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Enseignement au Maroc : La mission à tout prix

L’Enseignement français au Maroc séduit de plus en plus de parents. Beaucoup de candidats pour peu de places. L’admission à la mission serait-elle un chemin de croix ?

Dans quelques semaines, Kamil va passer un concours important. Trois épreuves programmées dans la même demi-journée pour évaluer ses capacités motrices, linguistiques et logiques. En attendant la date fatidique, il fréquente une crèche dont l'objectif clairement avoué consiste à préparer les gamins comme lui à ce fameux concours.

Kamil a trois ans et demi et ses parents, marocains, souhaitent l'inscrire dans un établissement français. Ils sont de plus en plus nombreux à considérer que l'enseignement français représente le meilleur choix possible, une sorte de voie royale. Un parent explique ses raisons : “Mon fils, à la mission, est plus épanoui. Je compare avec ses cousins qui sont élèves dans le privé marocain et je constate qu'ils ont des horaires plus lourds, beaucoup plus de devoirs à la maison, pour un résultat finalement inférieur”. Mais cet enseignement français se mérite… Les aspirants doivent s'inscrire sur Internet, six mois avant la rentrée scolaire.

Pour résumer, disons que les Français sont admis d'office, s’ils ont les moyens de payer, les Européens aussi, de même que ceux qui sont déjà scolarisés dans ce système. Pour les autres, il faut passer le fameux concours d'admission dès la maternelle. Un concours qui n'a rien à envier à ses grands frères comme le baccalauréat. Des sujets qui arrivent cachetés, et qui finiront à la déchiqueteuse après les épreuves, un mode de notation qui tient compte du mois de naissance… Une organisation rigoureuse. Du coup, certains parents n'hésitent pas à inscrire leurs enfants dans des crèches spécialisées. Sur place, ils pourront se préparer spécifiquement à ce concours, simulations à l'appui. On leur demandera d'éviter de parler arabe. Plutôt perturbant… Et il y a des dérives encore plus perturbantes.

Une pédiatre raconte : “je me rappelle du cas d'un enfant très angoissé que je suivais régulièrement. Il était en grande souffrance à cause du test qu'il préparait. Dès que l'épreuve est passée, ses parents ont arrêté mon suivi…” Prêts à tout pour voir leur rejeton entrer dans la bonne filière, certains parents lui font subir une pression et un stress incompatible avec son jeune âge. Loubaba Belmejdoub, psychologue spécialisée dans la petite enfance nous confie : “Il y a des risques pour le développement harmonieux de l'enfant. J'ai vu des choses terribles, en particulier en cas d'échec : des cauchemars, des refus de manger, des phobies. Vous vous rendez compte, pour des enfants de moins de cinq ans !” ; Moins dramatique mais tout de même inquiétante est la situation décrite par ce papa : sa fille est revenue des épreuves très renfermée, gardant le silence plusieurs jours sur ce qui s'était passé. Elle avait pourtant réussi.

Qu'importent les risques, la demande est de plus en plus importante et la sélection féroce. Le site Internet l'annonce sans ambages : le nombre de places est limité et les décisions sont sans appel. On parle pourtant avec insistance de la création prochaine de plusieurs centaines de places supplémentaires. Elles viendront renforcer un système déjà lourd, le plus important à l'étranger pour la France.

Ils sont en tout 17 000 à être scolarisés dans le système français au Maroc. Le lycée Lyautey, qui existe depuis plus de 80 ans, est le quatrième établissement français à l'étranger par la taille. Un lycée qui affiche des taux de réussite impressionnants : 98% de succès au bac. Certains ironisent sur ce chiffre, qu'ils attribuent en fait à la sélection féroce plus qu'à la qualité de l'enseignement. La sélection est également financière puisqu'il faut compter en moyenne 20 000 dirhams par an pour scolariser son enfant dans un établissement français. Un chiffre valable pour les établissements publics, en partie financés par l'Etat français. Mais il faut également compter avec les établissements OSUI, qui dispensent un enseignement agréé mais sont entièrement financés par les frais de scolarité. Le ticket moyen y grimpe à 25 000 dirhams par an. Même chose pour les écoles marocaines agréées. Ces deux derniers modèles, plus économiques pour la France, sont amenés à se développer dans l'avenir.

C'est clair, on est loin de la quasi-gratuité en vigueur jusque dans les années 80. A l'époque, la francophonie accueillait encore à bras ouverts et brassait les populations aux origines sociales diverses. Aujourd'hui, l'enseignement français concerne une élite, c'est une évidence. Les écoles françaises ressemblent à des îlots culturels, complètement détachés des réalités marocaines, ce qui n'est pas sans causer quelques heurts. “J'ai été choqué le jour où mon fils m'a expliqué qu'on lui avait dit qu'il pourrait choisir sa religion à 18 ans. Je suis plutôt libéral, mais là…”, explique un papa perplexe. Gênant, mais insuffisant pour remettre en cause son choix de base : “Il suffit de compléter à la maison, de rappeler qui nous sommes, d'insister sur l'arabe, sinon on peut finir par fabriquer des Français avec des passeports verts”.

Tout n'est pas si rose, donc. Amina, qui a longtemps enseigné à la mission, est formelle : “J'ai vu des professeurs sous-formés, des coups de piston permanents… En fait, il y a autant de dysfonctionnements à la mission qu'ailleurs…” Piston, bien sûr, mais également corruption. Sous couvert d'anonymat, les professeurs le disent clairement : “nous sommes soumis à des propositions permanentes, certains offrent beaucoup pour éviter un redoublement ou une note qui va dégrader un dossier d'inscription en classe prépa. Ne parlons même pas des admissions en maternelle, certains parents deviennent fous”. Sans doute parce qu'ils savent qu'un bac français aboutit le plus souvent à des études à l'étranger (c'est le cas pour plus de 80% des bacheliers), une possibilité de décrocher un meilleur diplôme et donc un meilleur emploi avec en toile de fond la décrédibilisation totale du système marocain. Résultat : depuis l'ouverture des inscriptions sur Internet, plus de 300 candidats s'inscrivent chaque jour pour passer les tests d'admission.

Réda Allali
Source : TelQuel

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