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Driss Basri : «Une opération de marketing et de publicité»

Ancien ministre de l'Intérieur de 1974 à 1999, Driss Basri est l'un des hommes clés de la période revisitée par les auditions publiques de l'Instance équité et réconciliation (IER). En délicatesse avec l'équipe au pouvoir à Rabat, l'ancien homme lige de Hassan II est devenu un cas embarrassant pour Paris : installé dans un appartement du XVIe arrondissement de la capitale, il est à l'heure actuelle un «sans-papiers» de luxe.

Le FIGARO. – Que pensez-vous des auditions de l'Instance équité et réconciliation ?

Driss BASRI. –
Les nouvelles autorités marocaines ont peut-être perdu la mémoire pour ne pas se rappeler que la page de ce que l'on a eu injustement coutume d'appeler le «stock des droits de l'homme» a été définitivement tournée à la fin des années 90. Le roi Hassan II avait procédé à une grâce amnistiante bénéficiant aussi bien aux auteurs des actes de subversion qu'aux membres de l'appareil adminitrativo-judiciaire. Mais certains responsables, voulant certainement légitimer leur pouvoir, se sont aventurés à tout remettre sur le tapis avec un marchandage grotesque. Quant aux auditions télévisées, il s'agit tout simplement d'une opération de marketing et de publicité. Elles permettent au gouvernement actuel de masquer une réalité politique et économique dégradée et à certains responsables d'essayer de se laver les mains à bon compte sur le dos de feu Hassan II. De la même manière, le concept des «années de plomb», inventé en son temps par les adversaires de feu Hassan II dans les années 70 comme arme de combat contre la monarchie alaouite, constitue un slogan éculé, vide et creux...


Reconnaissez-vous une part de responsabilité dans la répression de l'opposition ?

Au Maroc, je ne pense pas qu'il y ait eu une politique de répression systématique de l'opposition. Le régime de Hassan II se défendait légitimement contre les menaces de déstabilisation d'origines diverses. J'étais personnellement le serviteur de Sa Majesté, qui a régné pendant près de quarante ans. Durant toute cette période, seules 1 500 personnes environ avaient été arrêtées, jugées, condamnées ou acquittées selon les lois et les procédures du Code pénal. Bien que le Maroc ait eu à traverser des tentatives de putsch, des complots de subversifs civils armés, des émeutes populaires et des infiltrations de commandos manipulés de l'étranger et même l'installation de certains maquis. Voilà tout compte fait le bilan chiffré de la répression reprochée à Hassan II par ses adversaires, qui avaient tenté de l'assassiner à plusieurs reprises durant ce qu'ils appelaient les «années de plomb». Récemment, en 2003, après les attentats du 16 mai commis à Casablanca, plus de 7 500 personnes ont été arrêtées, interpellées et gardées à vue en dehors de toutes les normes et de toutes les garanties. Deux mille cinq cents ont été déferrées devant les tribunaux pour être jugées et condamnées à des peines allant jusqu'à la réclusion à perpétuité et à la peine capitale... Cette affaire de terrorisme maroco-marocaine a été l'occasion pour les autorités de voter de nouvelles lois dites antiterroristes qui balaient d'un coup tous les acquis et de mener un gigantesque guet-apens aux islamistes.


Que devenez-vous depuis votre départ du pouvoir, en novembre 1999 ?

Je fais l'objet de harcèlement, d'intimidation et de diffamation depuis mon départ du gouvernement après la mort de Hassan II. Les partisans du lifting de l'autorité makhzenienne (NDLR : l'autorité centrale) s'acharnent à charger le régime de Hassan II, dont j'étais, avec certains autres, l'élément moderniste. Tout cet effort tend à faire de moi une victime expiatoire comme si le Maroc était alors une sorte de terra nullus, une terre sans institution, ni Parlement, ni gouvernement.


Etes-vous en exil à Paris ?

Je suis un Marocain résidant dans mon bon droit en France, mais sans formalisme excessif... Je suis venu, avec l'aide et la bénédiction de mon souverain, me faire soigner à Paris, y accédant régulièrement, avec un passeport marocain valide et un visa français délivré par l'ambassade de France à Rabat. Mon titre de voyage a expiré en mars 2004 et je me suis adressé au consulat du Maroc à Paris, mais on a refusé de me le renouveler. Embarrassées, certaines autorités de Rabat arguant de mon statut d'homme d'Etat me demandent de venir au Maroc pour obtenir le renouvellement. Ils tentent par ailleurs d'en convaincre quelques responsables français, mais en vain. C'est kafkaïen.


Qui vous en veut ?

Certaines personnes dans l'entourage du roi qui s'amusent à longueur de journée à alimenter la presse, à diffamer, à fabriquer de faux procès, à manipuler la justice et finalement l'opinion publique. Ces gens se croient tout permis. Mon épouse, ma fille, mes enfants sont régulièrement traînés dans la boue. Leur objectif est de me faire taire. Je parlerai et j'exprimerai toujours mon opinion sur les affaires de mon pays.

Thierry Oberlé
Source : Le Figaro

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