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Le Maroc et l’énigme algérienne

Le Maroc a un problème algérien comme on peut avoir mal aux dents ou être malade des articulations.

Il est malade de l’Algérie et la question n’a jamais été de savoir si cette maladie est guérissable. Sauf pour les candides car cette maladie est bel et bien chronique, c’est-à-dire qu’elle sévit depuis longtemps, persiste et se prolonge. Il faut donc faire avec et essayer avec une thérapeutique adaptée d’en réduire les effets et d’en atténuer les souffrances.
Le processus historique de l’entité algérienne depuis son occupation par l’armée française en 1830, ne constitue pas, en effet, une bruyante nuisance de voisinage seulement. Les turbulences qu’il provoque sont beaucoup plus alarmantes et beaucoup plus excessives que cela. Depuis cette date, cette tendance n’a pas cessé. Par moments, elle s’est exacerbée et s’est même dangereusement aggravée.
Ainsi, l’entité algérienne a toujours été une sorte de domaine réservé de l’armée depuis qu’elle a été occupée par la France. L’armée y avait la haute main du fait de l’étendue de son territoire entre la Tunisie et le Maroc et de sa profondeur, de la Méditerranée au sud du Hoggar (grignotant largement sur le Mali et le Niger, soit 3.280.000 km2 pour 710.000 et 164.000 pour le Maroc et la Tunisie). La maîtrise et le contrôle de cet immense espace ne pouvaient stratégiquement se concevoir sans une armée puissante et surtout tutrice et omniprésente dans tous les rouages de l’administration. L’armée n’y était pas, comme en métropole, dépendante du pouvoir politique mais bel et bien la puissance tutélaire. Les événements survenus entre 1954 et 1962 le confirment à l’évidence. Son rôle et sa mission étaient de consolider son pouvoir, d’étendre et d’agrandir son territoire. L’armée était aidée en cela par trois facteurs: la connivence des colons, l’esprit expansionniste militaire et la faiblesse des pouvoirs des pays voisins.
Pour apprécier le résultat de cette convergence de facteurs, il suffit de regarder la carte des pays du Maghreb et des pays limitrophes du sud algérien.

· Logique militariste

Le pouvoir algérien actuel et depuis l’Indépendance en 1962, a hérité comme légataire universel de cette situation et de cet état d’esprit. La logique militariste a prévalu naturellement et l’institution militaire a été consacrée comme l’épine dorsale du régime. Du point de vue expansionniste, rien ne permet d’affirmer que cette logique est étrangère à la contestation virulente de la marocanité des provinces du sud du Maroc. Nous y reviendrons. La maladie algérienne du Maroc ne se vérifie toutefois pas seulement avec la question de ses provinces du sud. Historiquement, il est facile de rappeler d’autres exemples qui confirment cet esprit expansionniste et qui cherchait à mettre le Maroc sous autorité de l’entité algérienne et de ses puissances dominantes.
Ainsi, les accords franco-marocains de 1901-1902 consacrent l’extension territoriale algérienne sur le Sahara marocain particulièrement sur les territoires de Gourara, du Touat et du Tidikelt.
Ces accords signés par Délcassé, ministre des Affaires étrangères de France et Ben Slimane, ambassadeur plénipotentiaire marocain, ont revêtu la ratification du gouvernement chérifien -faible et surendetté- à la date du 16 décembre 1902.
Le Maroc, de ce fait, a été amené à céder une immense partie de son territoire sud-ouest, mitoyen de l’Algérie (AGP. Martin: Quatre siècles d’histoire marocaine, Rabat).

