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Portrait : Paco, le harrag repenti

1973. Naissance à Kasbat Tadla
1996. Tente de gagner l'Espagne en patera
2001. Bénévole à l'AFVIC
2004. Employé de l'AFVIC
2005. Responsable d’un réseau associatif à Khouribga

Après avoir frôlé la mort en essayant de traverser le détroit en patera, Paco sensibilise les candidats potentiels au hrig, soutient les familles de victimes de l'immigration clandestine et a créé un réseau d'associations à Khouribga. Parcours d'un ex-harrag devenu un exemple pour les jeunes de sa région.

En accompagnant Paco à travers les rues de Khouribga, ne vous attendez surtout pas à passer inaperçu. Le jeune militant et employé de l'AFVIC (association des familles des victimes de l'immigration clandestine), est une petite célébrité dans le coin. Il suffit de s'attabler
dans n'importe quel café de la cité des phosphates, y prendre un taxi ou tout simplement traîner avec lui pour s'en rendre compte. Et pour cause, le combat contre le hrig qu'il mène depuis 2001 aux côtés de la “bande à Khalil Jemmah” y est pour beaucoup. “Etant donné qu'il est notre homme de terrain au niveau local, il est amené à rencontrer beaucoup de monde surtout que la région est très touchée par l'immigration clandestine”, explique Jemmah. “Mais ce qui est le plus important, ajoute ce dernier, c'est qu'il soit devenu un véritable exemple pour la jeunesse d'ici”. C'est vrai que le parcours atypique de Paco peut en inspirer plus d'un. Qui aurait cru que ce jeune Khouribgui paumé comme la plupart de ceux de son âge, ayant échappé de justesse à la mort alors qu'il traversait le détroit clandestinement, deviendrait quelques années plus tard, un homme- clé d'une des ONG les plus actives de ce pays?

Kasbat Tadla. C'est en 1973, dans cette ville réputée être jusqu'à il y a quelques années un fief gauchiste, à tel point qu'on l'appelait “le petit Moscou”, que Paco voit le jour. “C'est sûrement de là que m'est venu mon intérêt pour l'activisme”, plaisante-t-il. Son enfance est alors loin d'être tranquille. Il découvre très tôt (9ans) qu'il est un enfant abandonné. Sa mère l'aurait confié dès sa naissance à l'une de ses cousines. Et puis l'ambiance à la maison est pour le moins électrique. Ses deux parents adoptifs se séparent et se réconcilient à longueur de temps. Mais son souvenir le plus marquant c'est l'image de sa mère se faisant tabasser par son père parce qu'elle refusait d'aller demander pour lui la main d'une autre femme. Après des études médiocres qui le conduisent au niveau-butoir qu'est le bac, il est très vite rattrapé, comme tous les jeunes de son âge, par cette obsession du hrig. “Il y avait d'abord ce père constamment décourageant et affligeant et, bien sûr, la vue de tous ces MRE qui rentraient en été et donnaient l'impression de venir tout droit du paradis”, dit-il. Alors qu'il doit quitter le pays comme convenu avec un passeur sur un porte-conteneurs, il se retrouve à sa grande surprise avec 26 autres personnes sur une patera. Au moment où celle-ci chavire, il est le premier à se retrouver à l'eau et est ensuite secouru in extremis par la guardia civil. D'où son surnom de “Paco”, en souvenir del'Espagnol qui l'a sorti de l'eau. Son vrai nom à lui, c'est Abdelilah Belgacem ou du moins c'est celui que son père adoptif lui a donné.

Le retour à sa vie d'avant ne se fait pas sans difficultés. Ce sont ses propres funérailles qui l'attendent chez lui. “Tout le monde croyait que j'étais mort, alors je vous laisse imaginer la tête qu'ils ont fait lorsqu'ils m'ont vu”, raconte-t-il avec ironie. Les semaines qui suivent, il s'enferme. Le regard des autres est encore plus blessant que ce qu'il vient de vivre. “Avec cet échec, j'avais l'impression de porter la poisse sur ma famille, j'avais tellement honte”, dit-il. Heureusement que les amis sont là. Hicham Rachidi et Khalil Jemmah, futurs fondateurs de l'AFVIC, le poussent à se reprendre en main. Il retourne à ses études, décrochant ainsi deux années plus tard un diplôme en comptabilité. Entre-temps, il touche un peu à tout pour survivre. Il se met à vendre des lunettes et autres accessoires dans la rue, travaille dans un bazar, s'occupe d'un four, devient comptable dans une fiduciaire... “Durant ces trois années j'ai repris petit à petit une vie normale mais je sentais toujours qu'il me manquait quelque chose”, souligne-t-il.

