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Petites histoires marocaines de bakchich, tadwira, dehna, hlawa, l’paille…

Annulation de contraventions, papiers administratifs, permis de construire, votes d’élections locales et même législatives, marché public… Sous nos cieux, rien d’impossible à obtenir pour qui peut y mettre le prix. De quelques pièces à des millions de dirhams, le bakchich fait la loi et reste au dessus.

Petite ou grande, et la distinction est de taille, la corruption revêt bien des aspects. Corruption d’agent public, soustraction ou détournement de biens publics, blanchiment de produits du crime, trafic d’influence, abus de fonction… Elle se définit de façon plus générale comme l’utilisation d’un pouvoir, quel qu’il soit (administratif, politique…), ayant un intérêt public, à des fins privées et l’étude de ses facteurs facilitateurs aurait depuis longtemps livré ses conclusions. L’économiste Clitgark les résume en une simple équation. Corruption = (Monopole + Pouvoir – Transparence). Et le Maroc n’échappe pas à la règle. N’en déplaise aux regards tronqués qui lui trouvent comme explication manchote la faiblesse d’une situation économique où les besoins dépassent largement les possibilités, "le pouvoir discrétionnaire dénué de tout contrôle, les situations de monopoles et le manque d’information sont les tenants principaux de l’existence et de l’étendue de la corruption au Maroc ", selon Azzedine Akesbi, économiste et représentant de Transparency Maroc.

Ainsi, tout se monnaie, s’achète, se troque ou se vend et le Maroc tient le haut du pavé en matière de corruption. Une réputation dûment justifiée à l’intérieur des frontières et qui fait son bout de chemin en dehors, traînant son lot d’inquiétantes conséquences. Sur les 160 pays sondés par Transparency international en terme d’indice de perception de la corruption, le Maroc occupe la 78ème place en 2005. Un autre chiffre est néanmoins plus accablant : 40ème rang en 1999, soit une chute " vertigineuse " de 56 places au box office de la transparence ou, devrait-on dire, de l’opacité… en 6 ans seulement, paradoxalement, celles de la nouvelle ère. La corruption se répand donc comme une traînée de poudre. Le mal n’épargnerait aucun secteur d’activité et il n’est pas un jour sans qu’il ne fasse les preuves de son omnipotence. Quelles sont les raisons d’une telle débâcle ? A qui ou à quoi doit-on ce terrible état de fait ? Quelles sont les sphères les plus minées ? Aucune réponse formelle. Une seule chose est sûre : au pays de l’ombre, le bakchich est roi. Petit récapitulatif des chasses gardées d’une perversion galopante.

La santé: Débourse ou souffre en silence !
ImageC’est l’histoire de Madame A et Madame B, toutes deux au terme de leur grossesse et qui ont comme autre point commun d’être en travail exactement au même moment. Elles se présentent donc à la maternité, Madame A, largement en avance sur Madame B. Celle-ci est pourtant conduite à la salle d’eau, préparée, installée dans un box vide comme le sont trois autres et nettoyée (différence de taille). Tout le monde est aux petits soins. On la congratule, la tranquillise. Elle aura même droit à une perfusion et des ciseaux d’épisiotomie… stériles (différence de taille également). Quand au bébé finalement arrivé, il sera lavé, aspiré et habillé avant d’être remis à la maman sous une pluie de compliments. Pendant ce temps, Madame A, toujours tordue de douleurs, est sommée de souffrir en silence en attendant que la sage-femme ayant fini d’accoucher Madame B se repose, finisse de dîner et qu’un box, vide mais certainement pas nettoyé, se " libère ". Petite précision, Madame B avait eu la bonne idée de se prémunir d’un billet de 100 Dhs qu’elle n’a pas hésité à glisser dans la main de l’infirmier de garde, lequel le partagera à parts établies avec la sage-femme et l’agent de nettoyage.

De l’autre côté de la ville, c’est aux urgences qu’un autre trafic se trame. Encore mieux rodé que le premier, celui-ci est même doté d’un rabatteur. Officiellement, les patients arrivent, payent 60 Dhs leur consultation au bureau des entrées et attendent leur tour. C’est pourtant un autre circuit que les plus chanceux pourront emprunter. Accosté par le rabatteur, le consultant se voit proposer de ne payer que la moitié de la mise et consultera avec le ticket récupéré d’un autre patient, moins de dix minutes après son arrivée contre une moyenne d’attente de 3 à 4 heures pour les autres. Il aura même le privilège d’être accompagné par l’un des infirmiers du service qui le présentera au seul médecin présent, submergé et peu regardant, comme un membre de la famille. Neuf fois sur dix, le médecin ne se rend pas compte de la supercherie ou s’exécute à défaut de devoir continuer seul la garde, les infirmiers, agents de transports et autres personnels s’acharnant à lui compliquer la tâche.

