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Affaire Mandari : Les bonnes questions

Sera-t-il plus menaçant mort que vivant ? Les premiers éléments de l'enquête le laissent penser.

Dans Quelles circonstances est-il mort ?
Dans la nuit du 4 au 5 août, à Mijas, petite localité espagnole dans la région de Malaga, un cadavre a été retrouvé dans le sous-sol d’un parking privé, portant comme seule pièce d’identité un permis de conduire établi au nom de Hicham Belhassan El Alaoui. La police locale a été alertée par un coup de fil anonyme et s’est rendue sur place pour établir le constat.

Le cadavre est encore "chaud", la mort ayant eu lieu entre 23h et minuit. Un impact de balle est retrouvé derrière l’oreille gauche. Un seul coup a donc été fatal au défunt. La police prend aussitôt des photographies du cadavre et relève ses empreintes digitales. Le lendemain, les documents sont envoyés à Interpol pour confirmation de l’identité du cadavre. L’enquête est confiée conjointement à la police et à la Guardia Civil (équivalent de la gendarmerie marocaine), le lieu du crime étant à la frontière de deux juridictions différentes. Interpol fait suivre le complément d’enquête sur l’identité du cadavre et saisit à son tour les autorités françaises. Le 12 (ou le 13) août, nous cite une source proche du dossier, "les autorités espagnoles reçoivent un coup de fil de Paris confirmant l’identité du cadavre". Il s’agit bel et bien de Hicham Mandari, mais aucun document officiel ne le confirmera, et personne ne connaît l’identité de la personnalité française qui a passé le fameux coup de fil confirmatif. Ce n’est que le 13 août, plus d’une semaine après les événements, que l’annonce est faite via une dépêche d’agence. Durant le long intervalle, et jusqu’à aujourd’hui, le cadavre n’aurait pas quitté la morgue de Malaga.

Où en est l’enquête ?
Ni les conclusions préliminaires de l’enquête conjointe de la police et de la Guardia Civil, ni les pistes privilégiées par l’instruction en cours n’ont été divulguées. Black-out total. Les seules informations disponibles sont le résultat de fuites de l’instruction en Espagne, ou de sources plus ou moins fiables. À prendre, donc, avec beaucoup de réserve. D’après nos informations, une équipe de télévision (espagnole) locale s’est rendue sur place, dès la nuit du 4 au 5 août, pour filmer de loin, en cachette, "ce cadavre déchaussé étendu sur le parking", sans en savoir plus sur l’identité du défunt. Un seul coup de feu aurait été entendu. Les enquêteurs retrouvent un témoin oculaire qui affirme avoir vu "la victime courir, poursuivie, à 20 mètres, par deux individus de type maghrébin". À relativiser : Mandari, traînant de la jambe droite (séquelles d’une balle reçue lors d’une précédente tentative d’assassinat), pratiquement impotent, est incapable de courir… Le point d’impact de la balle (derrière l’oreille) rend la thèse du suicide très improbable. Mandari a été assassiné. Le défunt n’a été enregistré sur aucun hôtel de la ville, ni dans aucune propriété de la région. À moins qu’il ne se soit présenté sous une autre identité, ce qui n’est pas impossible, Mandari a débarqué à Mijas peu avant sa mort. De même qu’il n’a été enregistré sur aucun vol, ce qui laisse croire qu’il s’était déplacé par train ou, plus probablement, en voiture jusqu’à la Costa Del Sol. Tout indique que Mandari s’était rendu à un lieu connu de lui, discrètement et a priori en toute confiance.

