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Aherdane, Elyazghi, Osman. Adieu grands-pères

Trop beau pour être vrai. Trois dinosaures de la classe politique sont tombés en quelques mois, chassés par leurs propres troupes. La “coïncidence” peut signifier le début d’une ère nouvelle.

Le dernier tombé est le plus vieux de la bande. Mahjoubi Aherdane. 94 ans s’il vous plaît. Fondateur de la première Haraka en 1957, fidèle allié du Makhzen, Aherdane a été à peu près partout. Au gouvernement, au Parlement, au CCDH. Poète et peintre à ses heures, en plus de son métier de toujours : harangueur de foules. Le doyen de la classe politique a été régulièrement contesté par la jeune garde de la Haraka. Le vieil homme avait pour lui sa gouaille, un certain franc-parler qui n’exclut jamais le dérapage verbal, et un côté pur parmi les durs, ancien, qui a longtemps incarné, parfois pour le meilleur, souvent pour le pire, le Maroc des traditions. En dehors de ces qualités, l’increvable Mahjoubi Aherdane avait pratiquement tout contre lui. Même ses “enfants”, Mohand Laenser en tête, se sont successivement retournés contre lui pour le bouter, au final, hors du MP originel. On le croyait (politiquement) mort il y a dix, vingt, trente ans. Mais ce n’est pas pour rien que même ses ennemis l’appellent, avec une pointe d’affection, le Sphinx. Le zaïm ressuscite pour retrouver sa place là où il l’a laissée, imperturbable, le verbe haut et le ton cassant, comme si de rien n’était. C’est exactement ce qui s’est passé lorsque, sentant l’opportunité de dominer la composition de la future équipe gouvernementale, tous les produits dérivés de la mouvance populaire, moins le MDS du commissaire Mahmoud Archane, ont réunifié leurs rangs pour se fondre dans le seul MP. Avec Aherdane président ! Déchirements, séparation et réconciliation, comme dans un bon mélo bollywoodien. Avec le happy end final. C’était en 2006.

En 2007, le MP, rassemblé comme les pièces d’un puzzle éclaté en mille morceaux, a raté l’examen des élections. Recalé du casting gouvernemental, le parti est retourné à ses soucis quotidiens. Dont l’un, majeur, s’appelle Aherdane. Le président ne fait pas l’unanimité. Ceux qui réclament sa tête menacent de claquer la porte. Aherdane a l’habitude. Les premiers mécontents sont exclus, le problème n’est pas réglé. Le MP est d’autant plus mal que la saignée qui le menace n’est pas le seul fait du président. Le parti semble avoir été monté pour figurer au gouvernement. Question de vocation. Un parti du oui. Peu habitués à l’exercice de l’opposition, les élus du MP risquent de trouver le temps long avant 2012, rendez-vous des prochaines élections. Comment, entre-temps, résister à l’appel des sirènes (le groupe d’El Himma pourrait, s’il s’en donnait réellement l’objectif, avaler à lui seul la moitié du Parlement), comment rester unis sous les ordres de l’éternel Aherdane ?

Le Sphinx, peut-être de concert avec le reste de la direction, a choisi de prendre les devants : il démissionne, mais après l’Aïd pour rester dans l’esprit “tradition”. Même s’il assortit son “geste” de son intention de créer une sorte de comité des sages à l’intérieur du MP, son départ ressemble à un sacrifice. Le parti, derrière, peut espérer au mieux récolter les bienfaits d’un éventuel choc psychologique (auprès des élus du groupe, notamment). Autrement, les enfants de la famille harakie s’en retourneront fonder, chacun, un hizb de plus.

Le “frère” qui se voyait Premier ministre
Même s’il n’existe aucun point de comparaison entre les deux formations politiques, le départ de Mahjoubi Aherdane ressemble bien à celui de Mohamed Elyazghi, déposé quelques jours auparavant par ses “frères” de l’USFP. Le “jeune” (72 ans !) premier secrétaire socialiste a été poussé dehors dans un geste, désespéré, pour limiter la casse à l’USFP. Le parti va mal. L’échec de 2007 sonne le glas de l’option participationniste entérinée (à quel prix !) avec l’Alternance de 1998. L’ancien premier parti populaire du pays a perdu en influence, sa participation au gouvernement ne dépend plus des urnes mais de ses deals successifs avec le Pouvoir. 2003 a été l’année charnière, celle de la dernière chance. L’USFP, vainqueur aux élections, se voit refuser (par le roi) la primature. Youssoufi plie bagages et retourne à Cannes, pour éviter d’exprimer son amertume. C’est probablement là que tout a basculé. La maison socialiste brûle déjà et Elyazghi, qui s’est toujours rêvé calife à la place du calife, rate l’occasion de retourner à l’opposition. Le nouveau numéro 1 brigue ouvertement la primature, accepte de jouer le jeu et reporte ses espoirs sur septembre 2007. Le pari débouche sur un fiasco et la suite du scénario ressemble à une fuite en avant : l’USFP rate les élections, Elyazghi est un ministre sans portefeuille et le parti est menacé de scission. Une de plus.