Quelques étages plus hauts, il suffit d’un seul regard pour identifier de visu les payeurs. Dans une même salle d’hospitalisation, Mr X. baigne dans ses mouches, une poche de sérum, vide depuis plusieurs heures déjà, accrochée au bras, tandis que son voisin direct, Mr Y. se voit changer de draps, de pot de chambre et de sérum à la demande en attendant de le changer… de salle, et pourquoi pas, une chambre individuelle pour les plus généreux.

Le secteur sanitaire est ainsi pris en otage par une petite corruption omniprésente sans que nul n’y ait trouvé de solution. A chaque fois qu’un chef de service, directeur ou autre s’y attaque, la réponse n’est ni plus ni moins que la levée de boucliers coutumière de toute une corporation qui ne menace pas moins que d’arrêter le travail sous forme d’une grève générale, paralysant ainsi l’ensemble d’un système qui ne peut se le permettre.

L’administration: Paye pour obtenir ce à quoi tu as droit.
Pour la transition et pour ne pas avoir à chercher bien loin, le fameux certificat d’indigence. Comme son nom l’indique, tout indigent est en droit de réclamer l’attestation qui lui permettra d’accéder, entre autres services étatiques, à des soins de santé gratuits, comme le stipule la loi. Néanmoins, le sésame se monnaie argent comptant et à défaut de ne l’obtenir qu’en même temps que le certificat de décès, la majorité des demandeurs, indigents donc, paieront leur " droit " à la pauvreté, avant les dizaines de photocopies exigées à titre administratif à chaque fois que le malheureux aura le malheur de présenter le certificat chèrement obtenu. Parallèlement, certains nantis l’arboreront, obtenu également et " légalement " de la même manière.

Une autre expérience, plus caustique mais non moins dramatique, est celle du certificat de vie. Présentez-vous donc en personne, muni de la pléthore de papiers exigés à défaut de votre simple souffle devenu insuffisant, et attester de votre qualité de vivant ne sera toujours pas gagné. Un billet de 20 dh, ou deux si votre présentation le laisse présager, suffiront par contre à retirer la preuve de votre existence. Quant aux actes de naissance, attestations de logement et autres menus fretins, beaucoup choisiront de glisser quelques pièces au milieu du dossier plutôt que d’avoir à payer les 4 ou 5 tickets de bus et le comprimé de paracétamol que deux " revenez demain peut-être " (au minimum !) et de longues attentes en plein zénith exigeront de toute façon. Pour les plus riches, et toujours contre services rendus, consultations gratuites ou plus simplement espèces versées, la moqataâ s’est même dotée d’un service de livraison à domicile où, bizarrement, même les timbres sont offerts et avec les compliments de l’administration marocaine.

Dans des sphères plus élevées, permis de construire, révision de taxe ou de dossiers fiscaux, chaque chose à son prix. Construire un R4 en lieu et place des R2 exigés par le plan urbanistique, qu’à cela ne tienne. Il en coûtera au promoteur un appartement mis au nom de la femme, de la tante ou de l’enfant de l’administrateur concerné. Certaines communes sont beaucoup moins exigeantes, et à défaut d’une Taxe de redevance d’habitation, collecte de déchets ou d’effort de développement (appelez-la comme bon vous semble), estimée à 20.000 Dhs, il ne sera demandé que la moitié. On omettra juste de remettre le reçu de paiement. Les exemples de corruption administrative foisonnent. La tour d’ivoire imprenable n’est autre qu’un véritable gruyère, tout dépend d’où l’on se place. Avec les départs volontaires, ce sont de véritables réseaux qui se sont organisés et mis à la disposition du secteur privé. Que ne ferait-on pas pour un ancien collègue !

La route: La vitesse tue ! La tadwira aussi.
Ce n’est vraiment pas cher payé pour voir ce que son petit bolide a dans le ventre, 160 km/ heure. 100dh. Et c’est toujours moins cher que 400 Dhs surtout lorsqu’en prime, le gendarme vous donne le salut avant que vous ne redémarriez en trombe. En général, le montant est proportionnel au prix de la voiture. 100 Dhs pour une BMW, 50 Dhs pour une berline plus modeste. Sur l’autoroute Rabat- Casa, et si l’on n’a plus qu’un billet vert, le gendarme aura même l’amabilité de faire la monnaie et de rendre les 20 pièces nécessaires au péage.

