Menu

Comment le Maroc a éradiqué le trachome

Le Maroc a réussi à éliminer cette maladie des yeux qui était encore très présente dans le sud du pays pauvre et semi-désertique.

Le trachome est une de ces maladies sournoises qui frappent les pays en développement. Transmise surtout par des mouches, cette infection touche en majorité les enfants et rend aveugles ceux qui ne sont pas traités avant l'âge adulte. C'est aussi une maladie de la pauvreté et du manque d'hygiène. Elle sévit depuis des siècles chez des populations isolées à faible revenu où l'eau est rare. Comme dans le Sud marocain, où le trachome persiste dans quelques poches autour de cinq villes bien connues des randonneurs amateurs de désert : Ouarzazate, Errachidia, Figuig, Tata et Zagora.

En 1997, le Maroc a décidé d'éradiquer cette maladie. En 2006, ce pari est sur le point d'être gagné. L'événement a été fêté avec faste par les autorités sanitaires du royaume. Rabat attend désormais le feu vert définitif de l'Organisation mondiale de la santé pour annoncer la nouvelle : le trachome est officiellement éliminé des provinces du Sud-Est. « Cette maladie vieille de plus de 5.000 ans est le sous-produit de l'ignorance et de la pauvreté. Nous avons gagné une partie et il faut maintenir l'effort », indique Jacob Kumaresan, qui dirige l'International Trachome Initiative (ITI).

Cette institution internationale s'est fixé comme objectif d'éliminer cette maladie de la surface de la planète d'ici à 2020. Selon les données de l'OMS, près de 84 millions de personnes dans le monde sont exposées à ce risque essentiellement dans les ceintures tropicales de la planète. De par leur proximité avec les enfants, les femmes sont largement plus atteintes que les hommes. « Dans tous les pays touchés, les trois quarts des malades sont des femmes », précise Jacob Kumaresan.

Sans être complexe ni coûteuse, la lutte contre le trachome comprend quatre volets complémentaires et indissociables : la mise en place de structures médicalisées assurant la chirurgie pour les personnes déjà atteintes, le traitement préventif par antibiotique, l'information, l'éducation et l'amélioration du niveau économique et sanitaire des populations vulnérables. « C'est au début des années 1990 qu'un programme spécifique de lutte contre les maladies oculaires a été créé au ministère de la Santé », indique le docteur Noureddine Chaouki, directeur de l'épidémiologie au ministère de la Santé à Rabat. Pratiquement quinze ans d'efforts pour éliminer une maladie qui menaçait environ 300.000 personnes vivant dans des villages perchés dans les contreforts du Haut Atlas.

Sensibiliser à l'hygiène
Dans certains de ces bourgs très reculés, l'analphabétisme, le manque de ressources et d'hygiène sont le lot commun de populations en majorité berbérophones. C'est le cas du douar Afra Labrabere à une trentaine de kilomètres de Ouarzazate : 1.600 habitants et 140 foyers vivant d'un peu d'agriculture et d'artisanat. La première priorité pour améliorer l'ordinaire a consisté à assurer la disponibilité d'eau potable dans les foyers et à mettre en place des séances de formation dans l'école. Avec un budget de quelques milliers d'euros, on réussit parfois des miracles. A Afra Labrabere, la majorité des foyers est désormais raccordée à un réseau d'eau potable grâce à la construction d'un puits et d'un château d'eau. En même temps, une campagne d'alphabétisation a été enclenchée et des séances de sensibilisation à l'hygiène chez les jeunes enfants ont été lancées. Ces investissements de base ont eu un effet direct sur la maladie. Un critère permet de mesurer l'impact de l'arrivée de l'eau potable : le nombre de visages d'enfant propres. « Le trachome n'est pas seulement un problème strictement médical. C'est essentiellement le reflet de problèmes socio-économiques », juge Noureddine Chaouki.

Opérations à la chaîne
Dans la province de Ouarzazate, où vivent près de 500.000 personnes (dont 350.000 en milieu rural), la prévalence du trachome était de l'ordre de 30 % de la population en 1993. Selon les données du ministère de la Santé marocain, elle est tombée aujourd'hui à environ 0,2 %. Dans la région de Zagora, la prévalence de la maladie atteignait 70 % de la population. Pour soigner les personnes atteintes, les autorités marocaines ont développé des méthodes d'opération « à la chaîne ». Un corps de « chirurgiens de campagne » composés de médecins et d'infirmiers a été constitué.

En fait, l'opération d'une quinzaine de minutes dans un environnement non stérile est une incision précise qui peut être pratiquée par des professionnels bien entraînés. Dans la province d'Agadez, plus de 5.000 personnes ont été opérées depuis 1998.

Parallèlement, la distribution d'un antibiotique spécifique (azithromycine) a été généralisée. Le laboratoire américain Pfizer s'est engagé à fournir gratuitement la totalité des médicaments nécessaires jusqu'à l'éradication complète de la maladie dans le monde, espérée pour 2020 (40 millions de doses). Selon Henry McKinnel, président de la firme, ces actions philanthropiques font désormais partie de la stratégie de l'industrie pharmaceutique. « Cette année, nous allons dépenser pas loin de 1,6 milliard de dollars en cash et en dons de médicaments dans des actions philanthropiques dans les pays pauvres », indique Henry McKinnel. Mais le monde industriel est sans pitié. L'ancien CEO de la firme new-yorkaise a été récemment débarqué de son fauteuil de directeur général opérationnel par le conseil d'administration du groupe new-yorkais pour résultats insuffisants. Il occupe désormais le fauteuil honorifique de président du premier groupe pharmaceutique mondial.

Alain Perez
Source: Les Echos

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com