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Sahara en attendant l'iceberg ?

Le Sahara connaît des soulèvements à répétition. C'est dans ce contexte que la communauté internationale s'est penchée sur ce dossier. Des recommandations souvent dérangeantes pour le Maroc en découlent.

L'information a fait l'effet d'une bombe. Le 30 octobre dernier, un jeune homme de 24 ans, Moubarki Hamdi Salek Mahjoub, est décédé dans des conditions troubles à Laâyoune. Cet événement tragique est intervenu alors que la ville connaît depuis plusieurs jours des escarmouches entre de jeunes lycéens sahraouis et les forces de l'ordre. À l'approche de la commémoration du 30ème anniversaire de la Marche verte, plusieurs manifestations anti-marocaines ont été organisées par des groupuscules séparatistes. C'est lors d'accrochages entre des jeunes qui scandaient des slogans indépendantistes, sur l'avenue Smara principale artère de la ville, et des policiers du Groupement Urbain de Sécurité (GUS) que Moubarki Hamdi a trouvé la mort.


Un mort, plusieurs versions

Les versions divergent sur les circonstances de son décès. Pour les officiels marocains, il est mort d'une « blessure à la tête due, probablement, à un jet de pierre lancée par les manifestants ». Par contre, les responsables du Polisario ainsi que le président de l'association Sahara marocain, Réda Taoujni, sont formels : Moubarki Moubarki Hamdi a été arrêté par les forces de sécurité et a trouvé la mort sous la torture. Une version rejetée par la famille du défunt. Selon les témoignages recueillis par les proches de Moubarki, « il a été heurté par une voiture de police, puis les occupants (policiers) l'ont frappé à la tête ». Laissé inanimé par les forces de l'ordre, il a été conduit à l'hôpital de la ville « qui a refusé de l'admettre ». Il sera reçu aux urgences après l'intervention des autorités locales. Le 31 octobre dernier au soir, une cinquantaine de personnes ont manifesté devant le domicile du défunt, en agitant des drapeaux de la RASD. Selon Hamoudi Igulid, responsable de la section locale de l'Association Marocaine des Droits de l'Homme, « la police a procédé, le 31 octobre, à de nombreuses arrestations, surtout parmi les jeunes » et d'ajouter « le président de l'Association sahraouie des victimes des violations des droits humains, Brahim Dahane, est porté disparu depuis le 30 octobre dernier. Il a été arrêté par la police alors qu'il se trouvait à proximité de sa maison ». C'est dans ce contexte que Ramadan Massoud, président de l'Association sahraouie de défense des droits de l'Homme, a appelé sur la télévision régionale, à un arrêt de la violence de part et d'autre. Il a également demandé au souverain d'intervenir pour « protéger les sahraouis » et exigé « une modification de la politique sécuritaire menée au Sahara occidental ».


Rejet de l'approche marocaine

Plus grave, la protestation semble dépasser les cadres du Polisario eux-mêmes. Plusieurs localités de la région ont connu des soulèvements similaires depuis le mois de mai dernier. Les populations des villes du Sud marocain comme Guelmim, Assa- Zag... connues historiquement pour leur relative neutralité sont, aujourd'hui, hostiles aux thèses marocaines. Les jeunes de ces agglomérations ont, à maintes reprises, manifesté leur désaccord avec les autorités. Des membres de la tribu des « Oulad Dlime » (établie dans la région de Dakhla) traditionnellement opposés au Polisario, ont dévoilé leur rejet de l'approche marocaine. « Des forums de discussions et des sites Internet (cahiersdusahara.com) ont révélé que des jeunes Saharouis demandent l'indépendance sans appartenir forcément au Polisario. Cela révèle que la crise sociale et le statu quo ont mis en avant une nouvelle forme de contestation », explique un connaisseur du dossier. Une contestation qu'essaye de récupérer le Polisario par tous les moyens.

Cette agitation intervient alors que plusieurs membres du Parlement mènent une « caravane » pour la commémoration du 30ème anniversaire de la Marche verte. La démarche des politiques marocains a suscité une réaction violente parmi les séparatistes. Plusieurs manifestations ont été organisées pour contrer l'offensive parlementaire. Par ailleurs, ce chassé-croisé entre autorités marocaines et séparatistes sahraouis intervient au moment où la mission de la MINURSO est discutée à l'ONU. Le 28 octobre dernier, le Conseil de sécurité a prolongé pour six mois, jusqu'au 30 avril 2006, le mandat de la mission de l'ONU pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (MINURSO). Dans une résolution adoptée à l'unanimité par ses quinze membres, le Conseil a réaffirmé « la nécessité d'un respect total des accords militaires conclus par les différentes parties avec la MINURSO, en ce qui concerne le cessez-le-feu. Demandant à nouveau aux parties et aux Etats de la région de continuer à coopérer pleinement avec l'Organisation des Nations Unies pour mettre fin à l'impasse actuelle et progresser vers une solution politique ».