Si rien ne prouve formellement qu’il a été assassiné dans le parking, sa mort a bel et bien eu lieu vers 23h, peu avant l’arrivée de la police, dans tous les cas pas loin du fameux parking. Une autopsie aurait été pratiquée sur le corps du défunt, mais avec beaucoup de retard (deux semaines après le meurtre, d’après des sources espagnoles). Une seule balle a été retrouvée dans le corps de Mandari qui, par ailleurs, ne porterait guère de trace de sévices corporels (bandeau sur les yeux, marques autour des poignets), ce qui exclut la thèse du kidnapping. La combinaison de ces éléments laisse croire, d’après nos sources espagnoles, que Mandari a été exécuté à bout portant, probablement sur un lieu de rendez-vous avec une personnalité qu'il connaissait. À moins que l’un de ses habituels gardes du corps ne se soit chargé de la besogne (il y a encore un an, Mandari se baladait avec trois gardes du corps : deux Français et un Espagnol).

Qui l’a tué ?
Assurément un tueur professionnel, tant le "travail" semble propre et précis, du moins à ce stade de l’enquête. "La première balle tue", disait le film. Cela a été le cas, en cette nuit du 4 au 5 août. Reste à déterminer pour le compte de qui un tel "travail" a été exécuté. Toutes les pistes retenues par les enquêteurs espagnols n’ont pas été rendues publiques, pour d’évidentes raisons diplomatiques. Mais Mandari est Marocain, il résidait en France et avait des antécédents avec le Bahrein : il est donc logique que les regards se portent d’abord, et dans l’ordre, vers ces trois pays. Sans oublier l’Espagne, où il a été assassiné. Qui a donné le (les) feu-vert pour tuer Mandari ? Étant donné le profil du personnage et ses activités, et en attendant les conclusions officielles, la piste marocaine ne peut pour le moment être écartée. Elle est même, et de loin, la plus présente, inutile de le nier. Des sources fiables, au Maroc, soutiennent que "la nouvelle de la mort de Mandari était connue, dans certains milieux du royaume, au moins deux jours avant son annonce par les médias". Peu après l’annonce, justement, une délégation de policiers marocains (des éléments de la BNPJ, peut-être aussi de l’un des deux services de renseignement marocains, DGST et DGED) s’est rendue en Espagne pour, nous apprend-t-on de source officieuse, "aider à l’enquête". Elle y serait d’ailleurs toujours. Tout cela peut, évidemment, être lié au fait que le mort est un citoyen marocain, sans plus… Le 22 août, soit neuf jours après l’annonce, le chef d’État bahreini, Hamad Ben Issa Al Khalifa, a effectué une visite-express au Maroc, où il a été reçu par le roi Mohammed VI. Une visite qui a eu lieu, nous apprend une source sûre à Rabat, au moment où le Bahrein était plongé… dans une panne d’électricité générale. L’urgence interne n’a pas empêché le cheikh Hamad de se rendre au Maroc. Le chef d’État bahreini a déjà été nommément mis en cause par Mandari dans ses sorties médiatiques sur l’affaire de la fausse monnaie. Quelle que soit la raison de la visite officielle du cheikh Hamad, sa présence au Maroc peut être perçue, étant donné son timing, comme une imprudence, voire une erreur diplomatique, tant du côté marocain que bahreini… Reste la France, dont l’embarras est réel dans cette affaire. Mandari y a déjà purgé des peines de prison, il attaquait à répétition ses institutions, dont le Président Chirac lui-même. Surtout, Mandari y a déjà fait l’objet de deux tentatives d’assassinat dont les auteurs n’ont jamais été arrêtés. La protection que les services français offraient à Mandari était pour le moins faillible. Le défunt avait des affaires personnelles, et des procès en cours, en France. De plus, l’attitude de Paris (le fameux coup de fil pour confirmer l’identité du défunt, l’absence de tout document officiel en ce sens) traduit, dans le meilleur des cas, un embarras certain. C’est un homme que le Maroc a longtemps essayé de faire extrader des États-Unis où il était détenu, entre 1999 et 2002, et qui a failli se faire assassiner deux fois en France depuis, que on l'a retrouvé mort dans le petit parking de Mijas…