La rencontre entre Paco et l'AFVIC a lieu en 2001. Hicham Rachidi et Khalil Jemmah font appel à son témoignage pour leurs campagnes de sensibilisation. Sa cible principale, les écoles où il va à la rencontre des harragas de demain et bien sûr les jeunes de la région, avec qui il arrive à nouer le contact d'une manière tout à fait déconcertante. “En leur exposant son expérience, il arrive à atteindre leur sympathie et donc à attirer leur attention, et ça c'est payant”, souligne Jemmah. D'ailleurs ce n'est pas pour rien que certains d’entre eux viennent vers lui dans les moments difficiles. Ils savent qu'ils trouveront un fidèle confident qui prendra la peine de les écouter et de les conseiller. Paco s'éprend alors très vite de la mission dont on l'a chargé et du coup veut s'impliquer davantage. Encadré par Rachidi et Jemmah et après un certain nombre de formations, il rencontre les familles des victimes pour les soutenir. “Là encore, il a été d'un grand apport puisque les gens s'ouvraient et se confiaient plus facilement à lui, surtout après qu'ils aient pris connaissance de son vécu”, raconte un témoin qui dévoile par la même occasion un aspect inconnu de sa personnalité : “C'est quelqu'un de très sensible qui fond très souvent en larmes à la vue d'une famille de victimes en pleurs. C'est un peu son histoire qu'il voit défiler”. Un peu plus tard c'est également à lui qu'incombera la tâche d'être l'interlocuteur des médias nationaux et internationaux. Il est chargé non seulement de communiquer sur les activités de l'AFVIC mais se veut être une sorte de guide sur le terrain pour les journalistes. Et de l'aveu de ces derniers, il arrive très souvent à leur dénicher tous les contacts dont ils ont besoin. Pour ce journaliste marocain qui a eu affaire à lui lors des derniers événements de Sebta et Melilia, “Paco est un gars très actif et qui connaît les bonnes personnes. C'est d'ailleurs un peu grâce à sa contribution que ces événements ont eu la couverture médiatique qu'ils ont eus”. Comble de l'ironie. Son engagement d'alors, salué par de nombreux intervenants, lui vaut aujourd'hui un procès. “Alors que je revenais du Nord, j'ai pris en stop trois Subsahariens qui étaient totalement en règle et que personne ne voulait transporter. Ils essayaient tout simplement de se rendre à Rabat. Un barrage de gendarmes nous a alors arrêté sur le trajet et on m'a accusé d'être un passeur”, dit-il. L'affaire pour laquelle il risque une peine de prison et une amende importante est toujours en cours. Mais son engagement reste cependant payant. Les dirigeants de l'AFVIC satisfaits de son travail, lui proposent un job permanent. Un aveu de Khalil Jemmah qui est un peu le parrain de ce miraculé qui reconnaît être revenu de loin : “Paco est une personne qui a évolué d'une manière à laquelle je ne m'attendais pas. ça prouve une chose c'est que comme tous les jeunes Marocains, il avait juste besoin d'un espace de réalisation pour s'épanouir”. Fort de son apprentissage, de ses nombreux et précieux contacts dans le milieu de la presse et des ONG, Paco veut en faire profiter les associations locales. Il les assiste dans leurs montages de projets, leur prodigue des conseils, et même s'acquitte de leur formation. “C'est très émouvant de le voir en train de former des bac plus deux en français, alors qu'il y a à peine quelques années il savait à peine prononcer quelques mots dans cette langue, sans oublier qu'il n'a même pas son bac”, rapporte ce proche de l'AFVIC. Dernier fait en date, il vient de mettre en place un réseau d'associations à Khouribga. Un projet qui lui tient visiblement à coeur. “Bien sûr c'est d'une importance capitale. A travers la mise en place d'un tissu associatif actif et solidaire dans notre ville, on pourrait responsabiliser les jeunes et les pousser à se prendre en main”, dit il.

- Paco, si tu avais l'occasion de partir demain clandestinement ?
- C'est hors de question.
- Et légalement ?
- Je partirai, mais je reviendrai. Je veux juste voir à quoi ça ressemble de l'autre côté.

Mehdi Sekkouri Alaoui
Source : TelQuel

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