“S’il n’était pas parti, c’est le parti qui l’aurait fait, le laissant seul à l’USFP !”, nous lâche ce dirigeant du parti de la rose. Un peu comme ce qui s’était passé quand, en 1975, Elyazghi, Bouabid et toute la crème socialiste avaient vidé les rangs de l’UNFP (pour fonder l’USFP !), abandonnant le parti au seul Abdellah Ibrahim. L’UNFP est depuis une coquille vide. L’USFP courait le même risque sans le départ, obtenu au forceps, d’Elyazghi.

Comme pour le MP, le choc psychologique de l’USFP est une manière de gagner du temps. Rien ne dit que la casse s’arrêtera au seul départ d’Elyazghi. Pris en sandwich entre sa crise interne et sa participation au gouvernement, le parti, à l’image de son groupe parlementaire, a du mal à discerner entre soutien et opposition. Il fait les deux à la fois, c'est-à-dire une chose et son contraire. “Alors, franchement, avec ou sans Elyazghi, pfff, qu’est-ce que cela changera ?”, s’interroge notre source. Réponse : peut-être pas grand-chose, si ce n’est que le prochain numéro 1 de l’USFP sera plus jeune que le “frère” Elyazghi. Fatalement.

Le “bleu” dont le centre n’a plus besoin
Contrairement à Aherdane et Elyazghi, Ahmed Osman a (déjà) fait du bien à son parti en acceptant, après un forcing de plusieurs années, de rendre les clés de la maison. À 77 ans, il était temps. Osman a tout connu. Beau-frère de Hassan II, le patron des “bleus” a été Premier ministre en 1972, une époque où la moitié des Marocains n’était pas encore de ce monde. Il aurait pu arrêter il y a trente ans ou alors, comme le dit l’un de ses anciens collaborateurs, “à la mort de Hassan II, quand le Maroc a (un peu) changé”. Osman a appuyé sur l’option “continuer”. Alors il a continué, envers et contre tous. Contesté par ses troupes, pressé de toute part, Osman a bénéficié d’un alibi (“Sans moi, le RNI n’existerait plus !”) et d’une devise (“Le Maroc a besoin d’un parti de centre”). C’est l’alibi qui a flanché. Le RNI, parti de notables et de technocrates, a rajeuni ses rangs, subitement gagnés par des besoins de démocratie interne. La direction, réduite à un seul homme, a vieilli et pas de la meilleure des façons. “Honnêtement, nous avons longtemps accepté de maintenir Osman, parce qu’on le croyait capable de nous obtenir des portefeuilles au gouvernement, des postes de responsabilité. C’était vrai hier, ça ne l’est plus”, lâche cet ancien bleu. Comme un téléphone perdu au fond de l’eau, le réseau Osman a cessé de fonctionner. La mort politique à rallonge du “président” a offert un sauf-conduit à Osman, qui s’est épargné une sortie sous les huées de ses propres “enfants”. Soulagement pour Osman, les bleus et le centre marocain. Le RNI existe toujours et n’a pas fait de petits. Mustapha Mansouri, plébiscité en mai 2007, a la tête d’un zaïm d’aujourd’hui. Sauvé(s) par le gong !

Indépendamment de la logique interne, personnelle, qui a présidé aux départs forcés d’Aherdane, Elyazghi et Osman, c’est le “jeune” Abbas El Fassi, 67 ans, qui hérite aujourd’hui de la casquette du doyen des zouâma (des partis qui pèsent sur la scène politique). Les Istiqlaliens, dont le prochain congrès devrait avoir lieu courant 2008, savent ce qu’il leur reste à faire…

Karim Boukhari
Source: TelQuel

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