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Les enjeux de la manifestation antiraciste du 7 novembre

À l’appel de la LDH, du Mrap et des principales organisations syndicales (CGT, CFDT, CFTC, FSU, Unsa, Groupe des dix), tous les partis de gauche et plus d’une centaine d ?associations soutiennent le 7 novembre une manifestation contre le racisme et l’antisémitisme. Histoire d’une manif.

Avant même d’exister, le 7 novembre, dans les rues de nos villes, cette manifestation a une histoire. Celle-ci mérite d’être contée tant elle est révélatrice de la crise de notre société, et accessoirement de l’état de la gauche. L’initiative d’un grand rassemblement antiraciste unitaire revient au Mrap et à la Ligue des droits de l’homme. Elle remonte au mois de mai dernier. Dans l’esprit de ces associations, il s’agit de réunir autour des principes d’humanisme et de citoyenneté, et pour cela, de dépasser les clivages ethniques, religieux et partisans qui gangrènent depuis plusieurs années la société française. Il s’agit aussi d’effacer la désagréable impression laissée par les deux cortèges concurrents du 16 mai. L’idée ­ somme toute assez élémentaire ­ d’associer le combat contre l’antisémitisme, la lutte contre l’islamophobie et plus généralement le refus de toute forme de racisme fut avancée. Hélas, cette simple idée a très tôt rencontré l’opposition d’une coalition emmenée par le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) et l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), et comprenant SOS-Racisme et l’association Ni putes ni soumises (NPNS). Une opposition qui n’est certes pas parvenue à décourager les centrales syndicales et le mouvement associatif. Mais tout de même.

Six mois durant, ce fut une histoire de rendez-vous manqués, de claquements de portes, de propositions et de contre-propositions, de pas de clercs et de surenchères qui trahissent surtout l’embarras de certains responsables de ces associations, parfois proches d’un parti socialiste lui-même déchiré sur la question(1). Tour à tour, les cinq organisations réunies autour du Crif jouèrent la carte de la chaise vide (absences à une réunion préparatoire le 17 juin à laquelle elles s’étaient annoncées), de l’amendement (quasi approbation du texte d’appel par SOS-Racisme le 29 juin), puis de nouveau de la chaise vide (le 2 juillet). Ce n’est en fait que le 13 juillet que SOS en vînt à formuler dans un texte, au nom de toutes les associations précitées, une objection claire et à vrai dire guère surprenante : « L’antisémitisme est la violence raciste qui s’est le plus développée ces dernières années. Il mérite donc un combat spécifique et unitaire de la famille antiraciste, qui doit être mené indépendamment de l’évolution de la situation au Proche-Orient. » L’ennui, c’est que cette revendication de « spécificité » d’une forme de racisme par rapport à toutes les autres va précisément à l’encontre de la démarche des initiateurs de la manifestation, dont l’objet même est de surmonter ces clivages. Le 12 octobre, la Licra fait savoir officiellement que ni elle ni SOS, ni « un certain nombre d’organisations » ne participeront à la manifestation entretemps fixée au 7 novembre.

Six jours plus tard, dans une lettre adressée à Michel Tubiana, président de la LDH, et à Mouloud Aounit, secrétaire général du Mrap, le président de SOS, Dominique Sopo, pose cette fois un veto à la présence dans la manifestation de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), du Collectif des musulmans de France, proche de Tariq Ramadan, et de l’association Une école pour tous, qui mène le combat contre l’exclusion des jeunes filles voilées.

Brisons là ce récit en épargnant au lecteur d’autres péripéties, et disons les choses clairement. L’antiracisme aujourd’hui ne va plus de soi. Il n’est plus cette cause indiscutable qui réunissait autrefois la gauche, toute la gauche, contre l’extrême droite (comble d’ironie, c’est National Hebdo, le journal de Le Pen, qui peut se gausser dans son numéro du 28 octobre de ces antiracistes qui « se bouffent le nez »). La société française est traversée par des logiques nouvelles parfois plus fortes que l’antiracisme. Elles résultent sans aucun doute de l’affaiblissement d’une lecture sociale des conflits. La fumeuse théorie du « choc des civilisations », le ralliement d’une partie de la gauche aux dogmes du libéralisme économique ont contribué à privilégier des clivages de type communautariste au coeur même du discours politique. Le conflit israélo-palestinien sert d’exutoire ou de catalyseur à ces nouvelles logiques d’affrontement. Il n’y a face à cette situation que deux attitudes possibles. Ou bien on épouse les nouvelles lignes de clivage et l’on cède à la concurrence des victimes et à l’opposition des antiracismes selon des lignes de fracture communautaires, ou bien, au contraire, on trace de nouveau les contours d’un rassemblement qui refuse les clivages dessinés par les références ethniques ou cultuelles, ou encore les identifications aux protagonistes du conflit israélo-palestinien. On refait société en quelque sorte en amenant chacun à scander le slogan et à soutenir la banderole de l’autre, non en perpétuant éternellement le soupçon.

Certes, on doit entendre la revendication de spécificité de l’antisémitisme. Comme on peut entendre les affirmations de singularité de l’islamophobie. L’une se référant à la shoah et l’autre à la mémoire coloniale. On peut évidemment sans difficulté établir une hiérarchie dans les barbaries léguées par le siècle précédent. Des ouvrages, des colloques, des commémorations remplissent cette indispensable fonction. On peut aussi souligner les particularités de chaque expression d’un racisme tantôt fait d’invectives, d’agressions physiques, de profanations de lieux de cultes (comme ce fut le cas encore samedi dans le cimetière juif de Bromuth), et tantôt de formes plus insidieuses de discriminations sociales. Mais la manifestation du 7 novembre est un acte politique. Elle n’est pas destinée à établir un simple constat, mais à changer ­ un peu ­ l’ordre des choses, à surmonter les réticences et les préjugés. Elle n’efface évidemment aucune spécificité, ni ne gomme aucune histoire ; elle ne relativise rien. Elle est simplement destinée à réunir dans un même cortège des femmes et des hommes qui, dans une société déboussolée, hésitent entre ce qui peut les rassembler et ce qui, trop souvent, les divise. Voilà pourquoi il faut souhaiter son succès.

(1)François Hollande a finalement décidé de maintenir le PS dans le texte de soutien à la manifestation. Cela en dépit d’une opposition conduite par Julien Dray au bureau national.

Par Denis Sieffert (Editorialiste - Politis)
www.politis.fr

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