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Naïma Charaï : De Taounate à Bordeaux, le parcours de vie d’une MRE

Présente au sein de la délégation française du Parti socialiste (PS) conduite par le premier secrétaire, François Hollande, Naïma Charaï, une «beurette» âgée de 33 ans, conseillère régionale en Aquitaine (déléguée à la politique de la ville), revient sur sa venue au Maroc, elle s’exprime sur sa perception du Royaume de l’autre côté de la rive, sur ses inquiétudes face à la montée des islamistes du PJD, du lobby exercé par Nadia Yassine… Cette MRE «anti-Sarkoziste» déclarée, dénonce également la politique menée par la droite et elle espère fortement que 2007 sera d’un grand cru pour son parti et celui de l’USFP.

· L’Economiste: Une «beurette» qui vient au Maroc en compagnie de personnalités politiques françaises, comment vit-elle la chose?
- Naïma Charaï: C’est un moment fort, très intense. Lorsque le directeur de cabinet de François Hollande m’a annoncé la nouvelle, j’ai sauté de joie. Revenir au Maroc dans ces conditions après l’avoir quitté à l’âge de 4 ans, c’est énorme. Je suis née en 1972 à Douar Karia, un petit village situé près de Taounate. Ma famille a rejoint la France en 1976 grâce au regroupement familial. Issue d’une famille très modeste, originaire d’un village rural pauvre, fille d’immigrés… à la base rien ne me prédestinait à vivre des moments aussi particuliers.

· Vos impressions sur le tarmac à Rabat, les premières rencontres officielles avec les décideurs politiques.
- Il est clair que le PS français était attendu! Une importante délégation de ministres avait fait le déplacement pour assurer le comité d’accueil. Nous avons donc été bien accueilli, j’ai senti une attente importante de la part des responsables politiques marocains. Durant 48 heures, les échanges ont été aussi nombreux que riches d’enseignements. Ce qui m’a le plus surpris et enchantée, c’est que malgré la précocité du processus démocratique, initié il y a une dizaines d’années à peine, le champ politique accorde une importance à la femme avec une participation à hauteur de 10%. C’est à saluer!

· Certaines de vos idées reçues ont-elles été balayées?
- A partir de la France, j’étais énormément inquiète sur la montée des islamistes au Maroc et sur leur rayonnement dans le paysage politique. Je me demandais comment les partis allaient s’y prendre pour contrer le Parti Justice et Développement (PJD). Une interrogation que j’ai toujours… sans vouloir donner de leçon, pourquoi des partis comme l’Istiqlal, l’USFP ne font pas émerger des femmes pour exporter le Maroc? Les islamistes, eux, n’ont pas hésité. Les raids de Nadia Yassine et les idées qu’elle véhicule ne manquent de marquer les esprits. Cela a un impact de l’autre côté de la rive. Très souvent, ils n’ont qu’un seul son de cloche.

· Vous êtes élue au Conseil régional d’Aquitaine depuis mars 2004. Pourquoi avoir décidé de vous engager en politique?
- J’ai adhéré au PS en 2002, juste après le fantomatique 21 avril de la même année et la participation du Front National au second tour de la présidentielle. Rejoindre les rangs du Parti socialiste s’inscrivait dans une démarche naturelle car j’étais sympathisante depuis des années. Par contre, ce qui a précipité mon engagement politique, c’est la prise de conscience que le militantisme associatif s’avère insuffisant pour faire bouger une société. Pour cela, il faut investir le champ politique.

· Depuis une dizaine d’années, l’adhésion en nombre de «beurs» à des courants de pensées de droite est apparue. Est-ce un échec de la gauche?
- Je pense que les «beurs» ont tout d’abord été déçus par la gauche à cause des revendications insatisfaites exprimées au début des années 1980 avec la marche des beurs, comme le droit de vote pour les étrangers ou encore la représentativité politique. Puis, la droite, incarnée par Jacques Chirac, a nommé deux ministres issus de l’immigration(1)… alors que la gauche ne l’avait pas fait. On peut dire que la droite a gagné au niveau de la symbolique. Je rajouterai que le discours de Chirac en 2002 qui précisait que les enfants de l’immigration sont les enfants de la République n’a pas joué en notre faveur. Comme d’ailleurs le propos de Lionel Jospin durant la législature 1997/2002, qui déclarait que le Hezbollah est un mouvement terroriste.

