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Communiqué de la famille Ben Barka

C’est avec beaucoup d’attention que nous avons pris connaissance du rapport final de l’IER.
La partie consacrée à Mehdi Ben Barka suscite de notre part les remarques suivantes.

L’appréciation des conclusions de l’IER doit se faire qu’à la lumière des objectifs que s’est fixés cette instance mais aussi des exigences (surtout en matière de vérité) des victimes, de leurs familles, du mouvement des droits humains et de toute la société marocaine pour un réel dépassement des années de plomb.

Nous avions enregistré la décision de l’IER de s’auto-saisir du dossier de l’enlèvement et l’assassinat de Mehdi Ben Barka, comme dossier symbolique et emblématique du phénomène des enlèvements et de la disparition forcée au Maroc.

Lors de la rencontre que des représentants de la famille de Mehdi Ben Barka et son avocat, Maître Buttin, ont eue avec l’IER, en avril 2004, son président et les autres membres ont réaffirmé les intentions de l’Instance dans ce dossier : leur volonté affirmée d’aller loin dans la recherche de la vérité.

Cette première rencontre, « officielle » et de prise de contact, devait être suivie d’autres réunions de travail, pour approfondir les différents aspects de l’affaire auprès des membres de l’IER chargés du dossier. Il n’en a rien été. Seuls quelques contacts épisodiques avec certains membres de l’IER ont eu lieu.

Après des mois sans aucun contact avec l’IER, nous constatons que les conclusions et les recommandations à propos de l’enlèvement et l’assassinat de Mehdi Ben Barka sont très en deçà des déclarations et des intentions initiales.
La présentation sommaire, incomplète et tendancieuse des faits aboutit à la déformation de la réalité historique et prépare ainsi à la conclusion du rapport sur l’impossibilité d’avancer dans la recherche de la vérité et de confier la poursuite de cette tâche à un organisme qui n’a aucune qualité pour la mener.

Aussi bien le président de l’IER qu’un certain nombre de ses membres ont une bonne (sinon très bonne) connaissance du dossier de l’« affaire Ben Barka », des responsabilités politiques marocaines à l’origine de la disparition de Mehdi Ben Barka et des implications des uns et des autres.

Comment l’IER peut-elle alors écrire dans un rapport destiné à éclairer l’opinion marocaine sur l’un des crimes des plus graves commis durant les années de plomb qu’« il y a un soupçon de l’implication d’un service sécuritaire marocain » ? Comment peut-elle minimiser ainsi de manière aussi caricaturale la responsabilité marocaine dans ce crime politique ?
Pourquoi l’IER n’a-t-elle pas rappelé les condamnations prononcées par un tribunal français à l’encontre d’un ministre marocain en exercice, et d’agents des services spéciaux marocains ?

Comment peut-elle omettre de signaler que les « personnes de nationalité française » dont elle indique la présence au Maroc « pendant un certain temps » sont des truands notoires et qu’ils ont bénéficié durant tout leur séjour au Maroc de la protection des services spéciaux marocains pour poursuivre leur affaires de tenanciers de bars et d’« hôtels ».

Par les documents que la famille Ben Barka leur a fournis, les membres de l’IER connaissent les conditions du « décès » de ces truands après leur enlèvement et leur incarcération au PF3. A ce sujet, nous avons appris par une interview du président de l’IER qu’il a pu visiter le PF3. Seulement, sans procéder à une quelconque fouille, il a tout simplement décrété qu’il n’y avait rien d’intéressant en cet endroit et qu’il n’y avait pas lieu de mener d’autres investigations.
Est-ce là la méthodologie appropriée pour avancer dans la recherche de la vérité ? A trop tarder, n’y a-t-il pas un risque de voir disparaître les éléments matériels ?

Il est certain que l’on ne trouvera rien là où on aura décidé de ne pas effectuer de recherches, ou si on laisse « le temps » effacer d’éventuelles traces.

On peut cependant souligner que lorsque l’IER s’en donne les moyens, elle peut avoir plus de pouvoir que la justice marocaine : elle a pu trouver l’adresse d’anciens responsables des services secrets marocains et les entendre ; ce qu’aucun juge d’instruction marocain n’a pu encore réaliser dans le cadre des commissions rogatoires internationales.

Dans ces conditions et avec les moyens qu’elle aurait pu se donner, on s’étonne que l’IER n’ait pas pu mener plus en avant ses investigations.

Avant même la publication du rapport final, certains membres de l’IER ont en fait le commentaire dans les médias. On a pu ainsi entendre comme justification à la faillite de l’IER dans le dossier de la disparition de Mehdi Ben Barka qu’il faudrait attendre que les autorités françaises fassent des avancées de leur côté dans la recherche de la vérité.

Dans ce crime d’états, il est moralement insupportable et politiquement scandaleux de laisser entendre que l’une des parties responsables ne ferait un pas vers la vérité que si les autres parties en faisaient autant. C’est un chantage odieux au moment où des témoins peuvent être entendus au Maroc, où des investigations peuvent être menées en des endroits bien repérés.

En refusant de pointer les réelles responsabilités qui ont amené à l’enlèvement et l’assassinat de Mehdi Ben Barka, en refusant de préciser les obstacles dressés au nom de la raison d’états depuis quarante ans, en essayant d’éluder les insuffisances de son travail d’investigation dans cette affaire en la confiant à un organisme qui n’en a pas la qualité, l’IER a pris le risque de voir enterrer définitivement le dossier sans que se fasse toute la lumière sur les circonstances de la disparition de la victime ni sur sa sépulture ?
Ce n’est pas le meilleur moyen de rendre hommage à la mémoire de Mehdi Ben Barka et à son œuvre politique, ni la voie pour que le peuple marocain se réconcilie durablement avec son passé. La mémoire collective se nourrit de vérité et de clarté.

Fait à Belfort le 19 janvier 2006.
Au nom de la famille de Mehdi Ben Barka : Bachir Ben Barka

Source : Communiqué de presse

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