocaine et de père étranger (ils sont pourtant marocains s’ils sont de père inconnu), l’énoncé de l’article 9 cultive l’intolérance, et ce au détriment des valeurs universelles des droits de l’homme auxquelles le Maroc a adhéré. «Sauf opposition du ministre de la justice, stipule l’article, acquiert la nationalité marocaine, si elle déclare opter pour celle-ci, toute personne née au Maroc d’un père étranger, lui-même né au Maroc, lorsque ce dernier se rattache à un pays dont la fraction majoritaire de la population est constituée par une communauté ayant pour langue l’arabe et pour religion l’islam et appartenant à cette communauté»

Jaouad Mdidech
Source: La Vie Eco

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