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Les médecins étrangers réclament un statut officiel

Ils sont les rouages silencieux d'une machine hospitalière qui ne pourrait fonctionner sans eux. Plusieurs milliers de médecins étrangers ou d'origine étrangère, titulaires d'un diplôme acquis hors de l'Union européenne, exercent dans les établissements hospitaliers sans avoir l'autorisation officielle de pratiquer la médecine en France. Ces praticiens réclament une régularisation de leur situation : leurs représentants devaient être reçus, lundi 30 janvier, par le ministre de la santé, Xavier Bertrand.

C'est dans les années 1990 que la France a fait massivement appel à des praticiens venus essentiellement du Maghreb, d'Afrique et du Proche-Orient. Ils ont été recrutés de façon dérogatoire par les hôpitaux pour compenser les effets négatifs du numerus clausus, qui limite le nombre de médecins formés chaque année. Embauchés sous contrat précaire, rémunérés de 30 % à 50 % de moins que les diplômés français, les praticiens étrangers ont été massivement recrutés dans des disciplines sinistrées comme la médecine d'urgence, la chirurgie ou la psychiatrie.

Curieusement, alors que la France s'enorgueillit de l'excellence de sa médecine, elle a permis à ces médecins d'exercer dans les hôpitaux sans vérifier au préalable leurs compétences. Pratiquant la médecine sur la base de diplômes non reconnus, ils n'ont pas d'autorisation officielle d'exercer : ils ne sont pas inscrits au conseil de l'ordre et ne peuvent ni travailler dans le privé ni s'installer en libéral.

Souvent, pourtant, ils ont acquis la nationalité française. "Si la France n'a pas besoin de nous, qu'elle le dise et qu'elle nous licencie définitivement, dit le docteur Brahim Anajjar, diplômé du Maroc, et qui exerce à Grenoble. Moi, je suis français, j'ai une famille en France ! Je revendique le droit de pouvoir travailler légalement."

Selon les chiffres du ministère de la santé, ils seraient aujourd'hui 7 000 à exercer la médecine "sans la plénitude d'exercice". Parmi eux, 4 000 sont en formation, et "ont vocation à rentrer dans leur pays" à la fin de leur cursus, a précisé le ministère, dans un communiqué du 12 janvier. Restent 3 000 praticiens qui exercent en tant qu'"attachés associés" ou "assistants associés". Ces médecins n'ont pas bénéficié du statut de praticien adjoint contractuel, octroyé sur concours entre 1995 et 2000 et qui a permis à environ 10 000 médecins étrangers d'être régularisés. Et pour cause : bien que la loi sur la couverture-maladie universelle de 1999 ait interdit aux directeurs d'hôpitaux de recruter des médecins extracommunautaires, l'afflux des praticiens n'a jamais cessé.

Fermant les yeux sur cette situation, l'Etat n'a organisé qu'en 2005 une "nouvelle procédure d'autorisation", un concours ouvert aux médecins exerçant en France depuis plusieurs années mais aussi à tout nouveau venu de l'étranger.

L'Intersyndicale nationale des praticiens à diplôme hors Union européenne (Inpadhue) dénonce les modalités de cette épreuve. "On se retrouve sur le même plan que les gens qui n'ont aucune expérience, explique Elisabeth Sow Dione, de l'Inpadhue. Notre pratique et les services rendus en France ne sont en rien reconnus." L'Intersyndicale s'oppose à l'idée même de concours. "Nous demandons l'instauration d'une voie spécifique, sur la base de la validation des acquis de l'expérience, explique Me Gérard Chemla, avocat de l'Inpadhue. Tout le monde sait qu'ils exercent effectivement la médecine. Mais personne ne veut officiellement l'écrire."

L'Inpadhue a déposé une requête devant la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), qui devrait se prononcer en février. Sa démarche ne fait pas l'unanimité dans le corps médical. L'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH) et la Coordination des médecins hospitaliers (CMH) s'opposent à une régularisation sans concours. "Le simple fait d'exercer dans les hôpitaux ne vaut pas quitus", affirme François Aubard, président de la CMH.

Au ministère de la santé, on estime que le passage d'un examen est un principe intangible. "Qu'il y ait une exigence de qualité des soins et de sélectivité nous paraît incontournable", explique Jean Casteix, à la tête de la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS). En revanche, le ministère reconnaît que la nouvelle procédure "n'est pas adaptée, dans sa forme, aux médecins ayant des années d'expérience professionnelle" et pourrait proposer "une adaptation du concours".

Ce dossier ne sera pourtant pas réglé sans s'attaquer au problème de l'hôpital. Assumant les gardes que les praticiens français dédaignent, ou faisant tourner des petits services d'hôpitaux de province, les médecins extracommunautaires permettent au système de se maintenir à flot.

"Si la démographie médicale avait été bien faite dans les années 1980, moi, venant de l'étranger, je n'aurais pas pu travailler, admet Jamil Amhis, président de la Fédération des praticiens de santé, qui représente les médecins déjà régularisés. Si certains n'ont toujours pas d'autorisation d'exercice, c'est aussi parce qu'ils ne coûtent pas cher. Il faut faire cesser cette vaste hypocrisie."

Cécile Prieur
Source: Le Monde

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