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Les législatives marocaines vues par la presse internationale

Largement présentées dans les journaux avant le scrutin, les élections marocaines ont été relativement peu commentées après.

Jusqu’à présent, il y a peu de commentaires sur les élections marocaines dans la presse internationale. Cela est dû au fait que ce que les commentateurs avaient annoncé, ne s’est pas produit. Le succès des islamistes présentés comme modérés et largement comparés, assez abusivement d’ailleurs par besoin de simplification, à ceux déjà au pouvoir en Turquie n’a pas eu lieu.

Le décollage économique du pays, reconnu par tous, n’a pas été pris en compte dans le vote de la population. La victoire d’un parti vu souvent de l’extérieur comme archaïque et dépassé a pris de court les analystes.

Cela fait que les électeurs marocains ont désorienté la presse internationale, mais c’est cela la démocratie. Il y a cependant une analyse constante. Le taux au mieux de 37% de votants est un signal alarmant pour la démocratisation voulue par le régime.

Cette abstention a frappé les envoyés spéciaux du journal Le Monde : « Les salles de classe paraissent étrangement nues. On a retiré des murs tous les dessins qui fleurissent d’habitude dans les écoles primaires. Gazelles, chameaux, éléphants, lions, roses, épis de blé... Tout a disparu ». « Cela nous a donné du boulot ! Mais on risquait de se voir accuser de faire de la publicité pour tel ou tel parti », explique le président d’un bureau de vote. La moitié de la population marocaine étant analphabète, les 33 partis en compétition pour les élections législatives du vendredi 7 septembre ont en effet orné leurs bulletins de vote de sigles - le plus souvent un animal - pour faciliter les choses.

Mais rien n’y a fait : les Marocains ont massivement boudé les urnes. Dans la médina de Rabat et dans celle de Salé, c’est la cohue, en cette fin de matinée. Les gens font leurs courses en prévision du ramadan, qui commence jeudi. Voter ? Bien peu semblent s’en soucier. A Takkadoum et El-Youssoufia, quartiers populaires situés en périphérie de la capitale, règne la même indifférence. Dans les écoles transformées en centres de vote, présidents, assesseurs et représentants des partis s’ennuient ferme. L’après-midi s’écoule, interminable. Pas d’incident. Mais partout, on attend l’électeur.

Voilà ce qu’écrit Le Figaro en ce qui concerne cette fois les résultats. « Les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD) stagnent. Leur présence inédite dans l’ensemble des circonscriptions à l’occasion des élections législatives ne s’est pas traduite par une percée électorale.

Le PJD espérait doubler le nombre de ses parlementaires à la Chambre des représentants. Il ne parvient même pas à devenir la première force politique du pays. La dernière-née des grandes formations du royaume est devancée par l’Istiqlal, l’ancêtre des partis politiques marocains. Le PJD a échoué dans sa tentative de mobiliser au-delà de son électorat urbain issu des classes moyennes.

Les électeurs lui ont souvent préféré des partis traditionnels de notables, comme en témoigne la présence en troisième position du Mouvement populaire (MP-berbérophone, 43 sièges) et du Rassemblement national indépendant (RNI-droite, 38 sièges), placé au quatrième rang. Ils ont aussi boudé la gauche : l’Union socialiste des forces de progrès (USPF), le parti dominant de la coalition gouvernementale sortante, perd plus d’un quart de ses députés.

La consultation électorale marque la victoire de personnalités locales bien implantées dans leurs fiefs. Ces hommes de réseaux et d’influence ont utilisé leurs relais parmi la population pour s’imposer. Le redécoupage au printemps des circonscriptions a joué en leur faveur. Il s’agissait, en réévaluant le poids des campagnes, de prévenir une poussée islamiste et de favoriser l’émiettement politique. »

Pour Libération, il n’y a que des perdants

« C’est l’élection de tous les perdants. La démocratie, les islamistes, les socialistes... Une vraie hécatombe. On ne sait par où commencer tant les législatives marocaines de vendredi ont multiplié les enseignements négatifs.

Commençons par le taux de participation, la principale information du scrutin : avec 37%, il est le plus bas enregistré dans l’histoire électorale du pays. Une mauvaise nouvelle pour le pouvoir, en particulier pour le roi Mohammed VI, qui avait appelé, dans son discours du Trône du 30 juillet, les Marocains à participer massivement et à ne pas laisser les partis acheter leurs voix. La chute est d’autant plus significative qu’une grande campagne de mise à jour des listes électorales avait entraîné l’inscription de près d’un million et demi d’électeurs en plus.

Entre 2002 et 2007, plus d’un million de Marocains en moins ont voté. Si la démocratie formelle a progressé, la politisation, elle, a régressé. Les principales victimes de cette défiance sont les islamistes modérés du Parti pour la justice et le développement (PJD). Présentés comme les grands vainqueurs par anticipation, ils n’ont remporté que 47 sièges, contre 42 dans la chambre précédente, alors qu’ils ont doublé le nombre de leurs candidats. Dans sa première réaction, Saâd Eddine el-Othmani, a dénoncé des achats de voix : « De nombreux candidats ont utilisé de l’argent ».

En réalité, le PJD a été le plus affecté par l’abstention du fait de son implantation dans la classe moyenne urbaine. Les citadins, plus politisés, ont massivement déserté les urnes, là où les ruraux, plus sensibles aux pouvoirs locaux et aux clientélismes, ont plus voté. Mais le PJD ne pourra éviter de rendre des comptes à sa base sur sa stratégie de modération, destinée à amadouer le Palais et les investisseurs étrangers...

Autres perdants, les socialistes de l’USFP - ils passent de 50 à 36 députés - qui payent sans doute neuf ans de participation au gouvernement sans amélioration des conditions de vie des plus pauvres. Le grand vainqueur est l’Istiqlal (52 sièges), le vieux parti nationaliste, représenté par des notables féodaux.

Le futur Premier ministre devrait sortir de ses rangs. Mais Mohammed VI peut tout aussi bien nommer un technocrate non-élu de son choix car la majorité des députés sont loin des dirigeants jeunes et ¬efficaces, que le monarque veut voir mettre en œuvre sa vision d’un Maroc moderne. Son ¬ancien bras droit, Fouad Ali al-Himma, a été élu sans coup férir dans une circonscription rurale de la région de Marrakech ».

Démenti
Les principaux quotidiens avaient publié des papiers sur un Maroc tranquille face à l’arrivée annoncée des islamistes « régimistes » et modérés au pouvoir si le Roi le décidait.

Ce scénario de la presse internationale bien huilé a été démenti par les électeurs marocains et cette dernière a un peu de mal à expliquer pourquoi elle s’est trompée et ce qui s’est vraiment passé, ce que cela signifie et quelles en seront les conséquences politiques pour l’avenir proche.

C’est tout cela qui explique la grande prudence des commentaires et même leur rareté au regard de l’événement. Ce qui confirme une fois de plus que ce ne sont pas les journalistes qui font l’élection, mais les électeurs, au Maroc comme ailleurs.

Patrice Zehr
Source: Le Reporter

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