· Rêves brisés

Autre illustration significative. Dès la signature du Protectorat en 1912, le nouvel institut d’émission, la Banque d’Etat du Maroc, reçut le privilège de frapper monnaie. Mais sous la pression du “Comité du Maroc”, lobby formé par les colons d’Algérie, la monnaie émise par la Banque d’Algérie fut adoptée à la même date comme monnaie officielle. Un dahir de 1914 lui donna cours légal et force libératoire et punissait même pénalement ceux qui en exigeaient le change.
Les billets émis par la Banque d’Etat du Maroc furent, par ailleurs, créés sur la base de la parité avec les billets algériens et français. Mais même cela parut insuffisant et fut combattu par la Banque d’Algérie. Elle exigeait le monopole de l’émission de la monnaie et essaiera de s’imposer face aux prorogatives légales de la Banque d’Etat du Maroc. Elle introduisit ainsi illégalement ses billets au Maroc en grande masse et les faisait circuler par le biais de ses filiales qui y étaient installées. En 1924, le montant de ses billets représentait 47% de la monnaie en circulation (F. Natal: Le crédit et la banque au Maroc, 1929).
En somme, les turbulences du voisinage algérien ne datent pas d’aujourd’hui et leurs origines ont des racines bien profondes. Le Maroc de son côté n’est évidemment pas en reste. Car si l’Algérie a hérité de la logique militariste et l’a prolongée, le Maroc a, pour sa part, construit son régime sur une mentalité non moins négative, celle de la Résidence générale qui était plutôt policière, dite aujourd’hui sécuritaire par euphémisme. Or, on sait quel fut le rôle du ministère de l’Intérieur, héritier de cette Résidence quatre ou cinq décennies durant, et quels en sont les résultats des points de vue des libertés, des droits de l’homme, de la domestication et de la corruption des élites, des déficits sociaux alarmants, de la pauvreté et de la crédibilité du régime politique lui-même.
Comment ces deux systèmes, le premier issu d’une logique expansionniste et militariste, l’autre s’appuyant sur une approche absolutiste et sécuritaire pourraient-ils aboutir à la construction d’un bon voisinage?
Les rêves des Indépendances et de la construction d’un Maghreb des peuples se sont largement brisés sur ces logiques que les régimes politiques n’ont pas su dépasser, ou pire, qu’ils ont perpétuées pour garder et monopoliser le pouvoir. Il en a résulté des systèmes où l’arbitraire et la violence sont certainement le plus grand dénominateur commun.
Le Maroc a durant très longtemps vêtu son autocratie d’un habit juridique; l’Algérie a trop longtemps justifié la mainmise de l’armée sur le pouvoir par le prétexte de la préservation de l’unité nationale. On sait comment ce régime utilisant ce prétexte a cassé l’élan démocratique, rejeté le choix des urnes et entraîné le pays dans un carnage que le mot boucherie n’arrive pas à couvrir.
L’Algérie est un pays riche. Elle possède toutes les potentialités pour séduire l’investissement. Son solde commercial extérieur a atteint 12,5 milliards d’euros en 2004 (130 milliards de DH!).

· Société épuisée

Les avoirs de sa banque centrale sont de 25 milliards d’euros, bien supérieurs à la dette extérieure estimée à 22 milliards. Son problème est que même si le pétrole représente 97% des exportations et que sa croissance varie entre 6 et 7% en 2003 et peut atteindre 8% en 2005, toutes ses richesses ne profitent pas à la population. Le chômage atteint 26% et 7,5 personnes en moyenne vivent sous un même toit .
Aït Ahmed a raison de dire que “le rêve algérien a été brisé par la rupture entre l’idéal de l’indépendance et la liberté; que l’Algérie a perdu l’occasion de se réconcilier avec elle-même et que la société est aujourd’hui épuisée et exsangue”.
Malgré tout cela, le peuple algérien reste porteur d’espoir. Les Marocains s’en sentent proches et solidaires.
Malgré les épreuves et la persistance des visées expansionnistes d’un régime fondé sur une logique militaire, les Marocains ne culpabilisent pas le peuple algérien du fait de la politique de ses dirigeants à l’égard des provinces marocaines du sud.
Nous y avons aussi commis des erreurs à cause de l’héritage policier des responsables marocains.
C’est pour cela que les politiques menées de part et d’autre, lourdes d’un passé dont ces gouvernants n’ont pu être émancipés, ne pourront pas faire que les Marocains détestent un Mohamed Dib, Rachid Boujedra, Kateb Yacine, Hassan Terro, Haj El Anka, la musique chaâbi ou Fellag… Leur génie soulage tellement ce mal algérien.



Par Mohamed Larbi BEN OTHMANE
Source: L'Economiste

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