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Debbouze : « Je suis plus légitime qu'un petit-fils de collabo»

On attend avec impatience la sortie d' «Indigènes» de Rachid Bouchareb, où il se retrouve dans la peau de son arrière-grand-père tirailleur nord-africain pendant la guerre, libérateur la France.

Il ne fait rien à moitié. Quand il décide de s’investir, il y met tout son coeur, toute son énergie. Pourtant, Jamel est sur tous les fronts.

Après la saison sur Canal+ de l’émission « Jamel Comedy Club », rampe de lancement pour humoristes qui débutent dans le stand-up, l’idole des jeunes sillonne la France pour présenter en avant-première le film qu’il coproduit et dans lequel il partage l’affiche avec Sami Bouajila, Roschdy Zem, Samy Naceri et Bernard Blancan : «Indigènes», réalisé par Rachid Bouchareb et qui leur valut à tous un prix d’Interprétation masculine au dernier Festival de Cannes.

Ce film accomplit tout à la fois un devoir de mémoire et rend un hommage tardif aux tirailleurs nord-africains engagés en 1943 dans les forces françaises pour libérer la «mère patrie » du joug nazi.

Rendez-vous au Flore, son Q.G. à Saint-Germain-des-Prés. De son inimitable démarche chaloupée il arrive à l’heure dite pour déjeuner.

Faut-il encore s’en étonner? Il est éternellement gentil, souriant et attentionné. Passionné aussi, parce que le film «Indigènes»* fait date dans sa vie d’homme.

« Madame Figaro ». – On sent bien que le film de Rachid Bouchareb revêt une importance capitale pour toi...

Jamel Debbouze. – Ce film est chargé d’une signification particulière. D’abord parce qu’il arrive au bon moment; le mot «indigène» revient dans les conversations, s’immisce au coeur des débats. Ensuite parce que je trouve miraculeux qu’en 2006 un metteur en scène fils d’immigrés puisse faire un film sur une histoire d’immigrés avec d’autres fils d’immigrés. Rachid Bouchareb me
donne la chance de jouer le rôle de mon arrière-grand-père. C’est aussi une page de l’histoire de France qui se déroule à travers ces parcours. Ce film aura le même impact que «Glory», il y a vingt ans, et son premier bataillon black.

– Tu connaissais l’histoire de ces tirailleurs nord-africains ?

– En cinquième, ma prof d’histoiregéo, Mme Hidalgo, nous avait évoqué le cas des tirailleurs sénégalais. Mais on nous parlait plus de leur accoutrement que de leur parcours ou des vingt-cinq nations auxquelles ces tirailleurs appartenaient. C’est grâce au film que je me suis plongé dans cette histoire, notre histoire. Moi, je suis né en France, je suis français, mais c’est bon de se sentir appartenir à la nation française parce qu’on a donné de sa personne, par le sacrifice de son grand-père et celui de ses parents. Quand je repense au traumatisme du 21 avril 2002, il me paraît indispensable que ce film existe car il va vers une réconciliation nationale sans occulter une page essentielle de notre histoire commune. Il y avait autant de tirailleurs que de raisons pour lesquelles ils se sont engagés.

Mon arrière-grand-père – c’est très vague dans le souvenir de ma mère – a suivi le flux du village, un peu comme on quitte la maison familiale à dix-huit piges.
Il était berger. Par curiosité, et par amour de la France, il espérait découvrir l’eldorado.

– « Indigènes » a-t-il changé quelque chose en toi ?

– Ce film m’a fait prendre conscience que ce pays est le mien. C’est ici que j’ai écrit mon histoire. Je l’ai toujours aimé, et pourtant on a essayé de me dire que je n’y étais pas légitime. Il fallait toujours que j’en fasse cinquante fois plus que les autres pour être accepté, comme si cela n’allait pas de soi. On m’a souvent fait sentir que j’étais un étranger dans mon propre pays. Le sujet du film allait dans le sens de la réconciliation, alors que nos hommes politiques passent leur temps à mettre un camp contre l’autre. Est-ce qu’on ne stigmatise pas ces banlieusards ? Ce film va expliquer à mon petit frère que notre histoire, à nous, fils d’immigrés, passe par la France, parce que mes ancêtres ont versé leur sang pour elle. Pardon, mais je suis plus légitime qu’un petit-fils de collabo !