Sur la route de Marrakech, le tarif est moindre. Cinq Dhs par camion quelle que soit sa vitesse ou son tonnage, balancé par la fenêtre à chaque " poste frontière " ou discrètement déposé sur le rebord de la portière. Sauf week-end de fête, de réveillon ou de festival du cinéma. Là, c’est la haute saison et, forcément, le ticket voyage est plus cher. On se fait même pistonner pour y être envoyé. C’est toujours mieux que de faire le pied de grue Route des Zaërs à Rabat, où arracher le moindre copeck à un nanti du Souissi, forcément Général ou Colonel d’armée, haut cadre, ministre ou ministrable, est de l’ordre de l’impensable. Le mieux pour un policier de la capitale étant encore de prendre 10 Dhs pour " garder " une voiture stationnée en 2ème position en plein centre-ville. Chose encore possible avant l’arrivée des Bobbyes. Avant que ces derniers n’aient cassé le marché en réduisant l’offre à 2 Dhs. Heureusement qu’ils ont été dissous ! Trop de corruption casse la corruption. Dans sa politique de sécurité routière, le Maroc projetait de mettre en place un système d’amendes au tarif très élevé et donc dissuasif. 7000 Dhs, révisée à 3000 Dhs pour un excès de vitesse et la certitude de voir ainsi la corruption routière littéralement exploser. L’amende correspondant au salaire même du représentant de l’autorité qui se contenterait bien de la moitié ou du 1/3.

L’autorité: Allonge ce que tu veux !
La corruption de l’autorité marocaine quelle qu’elle soit est la preuve de son caractère intra-institutionnelle. Partout, le représentant de cette autorité étatique proposera le moyen de berner son employeur, se plaçant au service du particulier " payeur " ou au simple service de ses propres intérêts.

L’inspecteur des Impôts : Casablanca, M. R, directeur d’une société d’import-export, se voit notifier la conclusion annuelle de son examen fiscal. 300.000 Dhs. Deux jours plus tard, il est spontanément contacté par son inspecteur des impôts qui lui propose de le visiter. C’est dans les bureaux même de l’entreprise que le représentant du fisc offre de jouer les experts comptables et de ramener la note à 30.000 Dhs tout compris (dont 10 % pour lui). Il usera de toutes les manœuvres et calculs nécessaires, souvent dans le plus grand respect de l’ordre légal. Qui mieux que lui en connaît les rouages !
L’inspecteur des Douanes : 500 km plus au nord, la Douane fait aussi son jus, et selon différents observateurs, se placerait comme la plus corrompue des représentations d’autorité du pays. Petite et grande corruption s’y mêlent au grès de la demande. Le genre de corruption qui, démultipliée, finit toujours par entrer dans la cour des grands, museler de facto la législation et détruire des secteurs entiers de l’activité économique marocaine. Le petit passeur paie le petit douanier qui remet sa part au plus grand. 5% du pactole serait le tarif en vigueur. Les grosses têtes du trafic (électroménager, voitures, drogues…) arrosent les plus grands, et cela se chiffrerait en millions de Dhs, qui remettent à leur tour leurs parts au plus petits. Là aussi, les mutations à la région Nord se monnayent aux prix fort.

L’inspecteur de police : de plus petit calibre, la corruption policière est désormais coutumière. Avant même la justice, c’est au dépôt de plainte que tout est joué. Peu importe qui est la victime, elle sera forcément celle ou celui qui aura tiré le plus gros billet de sa poche. M. l’inspecteur aura même l’amabilité de taper votre plainte comme votre procès verbal sans que vous ne pipiez mot. De même pour celui qui sera d’emblée désigné coupable. Une bonne claque était largement suffisante pour lui faire signer le bas du document.

La justice: C’est moi qui juge ! C’est toi qui banque !
L’histoire avait fait le tour de la bonne société casablancaise. Fin 90, le jeune M. B sort d’une discothèque courue de la Corniche. Il grimpe au volant de la mercale paternelle accompagné de quelques amis, tous aussi faits les uns que les autres. Un samedi soir sur la terre… sauf que celui-ci fauchera la vie d’un gamin de neuf ans qui vendait des cigarettes sur la corniche, ayant eu la mauvaise idée de traverser à cet instant. Très vite les parents, les flics et les représentants judiciaires sont présents. Evènement grave pour certains, gros coup pour d’autres. La mort de l’enfant et le silence de la justice coûteront 120.000 Dhs.

