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Casablanca-Médina: Emigrer à tout prix

La nuit, la vieille médina de Casablanca offre un autre visage. Apaisée des tensions du jour, elle revêt un charme particulier. Ses anciennes bâtisses, faiblement éclairées par les rayons des lampadaires, font revivre dans les esprits les péripéties d’une époque chargée d’émotion. Les ruelles sinueuses, les impasses étroites, les blocs de maisonnettes, la disposition des commerces… autant de pages d’un livre d’histoire qui défilent. C’est un véritable plaisir que de s’y promener.

Une fillette de 5 ans, toute seule, déambule au fond d’une impasse. Une scène inédite qui fascine un touriste trimbalant son appareil photo. Il ne peut résister: il s’approche de l’enfant et braque son appareil. Les déclics s’enchaînent. La gamine est prise sous plusieurs angles. Des photos qui certainement finiront dans les manuels de l’Unicef sur l’enfance gâchée. Dans ces endroits serrés, ce ne sont pas les enfants qui manquent. Si pendant le jour, ils sont au “msid”, l’école coranique, ou dans des garderies de fortune, la nuit, ils sont à l’extérieur. Ils courent. Ils jouent. Ils se bagarrent aussi. Ils prennent leur liberté. C’est un univers infini qui contraste avec l’étroitesse des maisons.

Toujours est-il que la médina ne dort jamais. Ce n’est pas par plaisir. Ni un choix. La plupart des gens manquent de place chez eux. Ils habitent une petite chambre avec les frères, sœurs et les parents en plus. Une petite chambre qui sert de cuisine, de salon et de salle à manger. La rue permet de trouver son espace vital.

Les enfants ne sont pas les seuls à remplir les quartiers de l’ancienne médina. Les adultes aussi. Au coin de chaque derb, des groupes se forment. On cause, on joue aux cartes… Bref, on tue le temps. Des femmes se racontent des histoires de femmes sur le perron des portes cochères. Des filles, du haut de leur insouciante jeunesse, déambulent le long des rues vétustes.

“Bab jdid”, nouvelle porte, est une brèche dans la grande muraille qui ceinture la médina. Une muraille qui servait jadis à la protéger. Entrant par “la nouvelle porte”, la rue “Afia” nous accueille. Des marchants de fruits dressent leurs étals aux abords et attirent le chaland par des cris retentissants. Tant pis si un riverain a décidé de se coucher tôt ce soir. La nuit, la médina est tout aussi animée que le jour. Plus loin, les vendeurs de menthe et d’absinthe (chiba) tentent de couvrir les clameurs des marchands de fruits. La chiba a du succès en hiver. Ajoutée au thé, elle ouvre l’appétit et réchauffe le corps.

Au bout de l’étroite venelle, des jeunes proposent CD audio et vidéo. Piratés. Mais c’est la seule manière de gagner un peu d’argent. En attendant mieux.

D’autres n’essaient même pas de travailler. L’oisiveté est leur lot quotidien. Ils «tiennent les murs» et rêvent d’un ailleurs meilleur. Le seul sujet qui les intéresse: l’Espagne et son football. Les conversations sont animées entre supporters du Real Madrid et du FC Barcelone. Tous ont envie d’aller les voir jouer sur place. Et la seule possibilité qui s’offre à eux, c’est émigrer. Sans diplômes, sans visibilité socioéconomique, c’est, selon eux, la seule alternative pour quitter «cette misère».

De l’autre côté de la muraille, se trouve “Bab El Marsa”, la porte du port; un lieu où beaucoup essayent de gagner leur vie. C’est vers là que Mohamed, femme et enfant à charge, se dirige, très tôt le matin. Il s’approvisionne en poisson pour le revendre place de “Laâwina”, quartier «Sidi Fath», ou des quartiers chics. Façon à lui de survivre et de nourrir sa famille.

Mais la proximité du port et de ces bateaux qui s’en vont naviguer sur les flots de l’Atlantique, exacerbe l’envie «de foutre le camp». Plusieurs fois par mois, ils tentent l’évasion. Rachid a risqué sa vie à maintes reprises. Les aventuriers connaissent du bout des doigts l’enceinte du port. Tant de fois, ils ont réussi à tromper la vigilance des gardiens. Une fois à l’intérieur, ils se jettent à l’eau et nagent jusqu’au navire convoité. Certains ont réussi. D’autres, on n’a plus de nouvelles. Ceux qui ratent leur tentative, ne perdent pas pour autant espoir. La prochaine fois sera la bonne.

En attendant, ils retournent à leur routine. Café, dodo. Ils prennent plaisir à fumer le narguilé, à se faire passer “un joint”. Manière d’oublier pour un moment leur misère. Les discussions reprennent. Karim raconte ses aventures avec sa copine. Abdou, Deug en économie, se lamente sur son sort: “J’ai 36 ans. Pas de job. Toutes les portes sont fermées. Je veux me marier mais je n’ai pas de quoi faire vivre une famille”. Mustapha, résidant en Espagne, se veut plus optimiste.

La foi, dit-il, soulève des montagnes. Il suffit d’y croire et ne pas se laisser abattre. «Facile à dire quand on est passé de l’autre côté», répond un copain. Aussi pas question de renoncer au grand voyage. Ce sera l’Europe ou rien. Même s’il y a bien longtemps que le vieux continent n’a plus rien à voir avec l’Eldorado tant espéré.

Ali JAFRY
Source : L'Economiste

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