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Ces Indigènes qui font débat

L’appel des Indigènes de la République fête sa première année. Ce texte dénonçant une « France postcoloniale » a suscité autant d’enthousiasme que de critiques. Il a donné naissance à un mouvement paradoxal, entre provocation et réflexion, désir d’autonomie et alliances, à la recherche d’un difficile équilibre entre un « nous » d’affirmation et un « nous » politique.

Voilà un an que l’appel des Indigènes de la République a été lancé. En janvier 2005, les « descendants d’esclaves et de déportés africains, filles et fils de colonisés et d’immigrés, [...] Français et non-Français vivant en France, militantes et militants engagé-e-s dans les luttes contre l’oppression et les discriminations produites par la République postcoloniale » demandaient la constitution d’Assises, « en vue de contribuer à l’émergence d’une dynamique autonome [...], dans la perspective d’un combat commun de tous les opprimés et exploités pour une démocratie sociale véritablement égalitaire et universelle » (1). En un an, cet appel a recueilli quelque 4 000 signatures et s’est transformé en mouvement, relayé par des collectifs, à Paris et dans sa région, à Lyon, à Marseille, à Toulouse, à Lille, à Nantes et à Tours, tandis que les critiques n’ont cessé de s’exprimer, qu’elles soient polémiques violentes ou objections sensées. À l’heure où l’histoire coloniale est sur le devant de la scène publique, quel bilan tirer des Indigènes de la République ?

Un premier constat s’impose : les Indigènes n’ont pas fini de comparaître au banc des accusés. Fidèle à sa ligne, le Monde du 25 décembre 2005 les place aux côtés de l’humoriste Dieudonné, pour voir en eux « les premiers signes de la montée d’un double mouvement de repli, communautariste et mémoriel, qui s’est amplifié au fil des mois ». L’argument, qui n’est certes pas nouveau, se heurte à la vision de Marianne (2), développée un mois plus tôt. « Cet appel n’a rien de spontané, peut-on y lire. Il émane de groupements structurés, issus de l’extrême gauche, de la mouvance altermondialiste, du monde associatif et de certaines composantes d’une version française de ce que l’on appelait, au Liban, le "camp islamo-progressiste". »

Ces approches, difficilement conciliables, assignent au mouvement une place peu enviable, tout en niant sa complexité. Effectivement, des associations et individus (Collectif des musulmans de France, Les mots sont importants, militants, intellectuels...) sont à l’initiative de l’appel, et d’autres (dont le Cedetim et les Jeunesses communistes révolutionnaires) l’ont soutenu. Mais pourquoi, dans le premier cas, n’en retenir que l’aspect communautaire ? Ou, à l’inverse, conclure que l’appel « n’est rien d’autre qu’un prolongement des délires bourdiviens [sic] » ? Qu’« immigrés et personnes issues de l’immigration non européenne (cela est sous-entendu) sont ainsi conviées à jouer les "tirailleurs sénégalais" de l’extrême gauche » ? Adeptes du ghetto ou supplétifs, les Indigènes de la République portent le sceau du soupçon.

« Cette attitude dénote le refus d’un mouvement autonome de l’immigration postcoloniale, qui s’oppose à la tradition d’un antiracisme paternaliste, explique Laurent Lévy, Indigène et père d’Alma et de Lila, deux jeunes filles voilées qui ont défrayé la chronique à la rentrée 2003. "Touche pas à mon pote" passe, mais "Touche pas à moi" casse. L’appel a d’ailleurs ému nombre de militants de la Marche pour l’égalité. L’un d’eux m’a dit : "En le lisant, j’ai grandi de deux centimètres." La radicalité du ton répond à cette frustration. » La Marche pour l’égalité, dont les Indigènes revendiquent l’héritage, c’est cette manifestation qui, en 1983, a marqué l’entrée des enfants d’immigrés dans la sphère politique et permis l’année suivante le lancement de SOS Racisme, soutenu par le parti socialiste. Frustration d’anciens marcheurs face à un mouvement récupéré par SOS Racisme, colère de jeunes « bac + » au chômage, rage des « teneurs de murs » de banlieue : c’est à eux que s’adresse le langage parfois maladroit, voire agressif, des communiqués.

« Nous prononcerons un réquisitoire contre les politiques gouvernementales qui ont provoqué la révolte des quartiers populaires, tonne le « J’accuse » des Indigènes de la République et des Motivé-e-s. Que leurs idéologues, leurs médias et leurs institutions se chargent de la défense ! » Et de dresser les « principaux chefs d’accusation », où se retrouvent pêle-mêle la création de SOS Racisme et de Ni putes ni soumises, les dispositifs sécuritaires, l’expulsion des sans-papiers, l’État d’urgence, la guerre du Golfe et la promulgation de la loi contre le voile. Comme le résume Sadri Khiari, Indigène et membre du comité de rédaction de la revue ContreTemps : « Mettre les pieds dans le plat est une stratégie politique. » Et médiatique, bien sûr : « Portée par le sociologue Abdelmalek Sayad ou le Mouvement de l’immigration et des banlieues, la grille de lecture coloniale n’avait jusqu’ici guère eu d’écho », rappelle Houria Bouteldja, passionaria indigène.

Cette stratégie est-elle bonne ? La question mérite d’être posée

Lire la suite dans Politis n° 883


(1) Voir Politis n° 847 et le site des Indigènes de la République, www.indigenes.org.

(2) Marianne, 3 novembre 2005, « Indigènes des cités : les "nouveaux tirailleurs sénégalais" de l’extrême gauche et de l’intelligentsia ».


Source: Politis

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