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Maroc - Afrique : Les limites de la stratégie M6

Le roi Mohammed VI a bel et bien une politique africaine… mais très peu d'hommes d'affaires le suivent et rares sont les diplomates capables de le relayer. Etat des lieux.

“L’Afrique, encore l'Afrique !”. Au bout de sa troisième tournée africaine, le roi Mohammed VI continue de surprendre même ses propres ministres. La preuve, lorsqu'ils sont sollicités, hors tournée royale, ils refusent d'aller “à la brousse”, confie un haut responsable.

Pourtant, notre sacro-saint Sahara est une cause quasi perdue dans
notre propre continent. “Le roi en est tellement conscient, confie un de ses collaborateurs, qu'il a mis en place toute une stratégie. Elle consiste à prolonger l'image du roi des pauvres dans ces pays et à inciter nos riches (groupes) à y aller pour investir. A la fin, il faudrait que ces pays se sentent redevables envers nous, sans qu'on ait à payer directement leur soutien pour le Sahara”.

Monnayer le Sahara, sans valises de dollars

Interrogé par un ami marocain sur sa position pro-RASD, l'ex-président malien Oumar Konaré a reconnu que “c'est une affaire d'argent. En plus, nous avons peur que l'Algérie nous refile tous ses touaregs”. Face aux gros sabots d'une Algérie, connue pour sa “diplomatie de valises de dollars”, le Maroc s'est décidé à son tour de monnayer le Sahara, mais autrement. “Nous ne donnons pas de contrepartie immédiate, mais beaucoup d'aides et de projets de développement. Sur la table des négociations, nous leur disons 'regardez ce que fait le roi pour vous'”, affirme sans sourciller un négociateur marocain.

La valise du Maroc, c'est l'Agence marocaine de coopération internationale (AMCI). C'est grâce à ses fonds débloqués au moindre signal du Palais que des pays, nouvellement acquis à la cause, comme le Bénin et la Guinée Bissau, profitent d'aides régulières. Avec d'autres pays, comme Madagascar, cela se traduit par un accueil chaleureux du chef d'Etat à Rabat. Avec d'autres, comme le Gabon, la cause est entendue au palais d'Omar Bongo à Rabat. Pour chacun de ces pays, Rabat puise dans le budget, constamment rallongé de l'AMCI, pour construire une mosquée, un hôpital militaire, des puits, octroyer des aides en semences, envoyer des musulmans au pèlerinage ou encore accepter des étudiants boursiers.

Pour l'instant, cela ressemble encore - même beaucoup - à du saupoudrage. Plusieurs pays africains continuent de reconnaître la RASD, parce qu'ils sont anglophones (comme le Nigeria, dont on ne reçoit que des immigrés clandestins), parce qu'ils sont idéologiquement de gauche (l'Ethiopie, l'Afrique du Sud), parce que le Maroc n'a pas daigné y ouvrir une ambassade (au Ghana, on vient à peine de se rattraper) ou parce qu'historiquement, ils ont soutenu le Polisario (le cas de la Mauritanie est symptomatique). Le comble est que parmi les pays arabes qui nous soutiennent officiellement, comme l'Egypte, la partie n'est pas gagnée, non plus. La preuve, ils ont voté, contre toute attente, pour la motion algérienne à l'ONU, l'année dernière.

“Nous avons tiré nos conclusions. Nous optons dorénavant pour une diplomatie pragmatique et agressive”, confie un haut responsable, traduisant ainsi la volonté du roi de changer de cap. Cette “agressivité” soudaine opère à deux niveaux. D'un côté, Rabat insiste sur “la connivence algérienne” et met à profit la lutte anti-terroriste pour signifier “un lien trouble entre le Polisario et Al Qaïda”. D'un autre côté, elle cherche à obtenir le soutien explicite de certains pays pour la marocanité du Sahara. “Avant, nous étions frileux. Aujourd'hui, nous insistons pour que les pays que nous aidons s'expriment en faveur de l'intégration du Sahara à la mère-patrie”, confie un diplomate. Et lorsque cela les dérange vis-à-vis de l'Union Africaine (UA), comme ce fut le cas pour Sassou N'guessou, le président du Congo Brazzaville ? “Nous lui suggérons au moins d'accepter la formule diplomatique consacrée : régler l'affaire du Sahara dans le respect de l'intégrité territoriale du Maroc”.

Ne gagnerait-on pas à réintégrer l'UA et défendre nos intérêts de l'intérieur ? Réponse d'un haut responsable : “Nous suivons ce qui s'y passe minute par minute”. Le Maroc s'est visiblement habitué à la politique de la chaise vide, et tente de combler le manque à gagner via son secteur privé. “Les relations personnelles avec les chefs d'Etat ne suffisant plus, le recours aux investissements directs, mais aussi à des investisseurs étrangers que le Maroc pourrait relayer par son expertise, devient très prisé”, explique Abdelaziz Barre, l'un des rares spécialistes des relations maroco-africaines.