– Ton propos est très politique, non ?

– Il faut à tout prix casser le communautarisme. On en crève. À force de créer des clans, chacun finira par vivre dans sa tribu! Moi, je suis Monsieur Quotas. Il faut les imposer et les respecter, à tous les postes clés, avec une vraie visibilité pour redonner envie aux gamins des cités de se battre pour y arriver. On le voit déjà avec la télé et le foot. Il faudra bien un jour que cette société ressemble à son peuple.

– Un artiste a-t-il le devoir de s’engager comme tu le fais ?

– Artiste ou pas. Un artiste est un citoyen, et chaque citoyen a des devoirs. Mais chacun se bat avec ses armes. J’ai été élevé dans l’idée qu’il fallait se serrer les coudes.

– Mais quand toi tu parles, ça peut avoir une certaine résonance...

– Je reconnais que j’ai une certaine responsabilité, à cause des gamins qui m’écoutent. Je n’ai pas le droit de dire n’importe quoi. Sur le plan politique, j’essaie d’être fidèle à moi-même. Jusqu’à présent, je n’ai entendu aucun des candidats nous parler des vrais besoins, nous proposer des solutions. Je ne suis pas naïf, je sais bien pourquoi tous les candidats se font prendre en photo avec moi. Mais je ne veux pas être récupéré. En revanche, je me sers de ma notoriété pour faire aboutir des projets : je n’ai pas lâché l’aventure d’«Indigènes». C’est moi qui ai demandé à voir Sarkozy, Hollande et tous les présidents des conseils régionaux pour trouver des financements. Tous ont adhéré idéologiquement au projet, mais peu ont donné de l’argent!

– Le prix d’Interprétation masculine à Cannes ne t’a pas laissé indifférent...

– Et comment! Quelle belle manière de mettre en lumière le sacrifice de tous ces hommes! Ce film, je te le jure, va faire du bien à tous les jeunes «rebeus » et « renois» (beurs et noirs, en verlan), leur permettre de voir des héros qui leur ressemblent. Et puis, j’imagine que le jury a voulu aussi récompenser un vrai film, avec un propos, une ambition et un sujet en or, dans l’air du temps.

– Te voilà aussi Pygmalion, puisque tu soutiens les jeunes humoristes avec «Jamel Comedy Show »...

– Chez nous, il y a une solidarité naturelle. Il ne m’arrive jamais de manger seul au resto. T’imagines monter seul dans un jet privé? C’est nul, et en plus personne ne me voit ! C’est bateau, mais je crois au partage et au devoir de rendre ce qu’on a reçu. Avec mon ami Kader Aoun, on a donc eu l’idée de parrainer de jeunes talents qui rêvent de monter sur scène, et, comme je remplis les salles, ça leur donne un coup de pouce. Le théâtre de Dix-Heures est devenu un vivier de jeunes qui ont des choses à raconter, hors ghetto ou humour des banlieues. Le stand-up théâtralise une forme d’expression, comme hier le hip-hop est né dans les bâtiments des quartiers.

– Comment vis-tu aujourd’hui ta célébrité ? Plus sereinement qu’avant?

– Dès qu’il nous arrive quelque chose de fort, on culpabilise car on nous a expliqué qu’on n’était pas à notre place. La phrase qui me fait vomir et que j’ai le plus entendue : « C’est bien, ça, pour toi », comme si je devais me contenter de ce que j’avais car monter plus haut serait m’élever au-dessus de ma condition. Moi, je m’en suis servi comme d’un moteur. Au début, je croyais que c’était juste de la chance. Maintenant, j’ai accepté l’idée que c’était aussi grâce à moi, à mon travail et à mon talent. Cette confiance en moi me permet aujourd’hui, par exemple, de prendre en charge la production pour mener à terme des projets et les rendre possibles. C’est aussi pour moi une façon de me sentir libre. Le cinéma, c’est un métier de tisserands et de marchands de tapis; le talent vient des tisserands.

* En salle le 27 septembre

Propos recueillis par Stéphane Bern.
Source: Madame Figaro

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