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Corruption : les Marocains n’en peuvent plus

Les règles de compétence territoriale font que les gens ne peuvent se plaindre ailleurs qu’à l’endroit où ils ont été victimes de corruption. C’est le tribunal du lieu où l’acte a été accompli qui est compétent. Cependant, comment imaginer que l’enquête puisse être menée dans le respect de la plus stricte impartialité quand des autorités en place se retrouvent à la fois juge et partie ?

Ceci est l’histoire d’un Marocain qui a choisi de rentrer travailler dans son pays. Aujourd’hui, il se retrouve derrière les barreaux. Possédant la double nationalité marocaine et suisse, notre homme exerçait en tant que chirurgien à Genève. Il y a dix ans, il décide de renoncer au calme genevois pour venir monter un projet touristique dans le Sud marocain d’où sa famille est originaire. Il en paye aujourd’hui le prix fort. Poursuivi pour outrage à magistrat et provocation de désordre dans un lieu public, il a été, jeudi dernier, arrêté, écroué et condamné à six mois de prison ferme, applicables de suite.

Dans cette affaire, il serait question de corruption et de dénonciation de corruption. Notre homme aurait en effet accusé de corruption et de comportements mafieux certaines autorités locales de la région où il a monté son projet. Cette région, faut-il le préciser, se trouve près de la frontière algéro-marocaine, un endroit où pullulent les trafics en tout genre. Ce serait suite à la plainte qu’il aurait déposée à l’encontre de trois notabilités qu’il se serait retrouvé poursuivi et condamné dans le cadre d’un jugement express où il n’aurait eu ni accès à son dossier ni le temps de préparer sa défense. Un comité de soutien s’est constitué pour demander sa libération immédiate et faire appel de son procès. C’est par son intermédiaire qu’une médiatisation de l’affaire a été entreprise sur le net. En l’absence d’éléments d’information plus complets, la plus grande retenue reste de mise.

Il demeure que cette affaire nous interpelle car elle nous renvoie à la difficulté de faire la lumière dans ce type de situation et ce, à un moment où le dernier rapport de Transparency international vient à nouveau de jeter une lumière crue sur l’état de la corruption au Maroc: selon l’indice de perception de la corruption (IPC) mis en place par l’organisation internationale, le Maroc se classe dans le peloton de queue (78e), loin derrière des pays arabes comme la Tunisie (43e) ou la Jordanie (37e). Plus grave encore, en l’espace de six ans, il a rétrogradé de trente-trois places, passant de la 45e, en 1999, à la 78e, en 2005. Ce n’est pas simplement dramatique, c’est désespérant ! En vérité, le rapport de Transparency International ne nous apprend rien. Il ne fait que confirmer une réalité palpable au quotidien.

Cette gangrène nous tue, et c’est peu dire. Elle nous pourrit de l’intérieur, nous faisant perdre l’estime de nous-mêmes et de nos concitoyens. Il n’est plus possible de faire un pas sans y être confronté. L’obtention du droit le plus élémentaire exige que l’on glisse la pièce. Comment investir, comment créer de l’emploi, comment développer ce pays dans de telles conditions ? Cela relève aujourd’hui du chimérique. Dans l’affaire ci-dessus décrite, on devrait théoriquement pouvoir écrire qu’il faut laisser la justice faire son travail. Mais s’il y a un domaine où la corruption atteint des summums, c’est justement dans cet espace-là ! Là où le droit doit être dit et appliqué! Pour pousser les gens à dénoncer les actes de corruption dont ils peuvent être victimes, une réforme récente de la loi a distingué entre corruption passive et active. Avant, la personne qui payait pour avoir un droit était passible de la même peine que celle qui monnayait celui-ci. Ce n’est plus le cas à présent, dès lors qu’elle le dénonce de son propre chef. Reste une entrave de taille.

Les règles de compétence territoriale font que les gens ne peuvent se plaindre ailleurs qu’à l’endroit où ils ont été victimes de corruption. C’est le tribunal du lieu où l’acte a été accompli qui est compétent. Cependant, comment imaginer que l’enquête puisse être menée dans le respect de la plus stricte impartialité quand des autorités en place se retrouvent à la fois juge et partie ? Comment s’étonner, dès lors, que la pieuvre n’en finisse plus d’étendre ses tentacules ? Trente-trois places en six ans, les chiffres sont implacables. Une régression pareille, c’est une honte pour le Maroc. Le gouvernement qui s’enorgueillit de travailler à l’établissement d’un Etat de droit est sommé de réagir. Pas demain mais maintenant, là, tout de suite... Les Marocains n’en peuvent plus.

Hinde Taarji
Source : La Vie Eco

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