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Les carnets «chauds» de Abderrahim Bouabid

L’hommage rendu cette année à la mémoire de feu Abderrahim Bouabid n’a pas été comme ses précédents. Quatorze ans après la disparition du leader socialiste, ses mémoires sont, enfin, rendus publics.

Présentés sous forme d’un ouvrage édité par la fondation portant son nom, ses écrits concernent la période 1960-1961. Ils vont, comme l’ouvrage est d’ailleurs intitulé, du renvoi du gouvernement Abdellah Ibrahim, où Bouabid était ministre de l’Economie et des Finances, à l’accession au trône de feu Hassan II. Les événements politiques ayant ponctué cette période constituent un tournant décisif dans la vie politique marocaine, passée des mains des socialistes à celle de la monarchie, avec la complicité d’autres tendances. Dans ses carnets, Bouabid n’y était pas allé du dos de la cuillère en critiquant l’Istiqlal de l’époque. Bourgeoisie et gros propriétaires agricoles, se réclamant de ce parti, étaient “déchaînés” contre les mesures mises en application dans les domaines de l’industrie, du commerce extérieur, de la monnaie et du crédit. Ils décriaient également la “soviétisation de l’agriculture marocaine”. Comme il l’a souligné lui-même, Bouabid était personnellement la cible de toutes les oppositions, “la bête noire à abattre”.

Et pourtant, cinq ans à peine après l’indépendance, les résultats étaient là. L’intervention au cours de cette cérémonie de présentation du livre, tenue lundi dernier à Salé, de Mohamed Lahbabi, véritable mémoire de l’UNFP-USFP et universitaire, en a tracé les grandes lignes. Sur le plan industriel, il y avait eu la création d’un secteur moteur (complexe chimique de Safi, sidérurgie de Nador, unités de montage et fabrication de camions, de tracteurs et de voitures, unités textiles, raffinerie de Mohammédia…). Dans le secteur commercial, la dépendance à l’égard de la zone franc a été diminuée de 80% à 40%. Sur le plan financier et monétaire, il y a eu la nationalisation de la Banque du Maroc, la création de la BNDE et de la CDG. Les réserves en devises permettaient au Maroc de tenir plus de 6 mois en 1960. En agriculture, il y a eu la réforme agraire, la création d’unités de coopération, le développement de zones irriguées… et la préparation du plan quinquennal 1960-1965. A cela s’ajoutent les efforts sociaux (institution de l’échelle mobile des salaires, de conventions collectives, d’un code de la sécurité sociale…). Sur le plan politique, la charte des libertés publiques, l’Assemblée consultative et la Chambre constitutionnelle ont été institutionnalisées. “Tous ces efforts ont été stoppés, notamment par la main de Mahjoubi Aherdane choisi pour casser la Chambre constitutionnelle”, a affirmé Lahbabi, paraphrasant un passage du livre. Le glas des réformes et de la démocratie avait sonné dès cet instant. Conclusions: le pouvoir personnel a pris le dessus et au dialogue s’est substitué le diktat. Le choix ne devait se faire qu’en la soumission ou l’élimination.

Se voulant un hommage à la mémoire de l’ancien patron de l’USFP, le livre tente en filigrane de faire le bilan de l’action du parti. Le matériau est brut, souvent inédit et il présente un intérêt pour l’histoire récente du pays. Mais il intervient à l’heure où le Maroc fait le bilan de ses 50 ans d’indépendance, à travers le rapport sur le développement humain, mais aussi le rapport final de l’Instance équité et réconciliation. Le choix du moment est donc loin d’être fortuit. A chacun son histoire. A l’heure où la mobilisation est générale vu l’échéance électorale 2007, ces mémoires ne manqueront pas de ressusciter les animosités passées. Comme l’a souligné Larbi Jaïdi, président de la fondation, au cours de la cérémonie, l’ouvrage a le mérite de renseigner sur ce qui est constant et ce qui est mouvant dans le Maroc contemporain. “L’histoire peut se répéter”, a-t-il averti.


Carnet de militant

Pour Ali Bouabid, fils du leader politique et secrétaire général de la fondation, il ne s’agit pas de mémoires proprement dits, mais d’un carnet de militant. Les événements relatés dans ces carnets s’étalent sur la période 1942-1961. Les notes ont été rédigées avant et pendant le séjour en résidence surveillée de Bouabid à Missour. L’absence de fil conducteur et d’une logique chronologique et exhaustive des années concernées par ces différents écrits explique le choix fait par la fondation. Au lieu de lancer un ouvrage où figure l’intégralité des notes recueillies, cette institution a édité une collection de publications périodiques, baptisée Archifab. Le premier numéro est également publié sur les colonnes des deux quotidiens de l’USFP, Al-Ittihad Al Ichtiraki et Libération. Un deuxième devra suivre en mars prochain.

Source : L'Economiste

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