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La presse et Basri : Le bûcher médiatique devenu piédestal

Il est partout, à la «une», posant d'un hebdo à l'autre, interviewé-vedette de publications sensibles au grand frisson. Entre gorge profonde et donneur de leçon, l'ancien ministre d'Etat à l'Intérieur tient son monde, le petit monde de la presse, en haleine. Driss Basri distille les informations selon les supports - à nos confrères d'As-Sahifa, il reconnaît avoir suscité et aidé financièrement à la création du PSD et sur les colonnes d'Al Ayam, il déclare que le défunt Roi Hassan II lui aurait demandé de rejoindre les rangs de l'USFP pour procéder à sa réforme- se taille un personnage sur mesure, veut traverser l'histoire, toutes les histoires, et profite comme de bien entendu des tribunes qui lui sont offertes intra muros.

Limogé mais jamais remis de son éloignement du pouvoir de grand vizir, l'ancien inspecteur de police devenu ministre fait l'actualité. Il devient sujet porteur. Plus encore, acteur de changement et défenseur des valeurs de la démocratie et du progrès. La presse s'est engouffrée dans cette brèche tendue comme un piège et se fait complice (involontaire ?) d'une histoire revisitée, adaptée sans copyright et surtout tronquée.

" On peut imaginer que M. Basri ait fait amende honorable. Qu'il ait même changé et opéré un virage à gauche, cela ne regarde que lui. Mais que la presse en fasse le sujet principal de l'actualité marocaine depuis trois semaines interpelle sur les choix éditoriaux des journaux.

On peut se demander en quoi les déclarations de cet ancien ministre qui, il y a quelques années à peine, était l'ennemi de quelques journaux courageux osant le dénoncer, vont faire avancer un débat auquel il n'a jamais cru. On peut se demander aussi comment ce candidat au bûcher médiatique est aujourd'hui bon client de la presse ", s'interroge un observateur de nos mœurs médiatico-politiques.

Cette interrogation pose en fait le problème complexe des rapports de la presse au pouvoir. En l'occurrence ici d'un pouvoir déchu. La posture comme l'imposture est universelle. Par principe et dans une définition profondément dogmatique -peu importe qu'elle soit anachronique- le pouvoir est l'ennemi des journalistes. Basri en sait quelque chose.

Du temps où il était encore en exercice, puissant ministre de l'intérieur de Hassan II comme se plaisait à le présenter la presse parisienne, journaux et hebdos –de plus en plus nombreux à la fin de la décennie 1990- tenaient l'inventaire de ses dérapages, abus et autres falsifications électorales.

Les militants traqués, les droits humains bafoués, les élections truquées, le Sahara sous régime ultra-sécuritaire, les femmes privées de passeport, des carrières et des vies brisées, les Marocains en liberté surveillée, le pays verrouillé, bref, toutes ces forfaitures étaient dénoncées à la " une " des quelques journaux qui avaient, à l'époque, suffisamment de courage pour le faire. Rien n'améliorera ses rapports avec la presse. Ministre de l'intérieur, puis de l'information par cynisme ou humour noir, il ne sera jamais l'idole des journalistes, qu'il avait censuré ou interdit d'antenne. Et même ces thuriféraires de la planète média agissaient plus par crainte et intérêt que par admiration pour l'action de l'homme.

Une surprenante réhabilitation médiatique

Jusqu'à son limogeage, la presse ne l'épargnera pas. Et c'est cette même presse qui avait dénoncé et fustigé le thé d'honneur offert par Abderrahmane Youssoufi, alors premier ministre, au ministre d'Etat à l'intérieur " remercié " qui aujourd'hui le porte sur un piédestal. " Youssoufi doit partir ", avait même titré, dans un élan d'indignation, un hebdomadaire casablancais. Le souvenir des forfaitures était toujours vivace, les plaies béantes. Catalysant la douleur d'une large frange de l'opinion publique, qu'elle soit militante ou pas, la presse avait mal et la douleur se nommait Driss Basri.

Que s'est-il alors passé ? Et comment expliquer cette bien soudaine et surprenante réhabilitation médiatique de celui-là même qui pendant longtemps a nourri la chronique des dépassements ? Comment expliquer aussi la métamorphose à laquelle procèdent des journaux faisant du même Basri un militant voire une figure de proue d'une opposition en exil ?

" On a la drôle impression que le temps a fini par tout effacer. L'impression douloureuse que la presse est amnésique, qu'elle peut aussi laver plus blanc et donner l'absolution suprême. Les ennemis d'hier sont aujourd'hui les héros de certaines rédactions. Le grand serviteur du Makhzen et sa femme de ménage comme le disait Basri de lui-même, probablement parce qu'il procédait au nettoyage d'activistes et de journalistes est aujourd'hui élevé au rang d'opposant. Sa parole est militante et la presse cultive désormais l'oubli.

Ce qui ne l'empêche pas de revendiquer, quelques pages plus loin, un nécessaire devoir de mémoire sur les années de plomb ", répond un journaliste allant jusqu'à comparer les rapports de la presse avec Basri au syndrome de Stockholm, conformément auquel la victime finit par épouser la cause de son bourreau.

L'ancien ministre qui n'avait jamais accordé d'interviews alors qu'il était aux commandes du pouvoir peut se targuer aujourd'hui d'avoir inventé un nouveau genre journalistique, le chantage médiatique. La profession peut en être désolée car le journalisme n'a jamais été cela. Et quand les règlements de compte politico-financiers entrent dans les rédactions, le journalisme en sort sur la pointe des pieds. Basri ne supportait plus le silence.

Des journalistes ont choisi de l'en sortir. C'est leur droit. Qu'ils en fassent un militant, un chantre de la démocratie, un défenseur de la personne humaine, simplement parce qu'il n'est plus au pouvoir, cela dénote d'une amnésie assassine. Car ce sont bien des mémoires meurtries qui sont aujourd'hui insultées.



par Narjiss Rerhaye
Source: Le Matin

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