Quelques affaires et très peu de diplomatie

La mise en marche de la diplomatie économique commence en 2000. “Sur invitation du Cabinet royal, de gros investisseurs sont sollicités pour accompagner le roi dans sa tentative de revenir en Afrique”, raconte le patron d'un groupe marocain. Très peu font le pas. Sur l'axe Rabat - Nouakchott - Dakar, déclaré prioritaire, quelques avancées sont à noter : Maroc Telecom a acquis 54% des parts de Mauritel ; la route Nouadibou - Nouakchott a été (enfin) bitumée en octobre 2005 ; la RAM a dorénavant 51% des parts d'Air Sénégal ; la liaison maritime Casa - Dakar créée par la Comanav ira jusqu'à Libreville dès le 2ème semestre 2006 ; Attijariwafa bank ouvre une filiale sénégalaise dès janvier 2006. “Au-delà des avantages que cela suppose pour l'affaire du Sahara, le Maroc cherche par ce biais à devenir une tête de pont régionale en matière de banque, de téléphonie et de navigation”, explique Alain Antil, auteur d'une étude sur le sujet. Mais ce qu'il appelle “régionalisation par le bas” ne profite pas à tous les investisseurs. Exemple, le groupe Chaâbi (Ynna Holding) a dû se retirer du Sénégal et faire son deuil d'un projet de 10 000 logements, parce qu'un lobby local s'est opposé à lui et le président Abdoulay Wade n'a rien pu y faire.

Présent par ailleurs, au Gabon et en Guinée Equatoriale, à travers ces mêmes logements sociaux, mais aussi en Côte d'Ivoire, via des usines de tuyauterie, Faouzi Chaâbi, vice-président d'Ynna Holding considère que “le Maroc se réveille trop tard”. Avec deux millions de Libanais implantés dans le commerce, une déferlante chinoise qui rase tout sur son passage et de nouveaux investisseurs de Las Palmas, la concurrence est rude. “L'arrivée des Espagnols nous met à mal même dans des pays où nous croyons être bien implantés politiquement”, explique un diplomate requérant l'anonymat. En Guinée Equatoriale, il suffit que l'opposant hispanophile de notre ami le président Theodoro Obiang N'guema prenne le relais pour que la tendance s'inverse.

Morale : la fragilité diplomatique du Maroc ne peut être comblée par les investissements économiques. L'ONA a beau être actif, à travers Managem qui exploite les mines d'or au Congo principalement, et Oblong, qui distribue les biens alimentaires en gros, avec un chiffre d'affaires de deux milliards de dirhams, cela compte très peu dans la balance. “Avec des ambassadeurs passifs, des chargés d'affaires introuvables et l'incapacité de nos chancelleries à transformer ces petites incursions économiques en atouts politiques, la cause n'est pas entendue”, confie un connaisseur du dossier. Le roi Mohammed VI, conscient que notre diplomatie manque terriblement de mordant, vient de nommer depuis à peine un mois, un nouveau directeur de l'Afrique connu pour son pragmatisme et son esprit d'initiative, Abdellatif Bendahan. Sa mission : rassurer les investisseurs marocains de nature frileux, secouer les diplomates en poste et faire du Maroc un passage obligé des bailleurs de fonds vers l'Afrique. Vœux pieux ? Pour y arriver, il faudrait une réelle révolution interne. Qui en aura le courage ? Le duo Benaïssa - Fassi Fihri ? Croisons les doigts.


Stratégie. Moins d'immigrés et plus de coopérants

La réunion du 27 mars qui se tiendra à Rabat en préparation à la conférence euro-africaine sur l'immigration et le développement cadre bien avec les objectifs du Palais : freiner l'immigration mais aider les pays à s'en sortir. En attendant la tenue de cette méga-messe, à Rabat toujours, les 10 et 11 juillet prochain, le Maroc assure ses arrières. Il vient d'obtenir de l'Union européenne une aide conséquente pour augmenter l'effectif de ses agents anti-immigration à 9 000 gardes. Le Maroc irait-il jusqu'à verrouiller ses frontières Sud ? Jouant entre le sécuritaire et l'humain, le message est clair : “Envoyez-nous des étudiants, non des clandestins”. Aujourd'hui, sur les 7000 étudiants africains admis chez nous, quelque 80% bénéficient d'une bourse de notre caisse noire nationale, l'AMCI. Par ailleurs, celle-ci finance tous les projets d'expertise, agricole ou écologique, que le Maroc va mener dans les pays africains. Elle compte même prendre en charge des “coopérants marocains” qui voudraient bien aller travailler dans un pays du Sud.

Driss Ksikes
Source : TelQuel

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