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Travail des enfants marocains

Aujourd'hui 11% des enfants âgés de 7 à 14 ans, au Maroc travaillent. Ils sont essentiellement dans l’agriculture, l’artisanat, le textile, le commerce, la mécanique auto ou le travail domestique. Leur durée de travail varie entre 45 heures par semaine dans l’agriculture et 67 heures dans le travail domestique.

Le travail des enfants au Maroc n’est pas un épiphénomène. C’est une réalité crue vécue au quotidien par une grande partie de la population enfantine. Les chiffres divulgués par la Direction des statistiques le confirment : 600 000 enfants de 7 à 14 ans travaillent au Maroc, soit 11% de cette classe d’âge. Ce nombre reste toutefois en deçà de la réalité. Il avoisine les deux millions d’enfants si l’on prend en compte les enfants qui, tout en fréquentant l’école, exercent en parallèle un travail, ceux dont le travail n’est pas déclaré, et ceux qui s’acquittent de tâches ménagères durant au moins quatre heures par jour. 78 % de ces enfants actifs sont des ruraux, dont 84 % sont des ouvriers agricoles et 85 % travaillent pour le compte de leur famille, sans aucune forme de rémunération.

Où travaillent-ils ? Une enquête (la plus récente date de 2003), menée dans le cadre du projet «Comprendre le travail des enfants» (UCV), qui est un programme conjoint entre le Bureau international du travail (BIT), l’Unicef et la Banque mondiale, en donne un aperçu. Ceux qui habitent les villes sont employés dans les secteurs du textile, du commerce, de la mécanique ou dans des travaux ménagers. Quant à la durée du travail hebdomadaire de ces enfants, elle varie entre 45 heures par semaine dans l’agriculture et 67 heures dans le travail domestique.

14% seulement des garçons et 8% des filles qui travaillent sont scolarisés
Les risques auxquels cette population est exposée ? Ils sont multiples, selon la même étude : transport d’objets lourds, fatigue physique et psychologique, proximité des insecticides, travail dans des endroits élevés, exposition au rayonnement solaire, isolement, exploitation, longues journées de travail, inhalation de poussière et de produits chimiques et toxiques. Et la liste est longue.

Un phénomène d’ordre structurel qui aura du mal à refluer
Mais le travail des enfants ne se contente pas de nuire à leur santé physique et psychologique, il les prive également de leur droit à l’éducation. 14% seulement des garçons et 8% des filles qui travaillent sont scolarisés, plus de 50 % ne le sont pas. Les autres n’ont pu poursuivre leurs études au-delà du primaire.
Ce phénomène n’est pas l’apanage du Maroc et continue de sévir dans de nombreux pays. Toutefois, son ampleur commence à baisser. Dans un récent rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) publié en juin dernier, à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale contre le travail des enfants (le 12 juin), on livre ces chiffres : entre 2000 et 2004, le nombre d’enfants qui travaillent de par le monde est passé de 246 millions à 218 millions. Le nombre d’enfants et de jeunes âgés de 5 à 17 ans, astreints à des travaux dangereux, a diminué de 26 %, pour atteindre 126 millions en 2004, contre 171 millions lors de la précédente estimation. Cette baisse est encore plus notable parmi les enfants les plus jeunes : elle atteint 33 % dans la tranche d’âge 5-14 ans, selon le rapport.

Pour en revenir au Maroc, le travail des enfants n’y est pas nouveau, et ses causes sont connues : l’anthropologue Chakib Guessous en a cerné toutes les facettes dans son ouvrage «L’exploitation de l’innocence, le travail des enfants au Maroc», paru en 2002 aux éditions Eddif, résultat d’une enquête menée sur le terrain. L’auteur a relevé deux causes essentielles qui poussent les enfants à travailler : la pauvreté, liée au faible revenu des ménages, et le non-accès à l’école. «La pauvreté, écrit-il, se caractérise par trois éléments: une insuffisance des ressources des ménages, leur exclusion d’un mode de vie matériel et culturel, et enfin une précarité du statut social de la famille et du chef du ménage. Ces trois éléments se combinent pour engendrer des situations de pauvreté plus ou moins graves».