Était-il lié à des réseaux mafieux ?
Logiquement, oui. Mandari, de son vivant, ne s’est jamais caché d’avoir trempé dans des affaires louches. "Oui, disait-il encore à l’auteur de ces lignes il y a 15 mois, j’ai trempé dans des ventes d’armes, dans la fabrication de fausse monnaie, j’ai même détourné l’argent de Hassan II, mais je n’agissais pas que pour mon seul compte". Ce qui est sûr, c’est que Mandari a beaucoup voyagé. Il a fréquenté du beau monde. Tous ceux qui l’ont côtoyé savent que l’individu roulait sur l’or. Sans oublier qu’il a commencé, et c’est désormais avéré, sa "carrière" dans les rangs de la sécurité royale qui veillait, sous la conduite de Mohamed Médiouri, sur la vie et certaines affaires personnelles de Hassan II. Quand on lui posait la question sur les "mafias" avec lesquelles il aurait été en connection, voire en conflit, Mandari prenait le contre-pied : "Si vous voulez dire que les services de sécurité du monde entier sont des mafias, alors oui, j’ai toujours été en contact avec la mafia". Le profil du personnage et son passé ont à coup sûr intéressé, à un moment ou à un autre, aussi bien les services marocains que français, espagnols, bahreinis, américains (Mandari avait purgé une partie de sa peine, entre 1999 et 2002, aux États-Unis), voire algériens et, plus loin encore, africains, puisque l’individu a déjà effectué des "missions spéciales" dans certains pays "amis".

Est-il le fils de Hassan II ?
Rien ne le prouve. Hicham Mandari est officiellement le fils de Mohamed Mandari, un homme d’affaires établi depuis de longues années aux Emirats (où il a séjourné, un moment, en prison), et Shéhérazade Fechtali. Il a grandi, en partie, dans le foyer de Abdelhafid Benhachem, ancien patron de la DGSN, et sous l’aile protectrice de Mohamed Médiouri, qui a longtemps dirigé la sécurité personnelle (protection rapprochée et service de renseignements compris) du roi Hassan II. Plusieurs sources fiables soutiennent que "Mandari avait ses entrées directes au secrétariat particulier de Hassan II". Les mêmes sources soutiennent que "Mandari était effectivement chargé, parfois, de certaines missions à l’étranger, sur instruction de Médiouri, voire de Hassan II en personne". Mais de là à dire qu’il était son fils... En fait, ce n’est que depuis l’été 2003, et sa première mise en liberté, que Mandari disait à qui voulait l’entendre qu’il était le fils de Hassan II : "Je suis le fils du roi et de sa concubine Farida Cherkaoui". Toutes les sources approchées, dont des familiers du Palais, nous assurent du contraire. Les nombreuses concubines de Hassan II n’avaient pas le droit de tomber enceintes. Les rares cas de grossesses accidentelles étaient automatiquement suivis d’avortements. Comment, dans ces conditions, Farida Cherkaoui aurait-elle pu tomber enceinte et le cacher à tout son entourage ?

Qui est Farida Cherkaoui ?
La concubine la plus célèbre de Hassan II. Et, d’après plusieurs témoignages, la plus aimée et la plus influente aussi. Farida Cherkaoui aurait été "donnée", nous assure-t-on, à Hassan II à l’âge de 16 ans. Elle en aurait près de 60, aujourd’hui. Proche de Médiouri, c’est elle qui a parrainé l’entrée de Mandari dans les arcanes du sérail. En 1998, et alors que la santé de Hassan II déclinait sérieusement, Farida Cherkaoui s’est retrouvée au cœur d’une "guerre au harem de sa majesté". Les concubines, inquiètes pour leur avenir, se livraient bataille. On prête à Farida Cherkaoui, avec la complicité de Mandari (et peut-être d’autres), le vol de plusieurs chéquiers personnels de Hassan II, en plus de documents personnels. Depuis la fuite de Mandari aux États-Unis, peu avant le décès de Hassan II, Farida Cherkaoui semble s’être évaporée dans la nature. On la disait "disparue en France", des sources soutiennent qu’elle est, depuis la mort du monarque, "enfermée dans un palais, dans un état de délabrement mental, en compagnie de trois anciennes concubines".

