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Maroc, porte vers l'Europe pour les clandestins asiatiques

Le phénomène n'est pas nouveau mais la focalisation sur l'immigration subsaharienne a fait oublier que les clandestins asiatiques choisissent de plus en plus le Maroc comme pays de transit vers l'Europe. Au Centre d'accueil temporaire pour immigrés (CETI) à Ceuta, plus de 200 Indiens ou Bangladeshis attendent leurs papiers.

Ils sont quatre. Tous habillés d'un survêtement blanc, fraîchement douchés et la mine timide, ils attendent assis sur un banc devant les locaux de l'administration du CETI (Centre d'accueil pour les migrants temporaires) de Ceuta. Cela fait certainement plusieurs mois qu'ils n'ont pas vu leur Bangladesh natal. Un léger sourire coupable sur les lèvres, ils inspectent ce nouvel environnement avant de se raconter. A leur arrivée au centre, peu de migrants s'épanchent sur leur périple. « Le premier jour, les gens sont souvent renfermés. C'est après qu'ils parlent », explique Valériano Hoyos, directeur du CETI. De toute façon, ici, on ne leur demande pas grand chose. Ce centre ouvert offre aux clandestins qui ont passé la frontière maroco-espagnole un modeste gîte, le couvert, la visite d'un médecin, d'un psychologue, d'un avocat, parfois des vêtements et même une formation en espagnol et informatique. Financé par le ministère espagnol du Travail, il vise l'intégration, « il n'y a pas de police ici », tient à préciser Valériano Hoyos. Ces quatre immigrés clandestins trouveront là environ 160 de leurs compatriotes, dont plusieurs familles, et environ 1 100 d'entre eux seraient passés par le CETI depuis sa création en 2000. Un phénomène qui a crû depuis que le Bangladesh, éternel dernier des classements des pays en terme de développement humain, est en proie à de violents problèmes politiques. Depuis 2002, les candidats à l'exil venus d'Asie (Inde, Indonésie, Pakistan et Bangladesh) sont de plus en plus nombreux à rejoindre l'Europe via le Maroc et les enclaves espagnoles de Ceuta et Melillia. Noyés dans la masse de Subsahariens, ils passent quasiment inaperçus mais la tendance s'accentue. Pour la seule province de Nador, 1 299 candidats à l'émigration clandestine, dont 292 Asiatiques, ont été appréhendés depuis le début de l'année 2006. Et au CETI, près de la moitié de la population est constituée d'Asiatiques.

« Si je rentre, on m'arrête »
Anwar Patoary a réussi à passer entre les mailles du filet. Il a dû débourser 5 000 euros pour rallier clandestinement Ceuta depuis le Bangladesh. Ce pensionnaire du centre depuis plus d'un an a fui son pays car il s'y sentait « persécuté pour des raisons politiques ». Un parcours de plusieurs milliers de kilomètres étalé sur de longs mois de fuite et de clandestinité dans les mains des mafias de la misère. D'abord, un avion de Dhâkâ vers Dubaï, puis un arrêt de 12 heures à Casablanca avant de repartir pour Dakar, puis un bus jusqu'en Mauritanie. Après quelques mois d'errance entre Nouakchott et les villes alentours, il embarque pour le Maroc via le Sahara où il reste un mois dans le désert. Il joint Rabat, puis Tanger et parvient à esquiver l'intense surveillance policière pour passer à Ceuta. Sa femme et ses deux filles sont restées au pays mais pour rien au monde il ne partira les rejoindre. En plus de son métier de cuisinier, Anwar appartient à un parti d'opposition à l'actuel gouvernement : « Si je rentre, on m'arrête. Ici je suis bien », dit-il en exhibant sa carte jaune qui lui permettra d'entrer sur « la peninsula » pour demander des papiers. La « peninsula »... Peu parlent espagnol mais tous connaissent le terme. Ceuta n'est qu'une étape et c'est le continent européen que tous ces immigrés visent. « Si nous n'avons pas de papiers, en Espagne, nous tenterons en France ou dans n'importe quel pays d'Europe. Nous pensons avoir une belle vie là-bas. Tous ces gens sont gentils, ils nous aident tout le temps », dit un autre Bangladeshi en désignant le personnel du CETI. S'ils se sentent bien dans le centre, rien ne leur garantit une situation viable en Espagne. En 2004, seulement 3% des demandeurs d'asile se sont vu accorder le droit de rester sur le territoire. Nombre de ceux qui ont reçu un avis d'expulsion restent illégalement et vivent de petits boulots. Mais l'espoir subsiste, alimenté par les récentes vagues de régularisation de clandestins en Espagne ou les témoignages de ceux qui sont là-bas. Et pour certains, le centre en lui-même est un gage de bonne situation. « On nous a parlé du CETI dans les journaux et sur Internet. On nous a dit qu'à Ceuta, il y avait un centre qui faisait les papiers. Alors nous sommes passés », raconte Zouaïa Moukhifa, arrivée d'Algérie via le Maroc avec son mari et ses enfants de 5 mois et quatre ans et demi. Venue « pour faire l'avenir », elle regarde, oisive, défiler les heures. Mais « au moins nous mangeons et nous dormons. Il manque juste le travail pour acheter des choses aux enfants », dit son mari. Et à 13 heures, la file d'attente se forme devant le réfectoire équipé de téléviseurs. Certains ont choisi de passer la journée dans le centre de Ceuta et ne seront tenus de rentrer qu'à 23h. On attend sa ration. Et ses papiers.

Les réseaux s'adaptent
« L'objectif principal est d'atteindre l'espace Schengen. Aujourd'hui, beaucoup transitent par le Mali ou l'aéroport de Casablanca », explique Khalid Jemmah, président de l'Association des familles de victimes de l'immigration clandestine (AFVIC). Tout dépend des réseaux mafieux. Le mois dernier à Tétouan, un chef de réseau et ses trois associés ont été arrêtés. Ils organisaient l'immigration clandestine vers Ceuta de personnes arrivées, notamment, d'Inde, du Pakistan et du Bangladesh grâce à des complices en Espagne et en Arabie Saoudite. Et en 2002 déjà, la presse marocaine se faisait l'écho de l'arrestation d'un émirati à la tête d'un réseau d'immigration clandestine venue d'Asie. Si le Maroc a toujours été une zone de transit, la forteresse qu'est devenue l'Europe a changé la donne. « Les passeurs sont souples. Ils adaptent leurs moyens techniques à la nouvelle organisation des services de sécurité. Le problème, c'est que tous les fonds vont à l'aide aux victimes de l'immigration clandestine et pas à la lutte contre les réseaux. L'approche sécuritaire a contribué à engraisser les passeurs : avant, la traversée de la frontière était de 15 kilomètres et ne coûtait pas plus de 500 euros, aujourd'hui, le trajet est passé à environ 200 kilomètres et coûte 2 à 3 000 euros », ajoute Khalid Jemmah. Le filon est lucratif et depuis quelques mois, l'AFVIC enregistre même des appels clandestins venus d'Amérique Latine, principalement de l'Equateur, qui choisissent le Maroc pour atteindre l'Europe. Avec la fermeture des frontières, des zones d'attente, le Maroc risque de se transformer en zone d'accueil.

Marine Veith
Source: Le Journal Hebdo

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