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Rabat récuse sa position d'accusé

Le Maroc exige une aide concrète de l'UE pour lutter contre l'immigration.

Pour le journal marocain l'Economiste, il n'y a pas de doute : «C'est la plus sale affaire que la diplomatie marocaine affronte : de quel que bout qu'elle soit prise, elle se retourne contre le Maroc.» Les images des émigrants subsahariens conduits vers le désert dans des autobus marocains ont en effet placé Rabat en position d'accusé. Même si l'Europe, qui a laissé les Marocains et les Espagnols gérer seuls la crise, garde un silence embarrassé et se garde bien de critiquer le royaume (lire page suivante). «Il existe, insiste un diplomate européen, une vraie coopération avec le Maroc à la différence de l'Algérie, qui ne contrôle pas ses frontières, ou de la Libye qui ouvre ou ferme les vannes de l'émigration vers Malte ou Lampedusa en fonction de ses relations avec l'UE.»

Quinze jours après l'assaut de quelque mille émigrants subsahariens contre les barbelés de Melilla, Rabat ne cache pas en tout cas son agacement face à ces reproches. Mais admet que «tout n'a peut-être pas été fait au cours des deux jours» suivant le premier assaut de masse et que les arrestations des clandestins autour de Ceuta et Melilla ont été «musclées face à des gens qui se débattaient pour échapper aux forces de sécurité, qu'elles soient espagnoles ou marocaines».

Entre l'égoïsme de l'Europe et le laxisme des Algériens qu'ils accusent de ne pas contrôler leurs frontières, les Marocains disent ne plus pouvoir faire face seuls à la situation. «Aujourd'hui, il ne s'agit plus seulement d'un problème hispano-marocain, mais d'un phénomène continental où des gens préfèrent la mort au retour dans leur pays d'origine, remarque Fatallah Sijilmassi, l'ambassadeur du Maroc en France. Nous sommes la porte de l'Europe et nous assumons pleinement cette géographie. Mais nous avons toujours dit que la lutte contre l'émigration clandestine devait être une responsabilité partagée.»

Si le Maroc dément avoir fermé les yeux sur les préparatifs de ces assauts pour «crever l'abcès» et contraindre l'Europe à faire de l'émigration clandestine une priorité, il insiste sur sa principale divergence avec l'UE : le sort des ressortissants des pays tiers qui transitent par son territoire. «Nous reprenons, c'est évident, nos nationaux (qui constituent 20 % des émigrants contre 80 % d'Africains, ndlr). Mais si un subsaharien est arrêté, on ne voit pas pourquoi il doit être renvoyé au Maroc et pourquoi il devrait y rester. Nous n'avons pas vocation à faire le gendarme de l'Europe ni son sale boulot», affirme une autre source marocaine. L'agacement est d'autant plus fort que jusqu'ici, Rabat attend la «concrétisation» du plan de lutte contre l'émigration clandestine annoncé par l'UE en 2001. Celui-ci porte sur quelque 40 millions d'euros et prévoit la formation de gardes-frontières, ainsi que la fourniture d'équipements militaires de surveillance des frontières. Le royaume insisterait d'ailleurs sur la nécessité d'une aide bien supérieure aux 40 millions d'euros débloqués par l'UE pour contrôler ses frontières sud et est. En dépit de ce manque de coopération ­ sauf avec l'Espagne, avec laquelle il y a eu pour la première fois des patrouilles mixtes ­, le Maroc se targue d'avoir fait échouer en trois ans plus de 25 000 tentatives et baisser de 40 % le nombre d'émigrants clandestins.

En attendant, Rabat décidait, hier, de faire revenir les bus qui se dirigeaient vers la Mauritanie. Mais le royaume campe sur sa position de reconduite des clandestins à la frontière avec l'Algérie. «Ces derniers arrivent chez nous par l'Algérie, le plus souvent par Tamanrasset et par l'extrême nord-ouest algérien, note une source marocaine. Alger doit donc assumer sa part de responsabilité en contrôlant l'entrée et la sortie des clandestins sur son territoire, même si ses frontières sont immenses.»

Mais au-delà, les Marocains estiment qu'aborder ce problème d'une manière purement sécuritaire ne réglera rien. «Il faut un véritable plan Marshall pour cette partie de l'Afrique qui connaît calamités naturelles et guerres», estime le ministre marocain de l'Intérieur, Mustapha Sahel. Et Fatallah Sijilmassi d'ajouter : «Si rien n'est fait, si on ne traite pas le problème à la racine, je crains que le pire soit à venir.»

Par José GARÇON
Source: Libération

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