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Mohammed VI gouverne le Maroc en nomade

Arrivé au pouvoir en 1999, Mohammed VI gouverne le pays en souverain exécutif tout-puissant.

C'est un roi nomade, un souverain vagabond sans attache ni véritable capitale. Mohammed VI parcourt son royaume à longueur d'année, de palais en palais. Il passe l'hiver dans la douceur du Sud, à Agadir ou Marrakech, le lieu de villégiature à la mode, et l'été dans le Nord, à Tanger ou Tétouan, dans ce Rif longtemps rebelle tant méprisé par Hassan II. Il reçoit ses hôtes à Fès, l'ancienne cité impériale, à Oujda, à la frontière algérienne, et parfois à Rabat, lorsqu'il est de passage dans la cité où siègent son Parlement et son gouvernement. «Le trône des Alaouites est sur les selles de leurs chevaux», commente-t-il lorsqu'il est interrogé sur son errance, en reprenant des propos d'Hassan II.

Sa Majesté n'hésite pas, après le séisme d'Al Hoceima, à planter sa tente royale sur le site du tremblement de terre, à la manière d'un Bédouin fortuné, «pour être plus près de son peuple». Voyageur, il apprécie surtout les périples au long cours. Il a accompli, fin 2004, un circuit d'un mois en Amérique du Sud, qui s'est achevé par un séjour privé à Saint-Domingue. Cette année, il a prévu de partir plusieurs semaines en Asie. Il arrive aussi au roi de disparaître pour une escapade secrète de plusieurs jours à l'étranger. Seuls quelques proches connaissent sa destination : l'hôtel Ritz, à Paris, ou sa résidence new-yorkaise. Pendant ses absences, son frère, le prince Moulay Rachid, numéro deux dans l'ordre protocolaire, le représente.


Peu porté sur le culte de la personnalité

Le goût pour les pérégrinations n'exclut pas le respect du protocole et de l'apparat. Dans les grandes occasions, la suite de Mohammed VI peut se composer de plusieurs centaines de personnes et mobiliser au moins trois avions spéciaux. Le roi organise aussi des fêtes spectaculaires, comme à Fès, au printemps dernier, où un parterre de happy few a célébré la circoncision de son fils, le prince héritier Moulay Hassan, âgé de 2 ans.

Ce train de vie fastueux fait jaser dans un pays ravagé par la pauvreté et le chômage et où les tabous liés à la monarchie tombent un à un. Dans son dernier numéro, l'hebdomadaire Le Journal passe au crible l'évolution du budget de fonctionnement de la maison royale, évalué à 2,6 milliards de dirhams (260 millions d'euros) par an, soit 2,1% des dépenses totales de l'Etat. «Ce montant n'a en soi rien de scandaleux, mais, depuis 2001, le budget de la cour a explosé de 37%», commente Aboubakr Jamaï, le directeur du Journal. «Il représente l'équivalent de l'enveloppe allouée à la Justice et 23 fois plus que la somme dont dispose l'exécutif, qui est réduit à la portion congrue et n'a pas les moyens de s'entourer d'experts.»

Les hérauts du monarque rétorquent que la dotation royale n'a pas augmenté d'une année à l'autre et que les dépenses de la cour sont bien inférieures à celles de la Couronne britannique, espagnole ou même belge. Sur le trône depuis six ans, Mohammed VI communique le moins possible. Sa présence dans les médias internationaux se résume à quelques photos de famille et à des entretiens qui se comptent sur les doigts d'une main. Peu porté sur le culte de la personnalité, le roi se veut accessible au commun des Marocains. S'il aime fendre la foule, vêtu de sa gandoura blanche, debout, les bras levés, dans sa limousine décapotable, il ne prise guère les discours. Ses interventions publiques sont souvent laborieuses, et son manque d'aisance le pousse à éviter les plateaux de télévision. Ce manque de visibilité entretient un halo de mystère autour de sa personne. Qui est vraiment ce souverain décrit par ses interlocuteurs comme un homme «intelligent», «habile», «sensible» mais parfois «déconnecté» ? «Lorsqu'il exerce ses fonctions, il paraît pris dans le carcan imposé par l'éducation paternelle», estime un proche.


Electrons royaux

Exerçant le pouvoir sans jubilation apparente, Mohammed VI n'en reste pas moins un monarque attaché à ses prérogatives. Son premier ministre, Driss Jettou, technocrate scrupuleux, est chargé de suivre au jour le jour les affaires économiques et sociales. Reçu au palais lorsque le souverain le juge nécessaire, il ne pèse d'aucun poids dans les domaines régaliens. Le roi, qui convoque à l'occasion un ministre de souveraineté, dédaigne le rituel du Conseil des ministres, chambre d'enregistrement de décisions prises ailleurs. Jugées inutiles, les réunions du gouvernement sont exceptionnelles. Quant à l'ancienne classe politique, fragmentée et décrédibilisée, elle est affaiblie au point de jouer un rôle de simple faire-valoir.

Les vrais centres de décision sont dans l'entourage d'une équipe restreinte de conseillers et de chargés de mission. La plupart d'entre eux appartiennent à la «génération M6», surnommée également la «génération techno». Quadragénaires, ils ont grandi avec le roi, l'ont accompagné du collège à l'université, avant de le servir. Discrets, ils s'exposent peu. «Pour ne pas s'user prématurément», assure un diplomate. «Pour ne pas risquer d'irriter le roi», soutient un connaisseur du sérail. C'est qu'une trop forte présence sur le devant de la scène peut conduire à la disgrâce. «Mohammed VI est plutôt colérique, et la cote de ses proches varie au gré de ses humeurs», poursuit l'expert.

Travaillant quelques heures par jour, Mohammed VI commence tard et finit tôt ses journées de labeur. Elles sont émaillées de cérémonies officielles, d'entretiens diplomatiques, de visites à des oeuvres caritatives. Ses fidèles ministres délégués ou conseillers spéciaux le suivent d'un palais à l'autre, au gré des convocations, en emportant avec eux leurs dossiers. Un autre groupe restreint de familiers, sans attribution ni compétence particulière, accompagne partout le souverain. Ces électrons royaux sont, avec les membres de l'entourage privé, les courroies de transmission de Mohammed VI. Ils font passer les messages d'un roi qui donne de grandes orientations mises ensuite en musique par un ensemble de solistes. Sans chef d'orchestre.

Thierry Oberlé
Source : Le Figaro

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