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Des élections marocaines sans enjeu

Les Marocains semblent se désintéresser des élections législatives du 7 septembre. Entre une presse étroitement surveillée et des résultats que le palais compte bien contrôler, l'enjeu est en effet mince. Reste la rue pour s'exprimer... et Internet pour se défouler.

Vendredi 7 septembre, le Maroc se choisit un nouveau Parlement. Mais de toute façon, le résultat de ces élections se décidera au palais et nulle part ailleurs. Non pas que les autorités marocaines s'abaisseront à bourrer les urnes. Non, pourquoi des solutions aussi vulgaires alors qu'il suffit de travailler un peu en amont pour éviter les mauvaises surprises ? Par exemple, pour être sûr de ne pas avoir de majorité absolue, il suffit d'un mode de scrutin qui favorise les petits partis. Ils seront 33 à se disputer vendredi prochain le vote des Marocains.

Il suffit ensuite de redécouper habilement les circonscriptions électorales. Ou encore de s'assurer de la loyauté des principaux partis et candidats. Bref, le Maroc officiel s'est depuis longtemps préparé à cette élection et à son résultat. Tous les Marocains savent cela. Le défi est d'en trouver la trace dans des quotidiens et magazines locaux étroitement surveillés. Pour avoir simplement effleuré ces questions qui fâchent, le directeur des hebdomadaires Nichane et TelQuel est poursuivi par la justice marocaine pour "manque de respect envers le roi". Aussi pour trouver dans la presse marocaine un peu de vérité sur ces élections, il faut faire œuvre d'archéologue et avec un pinceau délicat aller chercher les perles au milieu de dizaines et de dizaines d'articles tous plus convenus les uns que les autres.

Prenez le quotidien Le Matin par exemple. Dans un article intitulé "La campagne est là et la vie continue", le journaliste est allé à la rencontre des Marocains. Premier constat pour ce confrère faussement surpris, la question qu'on lui pose le plus souvent est : "Quand est-ce qu'on vote ?" On est tout de même à une semaine du scrutin. Et puis ajoute-t-il, "mis à part quelques bureaux d'information difficilement repérables", rien n'indique l'approche d'une élection importante. Pire encore : "Les bureaux en question ont nettement moins de succès que les vendeurs de sandwichs ou de gadgets made in China." L'explication est toute simple. "Les commerçants, eux, vendent de vraies marchandises et pas des paroles en l'air." Et toc.

Il y a ceux qui répondent qu'une fois les élections terminées, il faudra attendre cinq ans pour revoir un élu, sauf peut-être à la télévision. Et puis il y a ceux qui carrément promettent de raccompagner à coup de pied dans le cul le premier candidat qui ose pointer son nez. En fait, les seuls à être ravis du déroulement de cette drôle de campagne sans véritables enjeux sont quelques jeunes comme Adil qui, pour 200 dirhams par jour (18 euros), distribuent des tracts pour un des 33 partis en lice. Lui et son copain Hamid parcourent les petites ruelles de la médina de Rabat et le parti les chouchoute : non seulement ils sont payés, mais on a mis à leur disposition un vélomoteur et on leur paie leurs repas ! En creux, ça veut aussi dire que le parti en question n'a pas assez de militants dévoués pour assurer la distribution.

Dans cette situation où les candidats sont médiocres et où la population se méfie, il semble ne pas y avoir beaucoup de place pour l'idée de démocratie. Et bien si ! L'hebdomadaire Le Journal raconte les aventures d'un empêcheur de gouverner en rond nouveau genre. En quelques semaines, un vidéaste amateur et anonyme qui s'est donné comme nom de guerre Al-Qanâs – autrement dit "Le sniper" – est devenu la coqueluche de l'Internet marocain. En fait, le sniper en question a tout simplement braqué une caméra cachée sur un barrage de police du côté de Tétouan. La vidéo de dix minutes montre deux policiers en train de racketter des automobilistes. Mais ils ne choisissent pas n'importe quelle voiture : uniquement les Mercedes 207 D immatriculées dans le coin. Parce qu'ils savent que ce sont les modèles préférés des trafiquants, principalement de cannabis. Autrement dit, ils se sont installés au milieu de la route principale pour prélever la dîme. Les automobilistes semblent si habitués qu'ils ne s'arrêtent pas mais ralentissent, le temps d'échanger avec le policier une poignée de main et un gros billet.

Mais le plus drôle, c'est lorsque les deux pandores se mettent au garde-à-vous en voyant un 4x4 banalisé : leur supérieur hiérarchique, suppose-t-on, qui vient inspecter l'efficacité du dispositif. La vidéo a évidemment été mise sur YouTube et DailyMotion, deux sites de partage de vidéos. Et elle a été visionnée par des dizaines de milliers d'internautes. "Des Qanass", écrit l'hebdomadaire. "Ils sont un paquet à avoir choisi la Toile pour exprimer leur rage avec plus ou moins de talent mais un sens de la contestation de plus en plus élaboré. L'audience et l'interactivité du Net leur procurent l'anonymat et une popularité sans pareille. Mais aussi une liberté de ton qu'aucun autre média ne peut satisfaire. Et leur impact est d'autant plus grand que les contraintes se multiplient depuis quelques années sur la presse traditionnelle. Comme la parabole avait révolutionné et démocratisé la télévision il y a une quinzaine d'années, face aux chaînes officielles, l'Internet libère aujourd'hui le citoyen de la censure."

Vous avez remarqué, dans la dernière phrase du journaliste il y a le mot citoyen. En fait, dès qu'on parle de liberté et de subversion, tout à coup, les Marocains cessent d'être des sujets de Sa Majesté Mohamed VI pour devenir des citoyens.

Anthony Bellanger
Source: Courrier international

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