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Le racisme, ça s'apprend dès l'apprentissage

«Libération» s'est procuré un rapport alarmant sur la discrimination dans le placement des jeunes apprentis.


Parce que «ça déplairait à la clientèle». Parce que l'entreprise veut garder «une bonne image». Un rapport rendu en juin dernier à l'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI), mais jamais rendu public, montre que l'apprentissage est loin d'être épargné par les discriminations raciales. Des «mécanismes d'exclusion passés sous silence mais bien connus de tous», une «omerta institutionnelle» : alors que les parlementaires discutent aujourd'hui du projet de loi pour l'égalité des chances (lire page 11), les conclusions de l'étude, titrée l'Egalité des chances, un défi à relever dans l'apprentissage, sont sévères.


«On ne peut rien faire.» Elle a été menée auprès de 70 «jeunes issus de l'immigration» (1), mais aussi de formateurs ou employeurs d'Ile-de-France. Du CAP du bâtiment au mastère dans les télécoms. Chaque année, une petite proportion d'élèves ne trouve pas de contrat d'apprentissage validant leurs études. «Ils n'auront ni qualification ni diplôme, explique à Libération l'auteure du rapport, Nora Barsali consultante et ancienne collaboratrice d'Azouz Begag, ministre délégué à la Promotion et à l'Egalité des chances, or la grosse majorité d'entre eux, si ce n'est la totalité dans certains centres, est noire ou arabe.»

L'analyse relève la participation, consciente ou non, des centres de formation des apprentis (CFA) aux phénomènes de discrimination. Les auteurs du rapport ont souvent entendu la même rengaine : «Que voulez-vous, on ne peut rien faire : la discrimination fait partie du paysage...» Le rapport cite le formateur d'un CFA : «Il n'y a pas de discrimination raciale à l'embauche. Si vous entrez dans un café et qu'on vous dit : "Je ne sers pas les Noirs", ça, c'est de la discrimination. Mais, une entreprise qui dit qu'elle ne prend pas de Noirs, pour moi, c'est pas de la discrimination raciale, car elle a eu des apprentis pourris. (...) Il faut comprendre l'entreprise.» Un autre formateur raconte : «Nous expliquons à nos apprentis [issus de l'immigration, ndlr] qu'ils doivent mettre leur photo pour éviter d'être convoqués à des entretiens qui n'aboutissent pas à cause de ça.»

«Aujourd'hui, la tarte à la crème, c'est de parler des entreprises qui font de la discrimination, décrypte l'auteure du rapport. Mais pour ne pas déplaire aux entreprises clientes, les centres de formation reproduisent parfois leurs arguments.» Ils se positionnent en présélectionneurs : certains refusent l'entrée des jeunes dans le CFA, redoutant d'avance les difficultés à les placer. «Notre CFA ne doit pas récupérer une étiquette "CFA pour immigrés"», confie un chargé de relations avec les entreprises, cité dans l'étude. Anticipant des réactions négatives de certains employeurs, des CFA diffusent moins les CV des jeunes issus de l'immigration. «Ces jeunes rencontrés lors de notre enquête étaient d'un niveau bien supérieur aux autres, car sursélectionnés par les CFA», poursuit Olivier Noël, chercheur à l'Institut social et coopératif de recherche appliquée (Iscra) qui a collaboré au rapport.

Débrouille. Certains formateurs sont en «souffrance», selon le rapport. Souvent sans soutien de leur direction, ils se débrouillent : dans une formation d'ingénieurs à bac + 4, l'un d'eux envoie les CV de ses élèves issus de l'immigration quelques mois avant les autres, pour leur donner une chance supplémentaire. D'autres déplacent la discrimination : un chargé des relations avec les entreprises a dressé une liste des employeurs de la région par origine, encourageant les élèves issus de l'immigration à postuler dans des entreprises tenues par des patrons de la même origine.

(1) Les jeunes rencontrés sont à 90 % d'origine maghrébine ou africaine.

Source: Libération

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