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Appel citoyen : Le bruit engendre le bruit

Entre "vive le roi" et "à bas le roi", il y a quelques nuances.
Ce serait bien que les gens du sérail le comprennent…

Avant tout, les faits. D’abord, il y a eu la manifestation de Laâyoune, devenue "confrontation" après un déploiement surdimensionné des forces de l’ordre. Ensuite, il y a eu la "lettre" de Mohammed Abdelaziz, appelant les élites marocaines à dialoguer directement avec le Polisario. Enfin, il y a eu l’interview de Nadia Yassine où elle déclarait que "la monarchie ne convient pas au Maroc" et que "le régime est sur le point de tomber".

Ces trois évènements ont profondément ébranlé le premier cercle royal, et ses prolongements sécuritaires. Ces gens ont vu là-dedans matière à "déstabilisation" du Maroc… et vas-y que je te développe sur "le climat d'instabilité", "la menace planant sur les acquis démocratiques", etc. "L’appel citoyen" intitulé "Oui à la démocratie, non au chaos" est donc tombé à point nommé. On dit qu’il est porté par de "simples citoyens" et que "ça n’a rien à voir avec l’état"… Mais en disant ça, on nous prend quelque peu pour des imbéciles. Depuis quand un appel qui n’est pas fortement soutenu par l’état passe quatre jours de suite en Une du Matin, donne lieu à de multiples dépêches de la MAP et fait les ouvertures systématiques des JT des deux chaînes ? Le problème n’est de toutes façons pas là. Ce n’est pas parce que l’état est derrière cet appel qu’il est déshonorant de s’y joindre. Des gens intègres et au dessus de tout soupçon, comme Khadija Rouissi ou Assia El Ouadie, l’ont signé. Ne serait-ce que pour cela, il mérite qu’on se penche dessus sans arrières-pensées. Quelques remarques, donc.

Premièrement, cet appel donne beaucoup trop d’importance à des gens qui ne le méritent pas. La semaine dernière, dans TelQuel, nous avions réglé le cas Nadia Yassine par une caricature. Franchement, nous avions considéré – et nous continuons à le faire – que sa déclaration ne méritait pas plus. Si cette femme fait dans la provoc’ (et ce n’est pas la première fois), c’est uniquement pour qu’on parle d’elle. En la mettant au centre de cet appel surmédiatisé, on lui rend un grand service. Si on l'envoie en prison, ce sera pire encore : du pain béni pour elle. Quant à Abdelaziz, sa manœuvre est tellement grossière que nous n’avons même pas pris la peine d’y répondre. Que croit cet homme ? Qu’avec une simple lettre, les Marocains vont tourner le dos à leur état, et dialoguer avec lui directement ? Nos autorités ne gèrent pas si bien que ça le problème du Sahara, c’est entendu. Mais c’est un problème que nous réglerons entre nous, et qui ne regarde pas M. Abdelaziz. Lui non plus ne mérite pas plus qu’une caricature (c’est fait, page 16).

Deuxièmement, par cet appel, on lance un mauvais message. S’il suffit de quelques échauffourées, d’une lettre puis d’une interview pour que l’état se sente déstabilisé… c’est que cet état est bien peu sûr de lui. Ce qui nous rassurerait, plutôt que tout ce cirque autour d’un appel contestable, c’est de sentir que notre Etat est suffisamment fort et confiant pour traiter ces gesticulations par le mépris. Au risque de me répéter, c’est tout ce qu’elles méritent.

Troisièmement, en affirmant avec emphase que "le climat général au Maroc est sain et pacifique", puis, plus loin, que "la stabilité du pays et son union nationale ne sont nullement en danger", cet appel laisse penser… exactement le contraire. Si tout va bien, pourquoi le hurle-t-on aussi fort ? Et pourquoi une telle mobilisation ? On se mobilise quand il y a danger, pas quand il ne se passe rien. A contrario, faire du bruit pour rien est le meilleur moyen d’envoyer à nos ennemis le signal suivant : "Nous avons peur de vous". Pire : "Nous avons peur de vos paroles". C’est bien maladroit…

Quatrièmement, et dernièrement, le roi. Dans cet appel, il est dit que Mohammed VI fait l’objet "d’abus et d’excès". Lesquels ? Les déclarations de Nadia Yassine ? Je vais le dire une dernière fois : elles ne méritent pas tant d’honneur. Quoi d’autre ? Les (rares) critiques frontales contre un aspect ou un autre du "style M6" (dont mon récent éditorial sur son besoin d’un conseiller en communication, qui a fait apparemment du bruit en haut lieu) ? Ce ne sont que des opinions exprimées en toute bonne foi. Elles sont même, pas toujours mais souvent (c’était mon cas, en tout cas) sous-tendues par un certain patriotisme. Mais allez convaincre de ça des gens qui ne sont prêts à comprendre que "vive le roi" ou "à bas le roi" ! Il y a quand même des nuances, dans la vie. Ce serait bien que les gens qui nous gouvernent le comprennent.

Driss Reda Benchemsi
Source : TelQuel

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