A-t-il laissé des documents derrière lui ?
C’est ce qu’il a toujours affirmé. "J’ai des documents compromettants pour la monarchie, pour Hassan II, Mohammed VI et la famille royale". Mandari entendait par là tenir des documents écrits et des enregistrements, se rapportant tant aux "affaires" qu’à la vie privée. Il pointait également des pays comme la France, certaines pétro-monarchies et des États africains amis du Maroc, allant jusqu’à prétendre que certains de ces documents seraient "entre les mains de la CIA". Il n’épargnait pas, non plus, des dignitaires du régime, notamment au sommet de la hiérarchie sécuritaire, militaire et économique. Vérités ou simple bluff, le fait est que Mandari donnait en permanence l’impression d’être bien informé, notamment sur les affaires internes du Maroc. "J’ai mes réseaux, affirmait-il, que j’entretiens grâce à mon argent et à mon portefeuille relationnel". Difficile, pour le moment, de le confirmer, ni d’établir l’existence véritable de ces prétendus documents compromettants sur tout le monde.

Quels sont ses liens avec la cour ?
Mandari était un familier de laCour. En plus de ses liens tissés dans l’entourage le plus immédiat de Hassan II (Médiouri, Farida Cherkaoui), il fréquentait la jeunesse dorée de Rabat. Tous les palaces du royaume se rappellent encore de ses frasques. Au night-club Amnésia, Mandari pouvait côtoyer le futur Mohammed VI, Moulay Rachid ou Fouad Ali El Himma. Il aurait même recruté l’un de ses premiers hommes de main, et gardes du corps, dans la célèbre boîte de nuit de la capitale. Plus tard, quand il était en détention en Floride pour l’affaire de fausse monnaie bahreinie, Mandari soutenait être en contact avec des émissaires de la Cour : "Snoussi, Frej, Kadiri, Bennani, etc. : tous ont essayé de négocier mon silence". C’est ainsi qu’il s’exprimait encore à l’été 2003. En France, il a eu affaire à d’autres supposés émissaires : Othmane Benjelloun et, d’après certaines sources, Mehdi Qotbi.

Qui était-il, vraiment ?
Un être habile et rusé à la voix douce, presque enfantine, et au physique enveloppé. Un jouisseur et un flambeur, surtout. Mandari n’avait ni l’étoffe, ni la consistance intellectuelle d’un leader politique, et encore moins d’un opposant. Il était plutôt un dissident de la Cour, un homme qui donnait l’impression d’être riche et seul. Il tentait depuis deux ans de revêtir la tunique d’un opposant du roi en personne. "Mon problème, il est avec Mohammed VI, je suis son ennemi numéro un", nous disait-il alors. Il a tenté de récupérer les frustrations nées à l’intérieur et en dehors du royaume : en revendiquant "le communiqué des officiers libres" (un texte dénonçant l’élite militaro-sécuritaire) en fin 2002, en créant un "parti" du nom du CNML (Comité national des Marocains libres, basé… à Londres) en juin 2003, en jouant un moment la carte islamiste (citation de hadith et de sourate à tous bouts de champ) et en cherchant… à éditer un Doumane en France, à l’insu de Ali Lmrabet, alors en prison, toujours en 2003. Des initiatives toutes tombées à l’eau. Mandari était en éternelle représentation, circulant avec de fausses identités, prêchant le vrai et, le plus souvent, le faux. Mais un homme traqué, indiscutablement. "Les services marocains veulent ma peau depuis 1999, nous affirmait-il encore, il m’ont raté une fois en Colombie, deux fois en France. Une fois (courant 2003), ils m’ont posté une balle de pistolet sur laquelle ils ont gravé le nom de ma fille : Rachida". Disait-il vrai ou tissait-il un mensonge de plus ?

Karim Boukhari
Source : TelQuel

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