Bien plus récentes, l’affaire de Madame D, épouse de Maître D, qui non contente d’avoir été soupçonnée d’avoir battu une petite bonne à mort il y a quelques années déjà, récidive son expérience judiciaire en heurtant un passant de plein fouet, laissé pour mort sur la chaussée. Là aussi, l’expérience judiciaire en reste aux prémisses, puisqu’à l’incubation de la lumière, Madame D est déclarée suivie en psychiatrie ( ?), non responsable de ses actes et hospitalisée dans la journée même au service ouvert femmes de l’Hôpital Ghazi de Salé. C’est là que toute sa famille et ses amis ont pu lui rendre visite des mois durant.

Moins grave mais tout aussi glauque, la corruption des petites mains de la justice est un phénomène quasi constant. Contre enveloppe, la secrétaire fera disparaître un dossier, l’huissier de justice déclarera n’avoir trouvé personne au non cité et pas même l’adresse, la Aârifa jurera ses grands dieux n’avoir rien eu d’autre à se mettre sous la dent qu’un carton de vaisselle écornée.

Dame justice est certainement la plus cupide des dames de ce pays. Elle s’applique en dessous de table et se joue au plus offrant. Les exemples de son aveuglement sont légions et l’on ne choisit plus un avocat pour ses qualités d’orateur mais de ce que l’on sait de son réseau de juges corrompus. Qu’importe qu’il y ait des preuves et des témoins, toute chose peut disparaître et se faire museler, même les évidences.

L’enseignement: Rome disait : n’apprendra que l’homme nanti.
Dans le monde rural, la corruption à l’école, petite, certes, à cette échelle, est néanmoins une tradition. Le pain et l’eau sont une dîme établie et que l’on ne discute plus ni dans le fond ni dans la forme. Chaque enfant devra aller puiser l’eau et ramener deux pains faits maison à son professeur et ce à tour de rôle. Pas très méchant, diriez-vous, en particulier devant les grands scandales de l’Education nationale et de l’enseignement supérieur, et en premier lieu l’absentéisme indécent et rarement puni.

Les notes académiques de baccalauréat comme les inscriptions dans certaines écoles supérieures ou facultés feraient l’objet d’appointements à qui de droit. Les bourses étatiques, à moins d’être incontournables pour certains esprits lumineux, aussi. Même si, dans ces cas là, les coupables sont rarement pris la main dans le sac, ce sont là des faits rapportés à défaut d’être systématiquement avérés. Le marché du livre scolaire demeure réellement la véritable manne. Au niveau académique, donc régional ou de manière plus modeste au niveau local, certains livres sont choisis en dehors des assortiments désignés par le ministère et des directives académiques. En témoigne en 2005 l’affaire du livre de lecture du cursus primaire, retrouvé dans des écoles relevant d’une certaine académie régionale où les directeurs et professeurs concernés, non contents d’avoir fait fi des choix pédagogiques et pécuniaires, ont porté leur dévolu sur un livre dont le contenu idéologique venait même à l’encontre de la réforme de l’Education nationale appliquée dès la rentrée 2003. On y voyait et y étudiait comment un jeune garçon poursuit sa scolarité avec assiduité pendant qu’une petite fille, photographiée un torchon à la main, doit se dédier aux tâches ménagères.

Non moins grave, le coup de filet de la Faculté de Médecine de Rabat. Aux résultats de la session d’examens de janvier, deux étudiants en Médecine demandent une révision de leur copie devant l’incompréhension de leur échec. Après maintes tentatives de camouflage, les vérifications sont faites et c’est un véritable réseau de fraudes qui est mis à jour. Contre paiement conséquent, les noms des copies étaient interchangés. Le cancre recevait ainsi la note de l’érudit et vice versa. Combien d’étudiants ont dû repasser une deuxième session et combien ont même dû refaire une année par ce sombre procédé ? Nul n’aura jamais la réponse. Les coupables, fait rare mais salutaire, sont aujourd’hui derrière les barreaux.

