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L'eldorado européen les a menés vers le Maroc

Bloqués au Maroc, ils sont de plus en plus nombreux à investir les villes du royaume en attendant mieux. Qu’ils soient Sénégalais, Rwandais, Nigérians ou encore Maliens, les migrants clandestins n’ont qu’un seul souhait : partir.

Se rendre enfin dans cette Europe perçue comme un Eldorado, pour laquelle la plupart ont voyagé sur des milliers de kilomètres. Le Maroc ne constitue qu’une étape, du moins l’espèrent-ils. Mais une étape qui tend pour beaucoup à durer plus longtemps que prévu. De la misère d’où ils viennent, ils trouvent une autre misère, avec son lot d’imprévus. Reportage.

Omar, 26 ans, est un jeune Congolais en quête d’Europe. Comme plusieurs de ses compatriotes, il a un jour quitté son pays dans le seul objectif, dit-il, de se rendre là “où il y a du travail”. Tenter sa chance car il n’y a “plus d’espoir” dans son pays d’origine. Ils sont des milliers à penser que leur avenir est désormais indissociable du “Vieux Continent”.

Ils sont nombreux à arriver clandestinement au Maroc, dernière étape avant l’Union Européenne. Selon Khalil Jemmah, président de l’Association des familles des victimes de l’immigration clandestine (AFVIC), ils seraient actuellement au nombre de 5000. Tous sont confrontés au même dilemme : quitter le Maroc, toujours dans la clandestinité et avec les risques que cela comporte, ou rester en attendant le bon moment pour partir. La deuxième option n’est presque jamais envisagée mais elle est pourtant la plus empruntée.

Par défaut. «Car pour la traversée, il faut beaucoup d’argent et de la chance, bien sûr», comme le rappelle Dospy, 24 ans, originaire du Libéria. En effet, la durée du séjour dépend des moyens financiers dont disposent les migrants. Ainsi, en attendant le jour du départ, Dospy devra trouver un moyen d’économiser la somme nécessaire à la réalisation de son périlleux projet. C’est dans le quartier de Takkadoum, dans la capitale, qu’il loge et qu’il travaille. Il est vendeur de vêtements de seconde main. Un job qui lui permet à peine de survivre. «Il me faudra des années avant de ramasser assez d’argent». Conscient de la difficulté de la tâche, il a déjà envisagé plusieurs possibilités. Comme par exemple recevoir de l’argent du Libéria, via sa famille restée là-bas. «Ils ont tout misé sur moi, je ne peux pas les décevoir», explique Dospy, lucide sur son rôle de relais. La solidarité et l’entraide sont plus que jamais nécessaires dans ces moments-là, quand l’enfant du pays part à l’assaut d’une vie meilleure. Car tous ces migrants clandestins laissent une famille derrière eux. Ils portent sur leurs épaules les espoirs de tout un clan. Comme ce fut déjà le cas pour son cousin, Ramsey, arrivé en France il y a plus de trois ans. C’est lui qui apporte l’aide financière la plus importante à Dospy, sans laquelle celui-ci ne pourrait envisager de quitter le Maroc. Mais tous n’ont pas la chance d’avoir une famille pour les soutenir. Joseph a perdu ses parents pendant le génocide au Rwanda, en 1994. Il a quitté un pays dans lequel il n’avait aucun avenir. «Que faire dans un pays où la misère et la violence n’ont pas de limites ?», s’exclame-t-il, légèrement excédé de devoir systématiquement justifier son départ du Rwanda. «L’Etat n’a trouvé aucune solution pour nous sortir de la crise, alors je dois me débrouiller ailleurs, au péril de ma vie. Au moins j’aurai essayé». Présent au Maroc depuis bientôt quatre ans, il fait figure “d’ancien”. L’itinéraire qu’il a parcouru du Rwanda jusqu’aux villes marocaines l’a assez endurci pour en faire presque un sage. Il n’a pourtant que 28 ans. Mais il a déjà été confronté aux dangers des frontières, de la mer, du désert, des forêts, des brigands, de la faim et, enfin, à celui des autorités des Etats traversés. A ce propos, le président de l’AFVIC dénonce les trop nombreuses «conditions de refoulement illégales et contraires aux droits humains» pratiquées le long des frontières marocaines. Joseph, victime de ces pratiques arbitraires, a trouvé refuge à Douar Hajja, une zone urbaine très pauvre située en périphérie de Rabat. Malgré les difficultés déjà subies, sa vie n’a jamais semblé aussi contraignante. Avant de devenir cordonnier, il a longtemps cherché à obtenir un emploi plus rémunérateur et surtout plus conforme à ses compétences. Personne n’a voulu de lui en tant qu’électricien. Pour cause de papiers. Sa situation au Maroc est irrégulière, personne ne veut donc risquer de l’employer. Joseph ne veut y voir que de la méfiance mal justifiée. Car, dit-il, «nous sommes tous en Afrique, dans un continent pauvre où le sous-développement règne, alors pourquoi ne pas s’entraider ?». Au lieu de cela, il estime que certains Marocains se comportent avec dédain envers les Subsahariens, comme ils sont communément appelés. «On nous prend tous pour des analphabètes», ajoute-t-il. Comme s’ils étaient incapables de travailler, comme si leur présence constituait une erreur à corriger rapidement. Joseph, Omar, Dospy et bien d’autres ne se sentent pas chez eux au Maroc. Ils ont fui leur pays d’origine pour transiter dans des pays où ils sont indésirables.

