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Les corps des émeutiers de la faim exhumés au Maroc

Le cimetière de fortune est ouvert, là, dans la caserne principale des pompiers de Casablanca. Et, samedi soir, les autorités ont commencé à inhumer la centaine de dépouilles qui s'y trouvaient, dans des tombes individuelles creusées dans une parcelle voisine. Sans que les familles ou les journalistes puissent y accéder.

C'était sous le règne de Hassan II, pendant les «années de plomb». Ce 20 juin 1981, la police anti-émeutes ouvrait le feu sur une foule manifestant à Casablanca contre l'augmentation du prix des produits alimentaires. Le gouvernement ne reconnaîtra que 66 morts. Mais, pour les syndicats, «plusieurs centaines» de personnes avaient été tuées et enterrées dans sept lieux de différents quartiers de la capitale économique du Maroc.

Les dépouilles découvertes samedi montrent que ce bilan est plus proche de la réalité, puisque 114 corps au total ont été retrouvés ­ dont 33 au «cimetière des martyrs», la principale nécropole de Casa.

Faire la lumière. C'est un amateur de football qui, selon une source judiciaire, a permis de retrouver les tombes des émeutiers de Casablanca. «Taraudé depuis vingt ans par cette affaire», cet homme aurait parlé à l'IER (Instance équité et réconciliation). Créée par le roi Mohammed VI et dirigée par un ancien détenu politique, cette commission vise à faire la lumière sur les exactions commises entre 1960 et 1999 par les forces de l'ordre.

Après les émeutes, des policiers en civil étaient venus signifier au footballeur qu'il ne pouvait plus utiliser, avec son équipe, le terrain vague où ils avaient l'habitude de jouer. «Un mur a été édifié pour en interdire l'accès» et, le 20 juin 1981, ce terrain a été «retourné de fond en comble».

Les noms des 114 victimes ayant été retrouvés dans les archives de la morgue de l'hôpital Averroès, l'IER devrait lancer un appel aux familles pour l'identification et la «remise des corps». Celles-ci redoutent cependant que l'inhumation des corps dans des tombes individuelles fasse disparaître des indices indispensables pour poursuivre les auteurs des tueries.

La découverte, pour la seconde fois ces dernières semaines, de restes de victimes des années de plomb survient au moment où l'IER a remis son rapport final au roi. Si celui-ci n'a pas encore été rendu public, il est cependant l'objet des critiques de plusieurs associations de droits de l'homme qui lui reprochent globalement de ne pas aller assez loin dans la recherche de la vérité et de ne rien apporter de neuf, notamment dans l'affaire Ben Barka, l'opposant enlevé à Paris et assassiné en 1965.

Limite. C'est précisément là la limite du processus de réconciliation voulu par le souverain chérifien : ne pas citer les noms des tortionnaires ­ dont certains sont toujours en poste ­ afin de ne pas créer des remous susceptibles de déstabiliser le pays. Dans ce contexte, la «découverte» des dépouilles de victimes des années de plomb a le «mérite» de montrer l'utilité de l'IER dans la révélation de la vérité.

José GARÇON
Source : Libération

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