· Et avec tout cela, vous restez fidèle au PS.
- Bien entendu car je partage les valeurs véhiculées par la gauche et sa vision du monde. Elle est à l’opposé de la droite qui ne s’attache qu’à gérer le pays de manière électoraliste et populiste sans s’attaquer aux problèmes de fonds qui représentent un danger pour la cohésion nationale. Je pense à la révolte populaire de novembre 2005 dans les banlieues. Alors que le gouvernement Villepin s’était engagé à apporter des réponses concrètes à la jeunesse, rien de tout cela. Dans son projet de loi pour l’égalité des chances figuraient deux propositions. Le Contrat première embauche (CPE) et l’accès à l’apprentissage dès l’âge de 14 ans. Le souhait de cette jeunesse était de l’emploi, de la formation, de l’éducation… La droite a répondu par la précarisation de l’emploi, de la formation, de l’éducation, en direction d’une population précaire.

· Le 16 novembre prochain, vous allez élire le candidat PS qui affrontera celui de l’UMP. En interne, il doit y avoir des tensions…
- Il est impératif de résister à la démocratie d’opinion! Ce n’est pas les sondages qui font une élection. Les Français ne sont pas dupes. Ils voteront pour un programme et pour une alternative. Quant à notre candidat, il devra défendre le projet du parti et s’attacher à être le grand rassembleur de l’ensemble des forces de gauche. Un certain nombre de candidats répondent pour l’heure à ces critères. Les militants trancheront.

. En 2007, les MRE voteront au Maroc mais ne seront pas éligibles.
- Cela me pose une double question! Alors que nous avons déjà du mal à accéder à une citoyenneté pleine dans les pays de résidence, accéder à une double citoyenneté me paraît extrêmement compliqué. Surtout si nous n’avons pas la possibilité de voter dans les consulats.
Pour les MRE qui vivent en France et qui jouissent de la nationalité française, ils peuvent voter et être éligibles. Pourquoi donner une demi-citoyenneté? La citoyenneté, c’est le droit de vote mais aussi l’éligibilité!


«Parcours scolaire de beur»
Arrivée à l’âge de 4 ans en France, Naïma Charaï a suivi un cursus scolaire normal, de l’école maternelle, à l’école primaire et au collège. Au vue de ses résultats, une orientation en lycée professionnel lui était conseillée pour y préparer un Certificat d’aptitude professionnel (CAP) dans le domaine de l’industrie de l’habillement. Ensuite, elle décrochait un Brevet d’enseignement professionnel (BEP) en productique de matériaux souples qui l’a conduit à obtenir brillamment un baccalauréat professionnel. Et là, tout bascule. C’est certainement un des tournants de sa vie. «Lors d’une discussion entre amis sur le thème de la philosophie, une d’entre elles me lance à la figure que je ne pouvais pas m’exprimer car je ne connaissais rien à la philo, vu mon niveau scolaire. Cette position dominante m’a marquée. A tel point que l’idée d’être dominé jusqu’à la fin de mes jours hantait mes jours et mes nuits», précise-t-elle. Du coup, Naïma Charaï a mis le turbo, non pas pour accéder à une position dominante… mais pour ne plus revivre ce cauchemar. Sa réponse: un DESS (bac+5) en psychologie.


(1) Il s’agit de Hamlaoui Mechakra, Franco-Algérien, qui a été nommé au gouvernement Raffarin en qualité de secrétaire d’Etat aux anciens combattants et victimes de guerre. Et de Tokia Saïfi (d’origine algérienne), secrétaire d’Etat chargée du développement durable dans le gouvernement Raffarin (2002/2004). Aujourd’hui elle est députée européenne (UMP).

Rachid HALLAOUY
Source : L'Economiste

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