Les nouveaux pauvres
«Le Maroc n’est pas un bon pays d’accueil», assure Saïd, un Sénégalais déçu de constater que pour de nombreux Marocains croisés durant son parcours, ils ne représentent rien de plus qu’une “charge supplémentaire”. «Ils viennent avec leurs problèmes comme si nous-mêmes n’en avions pas assez», s’exclame un résident de Takkadoum, malencontreux voisin de Saïd. «Ils apportent leurs maladies chez nous», renchérit-il. Il fait ici référence à la prostitution des migrantes subsahariennes, phénomène de plus en plus développé sur les boulevards des grandes villes. Cependant, les habitants des quartiers populaires demeurent certainement les plus hospitaliers à l’égard des clandestins. Ils partagent des difficultés de vie finalement assez similaires : le chômage, les problèmes de santé, d’alimentation ou encore de transport. Khalil Jemmah ajoute à cela que leurs conditions de vie sont «lamentables, inhumaines et indignes d’un pays comme le Maroc». Ces migrants vivent dans leur grande majorité en vase clos, dans des sortes de ghettos. Ils investissent les zones urbaines défavorisées des grandes villes marocaines comme Rabat, Tanger, Casablanca ou encore Oujda. Le logement y est moins cher qu’ailleurs et l’anonymat assuré. Personne ne pensera à les déloger de ces quartiers réputés hostiles aux non-résidents. Ceux-là même qui découvrent, quelque peu étonnés, le phénomène que représente l’arrivée massive de migrants clandestins au Maroc. L’accès au royaume se fait par le sud et le désert, par le Nord à travers l’Algérie puis Oujda et enfin, nettement moins souvent, par l’aéroport de Casablanca. Jerry, instituteur à Bamako, est venu en avion. Son titre de séjour a expiré. En attendant de joindre l’Europe par la voie illégale, il mendie près des gares ferroviaires et routières des grandes villes. «Au début, c’était difficile car je me sentais rabaissé, mais je n’ai pas vraiment le choix». Il assume son statut de “nouveau pauvre”. Même si ses méthodes effraient le passant, décontenancé par la nouvelle vague de mendiants qui assaille les villes marocaines. «Je mendie en montrant mon désespoir car j’ai ainsi plus de chances de convaincre les donateurs». Si le Marocain est généreux avec ses mendiants, tradition musulmane oblige, il n’est pas forcément réceptif à la mendicité émanant des migrants subsahariens. «Il y a déjà tellement de pauvres dans notre pays que je ne peux pas supporter d’en voir de nouveaux», raconte un gardien de parking.

S’intégrer au Maroc
L’agacement d’une majorité de Marocains face à l’ampleur que prend le problème de l’immigration clandestine ne résout en rien celui de la xénophobie. Elle semble croître à mesure que le nombre des Subsahariens sans papiers augmente. D’après Khalil Jemmah, la xénophobie est bel et bien réelle mais la société civile se serait «très vite rendu compte du danger qu’elle représente». Ce qui n’empêche pas les cas particuliers de se multiplier. Mohammed, originaire de la Sierra Leone, considère être régulièrement victime de racisme. En plus de porter le “fardeau” de sa couleur de peau, il ne parle ni le français ni l’arabe. «Je communique à peine avec les Marocains, je fréquente presque exclusivement des gens issus de la même communauté que moi». D’autres, à l’instar de Rita, une jeune camerounaise de 21 ans, ont décidé d’apprendre le dialecte local. Ou du moins quelques mots et des expressions. «De cette manière les gens considèrent qu’on fait des efforts et nous apprécient plus». Apprendre la langue du pays permet aussi de trouver plus facilement un emploi. C’est ainsi que Youssouf, Sénégalais en transit depuis un an et demi, a pu obtenir un emploi chez l’un des menuisiers de son arrondissement. Musulman pratiquant, il s’est un peu plus intégré grâce à la religion. Les mosquées leur sont volontiers ouvertes. La croyance en Dieu, en un lendemain meilleur, est d’ailleurs commune à tous ces migrants clandestins présents sur le sol marocain. A défaut de pouvoir réaliser leur rêve dans l’immédiat, beaucoup conservent la foi d’y parvenir coûte que coûte.

Kawtar Bencheikh
Source: Le Journal Hebdo

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