Résultat : une corrélation étroite entre la pauvreté, la non-scolarisation et le travail des enfants. Un enfant issu d’une famille pauvre et qui ne fréquente pas l’école est «un enfant à risque». Les choses ont-elles beaucoup changé depuis cette enquête ? Chakib Guessous en doute. Il n’y aurait pas de reflux net du phénomène dans la mesure où ce dernier est d’ordre structurel. Toutefois, il apporte une nuance : à partir des années 2000, la scolarisation des enfants, vu les efforts déployés par l’Etat, est en nette progression. Il est donc probable que le nombre des enfants qui travaillent commence à chuter. Une chose est sûre, avance-t-il, «l’Etat marocain, même en ratifiant la convention 138 de l’OIT, qui interdit le travail des enfants de moins de 15 ans, reconnaît qu’il ne peut l’appliquer à la lettre, ni lutter contre toutes les formes d’emploi. La seule chose qu’il considère pouvoir faire est de lutter contre les pires formes d’emploi, celles contenues dans la convention 182 de l’OIT et que le Maroc a aussi ratifiée». Et même celle-là, observe l’anthropologue, «le Maroc s’est révélé incapable de l’appliquer». Les deux exemples les plus flagrants de ces pires formes du travail des enfants sont la prostitution et le travail des «petites bonnes»: non seulement ces deux formes persistent, regrette Chakib Guessous, mais elles ont plutôt tendance à se développer.

Rajae Mejjati Alami, professeur à l’université Mohamed Ben Abdallah de Fès, qui a fait une approche sociologique des résultats de l’enquête menée par le BIT, l’Unicef et la Banque mondiale, a axé son analyse sur quatre secteurs où les enfants marocains sont le plus employés : l’artisanat traditionnel, le secteur informel, l’agriculture, et celui, justement, des «petites bonnes». Il y a une forte concentration des enfants âgés de 13 à 14 ans dans le premier secteur. 36 % de ceux qui travaillent dans le deuxième ont moins de 12 ans (mécanique, carrosserie-peinture, soudage, fraisage, tôlerie, cycles, pneumatiques). Quant à l’agriculture, 19 % de ceux qui y travaillent ont moins de 9 ans, et le taux de féminisation y est important, surtout dans les activités ménagères, la corvée de l’eau et le ramassage du bois.

60 000 à 86 000 «petites bonnes» âgées de 7 à 15 ans
Les fillettes domestiques (petites bonnes) sont âgées de 7 à 15 ans et leur nombre varie entre 60 000 et 86 000 (en majorité dans le milieu urbain). «Ces filles, dans leur écrasante majorité, sont des migrantes rurales, analphabètes ou d’un niveau scolaire faible. Les motifs de mise au travail sont la pauvreté, la non-scolarisation, et le faible revenu des familles dont elles sont issues. Phénomène récent : l’intervention des intermédiaires (smasriya) dans l’embauche, ce qui augmente encore la vulnérabilité des plus jeunes. En majorité, le salaire est empoché par les parents». Dans tous ces secteurs, pauvreté, faible revenu des ménages et non-accès à l’école constituent les principales causes du travail des enfants.

Certaines associations et programmes de lutte contre le travail des enfants n’ont pas attendu que l’Etat se penche sur le problème des revenus pour agir, par le biais de l’école notamment. C’est le cas du projet «Adross» («j’étudie» en arabe), qui contribue à l’éradication du travail des enfants, en particulier les petites filles domestiques (âgées de moins de 15 ans), et les enfants travaillant dans les secteurs de la mécanique auto et de l’artisanat.

