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Témoignages publics au Maroc sur des sévices et tortures

Initiative inédite dans le monde arabe, le Maroc, qui veut faire montre de transparence sur les accusations de violations des droits de l'homme dont il a pu faire l'objet sous Hassan II, a commencé à diffuser mardi des témoignages sur des tortures et des disparitions.

Ces auditions, dont la diffusion se fait en direct sur les ondes de la télévision et de la radio nationales, sont réalisées à l'initiative d'un organisme chargé par l'Etat de se pencher sur les exactions commises sur une période de 43 ans, entre l'indépendance de la tutelle française, en 1956, et 1999.

L'Instance équité et réconciliation (IER) a été chargée d'enquêter et de se documenter sur de "graves" violations des droits de l'homme commises notamment dans les années 1960 et 1970, une période qualifiée d'"années de plomb", sous le règne de feu le roi Hassan II.

Pour éviter toutefois de raviver des tensions dans le pays, aucun nom n'a été cité. Les participants ne sont pas autorisés à donner l'identité des individus responsables de ces sévices.

Certains de ces bourreaux pourraient encore occuper des postes haut placés dans l'appareil d'Etat, notamment dans l'armée.

L'IER affirme avoir reçu 22.000 dossiers. Une vingtaine de personnes - des victimes, des proches de victimes et des témoins - ont la possibilité de s'exprimer pendant 20 minutes chacun, pour raconter notamment les détentions arbitraires, disparitions et tortures dont ils ont été témoins ou qu'ils ont subies aux mains des forces de sécurité.

Les auditions ont commencé dans l'auditorium d'un ministère à Rabat, avec six intervenants qui s'adressaient à un public d'environ 200 personnes, en plus des auditeurs et téléspectateurs qui pouvaient suivre leur intervention.

DES SOUFFRANCES "IMPOSSIBLES A DECRIRE"

Elles auront lieu dans dix villes différentes, sur une période de dix semaines.

Les six intervenants de mardi, cinq hommes et une femme âgés d'une cinquantaine ou d'une soixantaine d'années, ont évoqué calmement, avec dignité - trois d'entre eux en s'appuyant sur un texte - sur les arrestations arbitraires, les longues détentions sans procès dans des conditions abjectes, et les "étranges et inimaginables tortures" qu'ils ont subies.

El Ghali Bara, 62 ans, a été emprisonné pendant 15 ans dont une bonne partie dans un centre de détention secret, jusqu'en 1991, date à laquelle il a bénéficié d'une grâce royale.

"Il est impossible de pouvoir décrire ces souffrances endurées, par moi-même, ma famille", a-t-il dit, se souvenant de la brûlure des cigarettes appliquées sur tout son corps par ses bourreaux.

Selon Hanny Megally, chargé de la région Proche-Orient et Afrique du Nord au sein de l'International Centre for Transitional Justice (ICTJ), dont le siège se trouve aux Etats-Unis, "l'impact de ces auditions (...) sera énorme, non seulement pour le pays mais pour toute la région".

Pour Rachid Manouzi, 53 ans, l'humiliation ultime fut d'entendre de la bouche de l'un de ses geôliers: "Vous les Manouzis, j'aurais aimé vous torturer à mort, vous brûler, vous réduire en cendres, vous mettre dans une boîte de sardines et la fermer."

Manouzi a été arrêté sans raison à l'âge de 19 ans, puis détenu pendant un an avant de prendre le chemin de l'exil, où il est resté 25 ans.

ACCUEIL PRUDENT CHEZ LES DEFENSEURS DES DROITS DE L'HOMME

L'IER, présidée par Driss Benzekri, un ancien prisonnier politique respecté au Maroc, devrait présenter un rapport final en avril 2005 où seront exposées les raisons et les responsabilités institutionnelles cachées derrière ces violations des droits de l'homme.

La plupart des victimes réclament des dédommagements, notamment sous la forme de réparations financières.

Le mandat de la commission a déçu de nombreux militants des droits de l'homme marocains qui avaient fait campagne pour que soient sanctionnés les auteurs de tortures ou les meurtres de dissidents politiques.

"C'est une bonne initiative, mais il faut que certaines conditions de transparence soient réunies lors de ces auditions", a déclaré Abdelilah Ben Abdeslam, un membre de la principale organisation de défense des droits de l'homme, l'AMDH.

"Les témoins (...) doivent pouvoir donner les noms des auteurs de violations des droits de l'homme. On ne peut pas parler de vérité si ces bourreaux occupent encore des postes confortables au sein de l'Etat, et de ses institutions."

Donnant l'image d'un Etat modéré et pro-occidental au sein du monde arabe, le Maroc a été dirigé pendant 38 ans par un monarque qui s'est appuyé sur un appareil de sécurité musclé.

Selon des organisations de défense des droits de l'homme et des historiens, le roi Hassan II a jeté en prison des milliers d'opposants ou de personnes perçues comme telles, de militants de gauche, d'islamistes et de comploteurs, réels ou non.

Peu après son arrivée sur le trône, son fils Mohammed, animé d'intentions réformistes, a créé une commission qui a dédommagé financièrement environ 4.000 victimes de violations.

Le roi Mohammed VI avait déclaré lors de la création de l'IER, en janvier, que son objectif était de faire en sorte "que les Marocains se réconcilient avec eux-mêmes et avec leur histoire".

Cela devait permettre de poser "le dernier jalon sur un parcours devant conduire a la clôture définitive d'un dossier épineux," avait-il ajouté.

Gilles Trequesser
Source : Reuters

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