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L’opération f’tour sert 700 litres de harira par jour

Ils sont éclopés, mendiants, chômeurs, travailleurs ou simplement esseulés. Sur le coup de 18h, plus de mille jeûneurs se retrouvent tous les soirs de Ramadan, près de l’Ensemble artisanal, sur le boulevard de Bordeaux, à Casablanca. C’est que l’association Al Wifak leur offre gratuitement le f’tour, et ce, depuis neuf ans maintenant.

Al Wifak a été crée par des ex-membres de l’association Attoufoula Ashaâbia. Son premier objectif est l’aide à l’enfance et l’encadrement des jeunes. À six reprises, durant l’Aïd el Kébir, l’association a distribué des habits aux enfants démunis. Au total, ce sont 7200 enfants qui en ont profité. Al Wifak distribue aussi chaque année un peu plus de 200 cartables aux enfants. Des opérations de circoncision ont également été organisées à quatre reprises.

«L’opération f’tour a été lancée en 1995», explique Mustapha El Boudani, vice-président. Au départ, l’organisme accueillait une centaine de personnes pour la rupture du jeûne. «Chaque année, nous avons augmenté notre capacité d’accueil», ajoute-t-il.

Aujourd’hui, huit employés de cuisine et une quarantaine de bénévoles travaillent à l’organisation. Au total, un budget de 33 millions de dirhams y est consacré, soit plus de la moitié du budget annuel de l’association (50 millions de DH – n.d.l.r). «Ce sont des sociétés qui offrent les ingrédients comme le concentré de tomates, les œufs, les cubes de bouillon, etc. Et grâce aux cotisations des membres de l’association, nous achetons ce qui manque, par exemple le lait», poursuit Mustapha.

Pour permettre à plus de mille personnes de rompre le jeûne en même temps, il faut un véritable travail de moine. «Les employés en cuisine commencent leur journée vers 7h, puis sont ensuite relayés par une équipe d’après-midi», explique le vice-président.

Puisque chacun des invités aura droit à un deuxième bol de soupe, il faut préparer quotidiennement 700 litres de harira. «Et elle est délicieuse, je mange ici mieux que chez moi!», s’exclame Mustapha. On serait porté à le croire sur parole, car 80% de la « clientèle » revient chaque soir. «Certains possèdent même leur place!», lance-t-il en riant. Tout au long du repas, une dizaine de serveurs bénévoles s’assurent que les convives ne manquent de rien. Leur proximité permet aussi de prévenir les accrochages. « L’ambiance est généralement bonne. N’empêche qu’il y a parfois des gens qui prennent trop de beurre ou trop de soupe », admet Mustapha. Pour ce qui est de la sécurité des lieux, un camion de sapeurs-pompiers se gare chaque soir devant l’entrée du site. Il y demeure jusqu’à ce que les gens quittent, vers 19h. Le travail d’Al Wifak débute cependant bien avant la première journée de jeûne. « Aussitôt que les autorités nous le permettent, soit généralement un mois avant le début de Ramadan, nous commençons à préparer le site », indique Mustapha. Car, il faut bien le dire, l’endroit sert normalement de repère aux sans-abri.Il faut nettoyer les caniveaux, décortiquer les palmiers, installer les bâches et l’électricité. Bref, la tâche est colossale. Mais, pour Mustapha, il serait impensable de passer le mois de Ramadan sans cette opération. «Je prends mes vacances pendant le mois sacré depuis neuf ans afin d’organiser le f’tour. C’est une véritable drogue!».

Côté hommes
«Dans un café, on débourse 20 dirhams en moyenne pour le f’tour. Ici, en plus d’être gratuit, c’est d’excellente qualité», explique un artisan. «Pour moi, c’est carrément du cinq-étoiles. Parfois, ma famille m’invite. Mais je préfère venir ici, car la nourriture est meilleure», assure un autre homme. Car, il faut bien l’avouer, seule la moitié des bénéficiaires est réellement démunie. L’autre moitié est constituée essentiellement de petits travailleurs qui pourraient très bien subvenir à leurs besoins : maçons, chauffeurs, etc. Ils travaillent généralement dans les parages et profitent du repas gratuit. Une réalité qui ne dérange pas le moins du monde les organisateurs. Leur leitmotiv ? le Coran qui incite les fidèles à offrir le repas aux jeûneurs, qu’ils en aient les moyens ou pas.

Côté femmes
«Dieu vous bénisse!», s’exclame une des bénéficiaires, avant d’exprimer sa joie par des youyous. Car, à l’inverse des hommes, les femmes présentes vivent toutes une situation de précarité. La plupart mendient et n’ont pas de chez-soi. Pour les rares chanceuses qui ont trouvé refuge chez leurs proches, c’est souvent préférable de rompre le jeûne loin du tumulte de la famille d’accueil. Il faut toutefois se méfier, car, aux dires des organisateurs et même de certaines femmes, il y a parmi elles des « profiteuses ». Des opportunistes qui viennent dans l’espoir de se voir offrir des dons. En effet, chaque fin de Ramadan, l’association remet le surplus de nourriture aux femmes. Sacs de farine, sucre, thé, etc. La date de la remise des dons est maintenue secrète pour ne pas provoquer le jour venu. «Nous nous retrouvons parfois avec 300 femmes au lieu de la centaine habituelle. Malgré toutes nos précautions, elles alertent leurs amis par téléphone portable», s’indigne Mustapha.

Zakaria Choukrallah et Marie-Hélène Giguère
Source: L'Economiste

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