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Rapport parlementaire sur les commissariats marocains

Les parlementaires ont entrepris une tournée des commissariats qui a permis de recenser quelques unes des tares qui tirent la police marocaine vers le bas.

“Cellules exiguës, odeurs nauséabondes, promiscuité, absence d'issues de secours etc.”, les députés n'ont pas été particulièrement tendres avec la police. Cet état des lieux des commissariats fait suite à une visite effectuée par la commission parlementaire de la justice, le 13 juin 2006 dans plusieurs arrondissements et préfectures de la DGSN à Casablanca, Rabat et Salé. Apparemment, les hommes de Laânigri ont
bien joué le jeu puisque les députés n'ont pas eu à déplorer de blocages au niveau des policiers. “N'oublions pas que c'est la première fois que des parlementaires se rendent dans des commissariats pour une inspection !”, se réjouit Mustapha Ramid, le bouillant avocat du PJD. La commission devrait rendre sa copie incessamment pour que ses recommandations soient soumises au gouvernement et répercutées sur les services concernés.

Les enquêteurs sont arrivés avec des questions précises. Quelles sont les conditions d'hygiène et de sécurité pour les personnes en garde à vue dans les locaux de police ? Comment cette garde à vue est-elle prolongée ? Par quels moyens les familles sont-elles prévenues de l'arrestation de leur proche ? Qui s'occupe de nourrir les prévenus ? Y a-t-il des cellules réservées aux mineurs et aux femmes ? Comment sont organisées les visites des avocats à leurs clients ? Autant de questions que les députés n'ont pas manqué de poser aussi bien aux responsables de la police qu'aux détenus eux-mêmes. Les résultats préliminaires de l'enquête confirment ce dont on se doutait déjà, à savoir que nos commissariats sont pour le moins qu'on puisse dire, infréquentables.

Des gardes-à-vue hors-la-loi
L'un des dossiers en souffrance qui pose le plus problème est celui de la garde à vue. “L'article 66 du code de procédure pénale impose aux officiers de police judiciaire d'aviser le ministère public et la famille de la personne mise en garde à vue à l'instant même où ils procèdent à son arrestation”, rappelle l'avocat Hakam Abderrahim. La procédure est-elle pour autant respectée ? Rien n'est moins sûr puisque la plupart des avocats consultés estiment que non seulement ils ne sont pas prévenus à temps mais qu'en plus, les conditions dans lesquelles ils rendent visite aux prévenus ne sont pas conformes à la loi qui leur accorde pourtant le droit d'avoir des entretiens confidentiels avec leurs clients. “Alors que nous avons droit à une demi-heure d'entretien, quand bien même on nous laisse un petit moment ensemble, c'est toujours en présence d'un agent ou d'un officier de police”, s'indigne cet avocat du barreau de Casablanca.

Autre tare qui colle à la garde à vue, de nombreuses familles se plaignent de ne pas être prévenues à temps de l'arrestation d'un de leurs proches. Un avocat précise à ce propos que “si l'article 67 du code de procédure pénale impose à l'OPJ d'avertir la famille du prévenu par n'importe quel moyen, il ordonne à ces mêmes responsables de consigner l'approche employée avec les proches dans un PV à part. Or comme dans la plupart des cas, on ne se donne même pas la peine de contacter les personnes concernées, l'OPJ ou le commissaire se contentent d'apposer au bas du PV de la garde à vue la mention vague : la famille a été prévenue de la mise sous garde-à-vue d'un tel”. En clair, ne comptez surtout pas sur la police pour vous prévenir de la mise en garde-à-vue de votre frère, père ou cousin !

Infrastructures obsolètes
Quant aux bâtiments eux-mêmes, le moins qu'on puisse dire, c'est que de nombreux commissariats ont besoin d'une réfection urgente. C'est le cas d'ailleurs des locaux de la BNPJ situés dans le quartier du Maârif où les cellules ne dépassent pas 2,5 mètres sur 2. Des toilettes décentes et autres commodités n'existent tout simplement pas dans la plupart des cellules des commissariats. l'obsolescence des infrastructures est souvent avancée comme argument par les responsables de police que les députés ont eu à rencontrer au cours de leurs pérégrinations. Dans sa réponse aux députés, le préfet de police de Salé a tenu à préciser que le bâtiment de la wilaya de police est occupé à titre temporaire en attendant que soit achevée la construction du nouveau siège qui sera doté de toutes les infrastructures nécessaires pour une garde-à-vue qui respecte les droits les plus élémentaires des prévenus.

À Casablanca et dans bien d'autres villes, certains arrondissements de police sont souvent des lieux d'insalubrité notoire qui abritent souvent des cellules parmi les plus infectes du pays, cellules dans lesquelles s'entassent quelquefois des dizaines d'interpellés qui se soulagent souvent au mépris des règles élémentaires d'hygiène dans de simples trous aménagés à même le sol. “Il y a des arrondissements qui datent de l'époque coloniale, comment voulez-vous qu'on accueille décemment les prévenus dans des bâtiments qui n'ont jamais été restaurés depuis près d'un siècle”, s'indigne une source policière de Tanger.

La même ambiance prévaut partout ailleurs puisque la plupart des citoyens qui ont fait un passage par un commissariat en gardent un souvenir douloureux. “Je suis encore traumatisé par cette expérience. J'étais en week-end à Marrakech avec ma femme quand deux policiers se sont présentés à ma chambre d'hôtel. Juste le temps de prendre ma veste et je me suis retrouvé dans l'estafette. C'est pour un chèque en bois ! m'a précisé l'inspecteur. Comme c'était le samedi, j'ai dû passer les deux nuits les plus noires de ma vie. Les policiers étaient corrects mais l'état des cellules semblait être imaginé pour un roman du Moyen Age : les détenus étaient entassés les uns sur les autres, il n'y avait qu'une meurtrière pour l'aération et une odeur pestilentielle se dégageait des locaux. Les gardés à vue dormaient à même le sol des cellules, sans matelas. Alors, vivent la promiscuité et les frictions permanentes entre détenus qui se disputent les quelques mètres d'une pièce ! Quand aux repas, si vous n'avez pas de famille dans le coin, autant crever de faim ! De plus, j'ai failli mourir de peur quand une bagarre a éclaté entre deux dealers”, se rappelle ce cadre hôtelier. L'expérience de ce Casablancais résume d'ailleurs toutes les insuffisances épinglées par les députés au cours de leur tournée des commissariats du royaume.

Manque de moyens ou de volonté ?
Pour leur défense, les policiers arguent du manque de moyens. “C'est vrai que les prévenus ne sont pas nourris, que les cellules sont étroites, que les procédures ne sont pas toujours respectées mais qui se soucie du manque de moyens des policiers ? On manque de tout, de carburant, de machines à écrire, et même de simple papier à en-tête et j'en passe”, s'indigne cet inspecteur qui ne veut même pas évoquer les salaires de misère que touche le personnel subalterne.

Il y a également un problème d'effectifs, le redéploiement des cadres n'est pas toujours heureux. C'est ainsi qu'on rencontre des commissariats ne disposant que d'une dizaine d'éléments et des postes de police qui comptent parfois deux policiers. A en croire certains, il y a là, une situation de précarité qui ne garantit pas la bonne marche du service et qui explique bien des abus.

Abdellatif El Azizi
Source: TelQuel

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