Les marchés publics: Qu’est-ce que tu m’offres ?
Un autre terrain de prédilection où la corruption fait la loi et la commission, au propre comme au figuré, est reine. Comment donc cela se passe-t-il ? La maîtrise d’ouvrage (le client), un ministère par exemple, lance un appel d’offres, qu’il est actuellement obligé de publier dans la presse. Toute entreprise intéressée (le prestataire) retire le cahier de charges établi par le client et postule ainsi à l’appel d’offres. Fait rarissime, il y a encore quelques années, tellement nul n’était dupe. Il aurait même fallu à l’avènement de la nouvelle ère : «appeler une à une les différentes sociétés présentes sur le marché pour les prier de participer, la majorité des appels d’offres restant sans réponse», nous explique-t-on. Aux jour et heure dits (jamais avant de peur qu’elles ne soient décachetées), les prestataires remettent une enveloppe scellée contenant elle-même trois autres. La première ou dossier administratif qui, incomplet récuse d’emblée la participation. La seconde ou méthodologie qui, selon les demandes et objectifs, explique le plan d’action choisi. C’est paradoxalement la dernière à être ouverte et étudiée. Et enfin la troisième sur laquelle, finalement, tout se joue et qui contient la proposition financière. Si la séance d’ouverture des enveloppes est, certes, ouverte aux participants qui peuvent ainsi contrôler l’application du strict protocole, il suffit d’avoir eu vent du budget dont dispose le client et bien souvent les langues se délient autour de la copieuse table bien fournie en liquides illicites. Ne reste plus qu’à approcher d’un ou de plusieurs membres de la commission concernée trouvant ainsi, bien plus que la méthodologie, les objectifs promis ou la proposition financière, un argument imparable. Le système est ainsi pipé et comme à l’accoutumée, la corruption n’obéit qu’à sa seule règle : le plus offrant !

La grande corruption: Va jouer ! T’es pas de taille !
A l’inverse de sa petite sœur, elle subsiste à travers le monde, aussi bien dans les pays développés que dans le reste du monde. Malgré les meilleurs indices de transparence, comme en témoigne, parmi d’autres, l’affaire ELF en France ou TEXACO aux USA, la grande corruption est l’amante cachée de bien des secteurs économiques entiers. Armement, énergie, marchés internationaux ou choix des pays de nouvelles implantations, des gros sous se brassent et passent de mains en mains entourés du plus grand mystère et souvent dans la plus totale impunité.

L’un des plus grands scandales financiers au Maroc est celui du CIH, exposé au grand jour courant 2001. La banque, semble-t-il, par directives de hautes instances, a débloqué de larges crédits sans études réelles de dossiers ni des capacités de recouvrement et encore moins de la viabilité des projets. Le déficit se creuse et l’étau se ressert. L’Etat est même obligé de se porter acquéreur de certains gouffres financiers. Un bouc émissaire est rapidement trouvé en la personne de son Président directeur général, Moulay Zine Zahidi, qui, à la suite d’une commission parlementaire où on lui interdit formellement de nommer certains responsables, décide de ne pas tomber seul et balance la sauce à la presse avant de fuir en Espagne où il est toujours en cavale.

A côté du coup de théâtre CIH, plusieurs autres grosses boîtes sont mises sur le grill, plus discrètement mais aussi sûrement. La CNSS (Caisse Nationale de Sécurité Sociale) est accusée de détournement de fonds. La BNDE (Banque nationale du Développement Economique) aurait surtout participé à développer ceux qu’elle voulait bien. L’OFPPT doit également répondre de ses actes, recouvrant des frais de formation en entreprises totalement fictives et remboursant des sociétés qui, pour certaines, auraient été créées à l’occasion par des fonctionnaires même de l’OFPPT.

Ainsi, la pléthore d’exemples et l’expérience personnelle de chacun objective l’omniprésence d’une fêlure qui, non seulement érode l’activité économique et la société, mais sape la gouvernance même de ce pays, et plus grave, mine les mentalités. En dehors de la presse, système de revendication parallèle, et de la justice qui, si elle n’est pas gangrenée jusqu’à la moëlle, souffre d’un sérieux et pathétique décalage entre les lois, les normes et leurs applicabilités, il ne subsiste qu’un seul organe de revendication, Diwan El Madalim. Un médiateur aux attributions très limitées et qui, pour preuve de son incompétence ou du moins de sa malposition, aurait réfuté près de 16.000 plaintes au courant de l’année passée, tandis que Transparency Maroc s’impatiente de l’aval et des financements d’un Centre d’aide juridique et légale aux victimes de la corruption. Mais qui pourrait lutter contre un mal qui demeure un problème de gouvernance, pour lequel il n’existe quasiment aucun système de recours capable de réduire l’immense déséquilibre entre l’administré et son administrateur. L’indice de perception de la corruption 2006 a été publié le 6 novembre dernier : 79ème rang mondial. Le Maroc a encore gagné une place dans le mauvais sens de l’échelle. Au royaume de l’ombre, le bakchich a encore de beaux jours devant lui.

Source: Le Journal Hebdomadaire

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