L’école, à elle seule, peut-elle constituer un remède efficace ?
«L’école joue, c’est vrai, un grand rôle dans la réduction du nombre des enfants qui travaillent, mais tant que l’on n’a pas résolu le problème des revenus des ménages, le problème reste entier», tranche M. Guessous.


Trois question à Chakib Guessous, Anthropologue et auteur de «L’exploitation de l’innocence, le travail des enfants au Maroc».

Comment peut-on lutter contre le travail des enfants au Maroc ?
On peut lutter contre le travail des enfants à plus de 90 %, mais à trois conditions. La première est l’amélioration des revenus des ménages, ce qui relève du rôle de l’Etat. Il est inadmissible, dans un pays à moitié agricole, qui produit des engrais, de continuer à produire 5 quintaux à l’hectare. On peut lutter efficacement contre le travail des enfants en améliorant la technologie agricole. Si on le fait, on multipliera par trois ou quatre la productivité, ce qui n’est pas rien. Deuxième condition, il faut que la femme marocaine ait aussi un revenu propre. D’après des enquêtes du BIT, et partout dans le monde, là où la femme travaille, les enfants vont à l’école, filles et garçons. Et l’on comprendra facilement ce phénomène, car une femme qui travaille n’est plus à la charge de son mari et ses enfants ont plus de chances d’avoir un banc à l’école. Au Maroc, l’expérience l’a montré, le micro crédit peut faire beaucoup pour la femme rurale. Des micro entreprises permettraient aux femmes d’avoir des revenus et donc de contribuer aux ressources du ménage. Troisième condition, il faut que l’école devienne attractive : beaucoup d’enfants s’y ennuient, la désertent car ils ont l’impression qu’elle ne leur apporte rien, qu’ils y perdent leur temps. Sans parler du phénomène scandaleux de l’absentéisme des instituteurs, notamment dans les zones rurales. Comment retenir un enfant dans une école si démotivante ?

Mais que fait-on alors des engagements internationaux du Maroc en matière de travail des enfants ?
Le Maroc a ratifié, en effet, un certain nombre de conventions internationales qui interdisent le travail des enfants, notamment la convention 138 ratifiée en 2000 qui interdit le travail des enfants de moins de 15 ans. Mais adhérer à une convention internationale n’entraîne pas automatiquement la disparition du fléau. Une ancienne législation interdisant le travail des enfants de moins de 12 ans existe au Maroc depuis 1947 mais n’a jamais été appliquée, pas plus que celle de 2000. Le Maroc fait certes des efforts pour respecter au moins la convention 182 qui interdit les pires formes du travail des enfants, et même celle-ci, il continue de la violer tous les jours. La preuve en est que, jusqu’à aujourd’hui, des milliers de «petites bonnes» n’ont pas 12 ans, et que la prostitution enfantine bat encore son plein.

Ne faut-il pas au moins s’attaquer, et de toute urgence, au travail des «petites bonnes» ?
Ce problème est complexe. La «petite bonne» est en général issue des zones rurales pauvres. Un agriculteur Maroc ne peut subvenir à tous les besoins de la famille. Les meilleures récoltes ne donnent pas plus de 15 quintaux l’hectare en moyenne. Impossible pour un paysan qui a trois hectares de s’en sortir. Envoyer une de ses filles travailler en ville pourra augmenter son revenu moyen entre 50 et 200 %. Les agriculteurs peuvent difficilement résister à cette manne. C’est comme un cadre dont on augmenterait le salaire de 50 %. Je connais un paysan propriétaire de dix hectares (60 % de la population rurale est propriétaire au moins de 5 hectares) qui n’avait pas un sou pour s’acheter de quoi manger, par manque de liquidités. Dix hectares ne valent rien en période de sécheresse ; et même avec une bonne pluviométrie comme celle de cette année, leur rendement ne sera pas à la mesure des espérances, car le paysan manque de liquidités pour acheter de la semence.

Jaouad Mdidech
Source: La Vie Eco

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