le double langage de Madrid

Le conseil a pris note « de la libération, le 18 août 2005, par le Front Polisario, de 404 prisonniers de guerre marocains restants, conformément au droit international humanitaire » et demande « aux parties de continuer à coopérer avec le Comité International de la Croix-Rouge en vue de régler le sort des personnes portées disparues depuis le début du conflit ». Les membres du Conseil ont également demandé au nouvel envoyé personnel du Secrétaire général, Kofi Annan, pour le Sahara, Peter Van Walsum, de lui présenter un rapport dans les trois mois sur la situation. La dernière tournée de Van Walsum dans la région visait, selon une source diplomatique, à « explorer les moyens de sortir la question du Sahara de l'impasse politique actuelle ». Le diplomate néerlandais n'avait pas fait de déposition devant le Conseil de sécurité. Il avait informé oralement Kofi Annan sur le bilan de sa première tournée. Dès l'annonce du maintien de la mission de la MINURSO, les réactions ne se sont pas fait attendre. Le ministre français des Affaires étrangères, Philipe Douste-Blazy, gêné aux entournures, a appuyé la recherche d'une solution politique adéquate pour toutes les parties dans le cadre des Nations Unies. « Il faut travailler avec le Secrétaire général de l'ONU et son nouvel envoyé spécial pour arriver à un règlement accepté mutuellement », a déclaré le ministre français. De son côté, le gouvernement espagnol a réaffirmé, par le biais de son porte-parole, que le Maroc « exerce une administration de fait sur le Sahara, qui d'ailleurs est contestée par les Nations Unies ».

Une déclaration qui en dit long sur la position espagnole. L'administration dirigée par le socialiste José Luis Rodríguez Zapatero n'a jamais ouvertement soutenu l'approche marocaine. « Les autorités espagnoles ont un double langage. Elles doivent clarifier leur position », s'énerve un député marocain. L'opposition espagnole, par la voix de son député européen du parti populaire (PP), Antonio Lopez Isturiz, a demandé le 27 octobre dernier, au président du Parlement Européen, Josep Borrell, de mettre en avant une gestion plus démocratique de l'institution européenne à l'issue de la polémique consécutive au vote sur la situation au Sahara occidental.
Le Parti Populaire espagnol s'est félicité que la Chambre européenne ait adopté par une grande majorité le texte le plus dur jamais adopté par le parlement de Strasbourg. « Les membres du Parlement Européen ont donné une leçon à leur président qui, malgré des manoeuvres bureaucratiques marquées par l'absence de transparence, ont permis le vote de cette résolution », a déclaré Isturiz . Borrell voulait retarder l'adoption de cette résolution pour permettre au ministre délégué aux Affaires étrangères, Taïb Fassi El Fihri, de s'exprimer devant les élus européens. Le ministre marocain devait se rendre la semaine prochaine à Strasbourg pour défendre le dossier marocain. La résolution européenne est cependant très critique vis-à-vis des autorités marocaines.

Le Parlement Européen se dit « vivement préoccupé par les derniers rapports d'Amnesty international et de l'Organisation mondiale contre la torture (OMTC), qui font état de graves violations, par le Maroc, des droits de l'Homme à l'encontre des populations sahraouis. Il demande, par ailleurs, la protection des populations sahraouies, le respect de leurs droits fondamentaux, notamment à la libre expression et à la liberté de mouvement, conformément aux dispositions de la déclaration universelle des droits de l'Homme aux conventions et traités internationaux en matière de droits de l'Homme ». Tout en reprenant les dispositions émises par les Nations Unies, les députés européens considèrent que les investigations faites par l'Instance Equité et Réconciliation au sujet des personnes décédées dans les centres de détention illégaux ont permis de situer les lieux où ont été enterrées 57 victimes de disparitions forcées, dont 43 Sahraouis.
Dans la foulée, l'ambassadeur américain auprès de l'ONU, John Bolton, a accentué la pression sur le Maroc en s'interrogeant, après la réunion du Conseil de sécurité le 28 octobre, sur la nécessité du maintien de la force de la MINURSO sans une réelle progression politique dans le dossier du Sahara. Bolton a réaffirmé « la nécessité de trouver une solution politique qui débouchera sur le processus d'autodétermination pour le peuple du Sahara occidental ». Cette sortie intervient alors que l'ambassadeur américain est sous pression des députés US pour revoir à la baisse les dépenses américaines dans les opérations de maintien de la paix de l'ONU qui avoisinent 3,6 milliards de dollars. C'est pour cette raison que Bolton a ouvertement souhaité le règlement de l'affaire du Sahara dans les plus brefs délais.


Redoutable « Hearing »

C'est dans ce contexte que doit se réunir, le 17 novembre prochain, la sous-commission de l'Afrique à la Chambre des représentants du Congrès Américain. Elle devra tenir une audition (Hearing) à la demande du Polisario sur le processus de règlement du dossier du Sahara et sur les derniers événements qu'a connus la région. Cette commission, présidée par le républicain Chris Smith, et dont le vice-président n'est autre que le démocrate Donald Payne, proche des thèses du Polisario, devra auditionner deux personnalités recommandées par le représentant du Polisario à Washington. Il s'agit d'Erik Jensen, ex-représentant de Kofi Annan auprès de la MINURSO et de Frank Rudy, ancien responsable de la commission d'identification de l'ONU au Sahara. Si le premier reste neutre, le second a souvent critiqué l'attitude marocaine. Pour contrer l'offensive séparatiste, les Marocains envisagent de faire appel à l'ex-ambassadeur des Etats-Unis à Rabat, Edouard Gabriel, aujourd'hui lobbyiste attitré du royaume. « Pour que notre cause soit entendue, il faut qu'elle soit défendue par un Marocain d'origine saharouie et qui maîtrise parfaitement le dossier. Le Maroc a souvent fait appel à des universitaires américains (William Zartaman et John Damis) pour défendre notre version des faits devant le Congrès. Le résultat est décevant », souligne un diplomate marocain.

Aujourd'hui, les autorités marocaines subissent une très forte pression. Hormis une conjoncture internationale défavorable, elles doivent faire face à une contestation de plus en plus grande. Leur capacité à gérer cette crise sera déterminante dans la résolution du dossier du Sahara.

Mouaad Rhandi
Source : Le Journal Hebdo

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