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Code de la presse. La carotte et le bâton

Le nouveau Code de la presse sera adopté avant les élections de septembre 2007. Malgré ses avancées, il maintient le principe des lignes rouges et les sanctions qui vont avec.

Commençons tout de suite par la bonne nouvelle : le futur Code de la presse ne comprend plus que cinq cas de figure où le journaliste risque la prison, là où l’actuel Code, en vigueur depuis 2002, en comptait vingt-six. L’autre grande nouveauté est la mise en place, plusieurs fois annoncée tant par le souverain que par le porte-parole du gouvernement, d’un Conseil national de la presse (CNP), constitué de quinze personnalités dont le tiers choisi, hors des médias, par le roi. Ces deux grandes décisions ne sont que les saillies d’un Code de la presse toujours fidèle, dans sa philosophie, à l’esprit d’un Maroc paranoïaque, dominé par la hantise sécuritaire. Il n’en représente pas moins une avancée réelle, obtenue de haute lutte, après de longs et pénibles mois de négociations.

Younès Moujahid, secrétaire général du SNPM (Syndicat national de la presse marocaine, l’un des deux interlocuteurs du gouvernement, avec la Fédération des éditeurs), nous résume la situation de la manière suivante : “Le texte est moins liberticide que celui qui est toujours en cours. Il vaut mieux le prendre comme il est et continuer d’exprimer nos réserves, plutôt que de le refuser en bloc et continuer de régir la presse selon le Code de 2002”. Sauf surprise de dernière minute, le futur Code de la presse devra emprunter, dans l’ordre, le circuit suivant : Conseil de gouvernement, Conseil des ministres, Parlement. Il est d’ailleurs fort possible, pour ne pas dire certain, que le document atterrisse chez le gouvernement dès cette semaine. Le reste devrait également aller très vite. Le gouvernement et le roi en personne, nous assure-t-on, tiennent à ce que “le texte passe avant la fin de la législature”, c'est-à-dire sous l’actuel gouvernement Jettou. Le gouvernement et le roi tiennent aussi à ce que le texte ne passe “qu’avec l’aval de la Fédération des éditeurs et du Syndicat de la presse”, chose qui semble aujourd’hui acquise.

Des promesses, des promesses…
“Le gouvernement nous a assuré qu’il est toujours possible que le texte soit amendé quand il sera devant le Parlement”, nous a confié Younès Moujahid. Mais on le sait bien : le Parlement marocain n’est pas spécialement connu pour son avant-gardisme. Autrement dit, si amendement il y a, il risque d’aller dans le sens inverse, celui d’un retour en arrière. Le représentant des journalistes l’admet, avant de mettre un bémol : “Le gouvernement nous a aussi garanti que si les amendements du Parlement sont positifs, il les acceptera. Mais si ils sont liberticides, il y opposera son veto”. À voir…

Ce qui est sûr, c’est que jamais un Code de la presse n’a fait l’objet d’autant de remaniements, de rounds de négociations, avec autant de partenaires. En 2002, il avait été imposé par le gouvernement au Syndicat (la Fédération des éditeurs de journaux n’existait pas encore), ce qui avait donné lieu à une large campagne de protestation. Aujourd’hui, plus personne “ne veut de ça”, à commencer par le gouvernement, soucieux de renvoyer une image de consensus et de sérénité au monde extérieur. Mais il a fallu jouer au plus fin, remanier et amender plusieurs fois certains articles controversés, avant d’arriver à un résultat aussi “clean”. Il a fallu, surtout, que plusieurs cercles gouvernementaux se relaient autour de la table des négociations pour faire face aux professionnels de la presse.

Ceux qui ont directement négocié au nom de l’Etat ne sont qu’au nombre de deux : le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Nabil Benabdellah, et le premier ministre Driss Jettou. Mais, comme nous l’a expliqué ce membre de la Fédération des éditeurs, présent aux cours des multiples rounds de négociation, “personne n’est dupe, on savait bien que les ministres de l’Intérieur et de la Justice avaient mis leur main à la pâte, en plus du Cabinet royal, du secrétariat général du gouvernement, représenté par Abdessadek Rabiî, et d’une commission politique issue des partis de la majorité”.

Les négociations, qui ont connu un coup d’accélérateur depuis début 2007, se sont schématiquement déroulées de la manière suivante : l’Etat proposait, le Syndicat et la Fédération réagissaient. Chaque round correspondait pratiquement à une nouvelle version du texte. Les négociations ont emprunté une vitesse vertigineuse tout au long du mois de juin, au point que le premier ministre a été parfois obligé de recevoir les professionnels deux fois à un jour d’intervalle ! C’est dire si le Maroc officiel a mis les bouchées doubles pour faire aboutir le texte.

Touche pas à mes lignes rouges !
Le résultat, aujourd’hui, peut se décliner dans ses grandes lignes comme suit : un journaliste risque la prison (jusqu’à cinq ans) s’il “manque de respect” au roi et à la famille royale (une notion aussi vague que possible, dans laquelle on peut inclure une critique de fond sur la monarchie comme une photo “décontractée” du souverain ou de n’importe quel prince ou princesse), s’il “ébranle le moral des troupes”, s’il “porte atteinte” à la religion islamique ou à l’intégrité territoriale, etc. Les expressions entre guillemets sont aussi générales, globalisantes, que possible. Elles soumettent le journaliste au libre-arbitre de la justice. “C’est sur ces points-là que tous nos interlocuteurs ont été intransigeants, ils ont tout négocié, sauf ça. L’Etat a fait des concessions, mais pas sur ces points-là, jugeant que le Maroc n’était pas prêt”, nous a notamment expliqué un membre de la Fédération des éditeurs. Les professionnels ont, par exemple, proposé que l’expression “manquer de respect (au roi et à la famille royale)” soit changée par “porter préjudice” ou “diffamer”. Niet, le gouvernement a dit non ! Le gouvernement seulement ? Dans l’une de ses réponses aux 27 remarques et amendements proposés par la Fédération des éditeurs, le 11 juin, le gouvernement a répondu, texto : “Réflexion en cours mais difficile de convaincre d’autres partenaires”. C’est sûr, le gouvernement et ses “partenaires” ont multiplié les concessions, mais sans rien toucher sur les entraves de fond à la liberté d’expression. Tout ça pour ça…


Extraits. Les articles de la discorde

Article 66 : Allah, Al Watan, Al Malik. Est puni d’une peine d’un an à cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 100 000 à 500 000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque (…) porte atteinte au respect dû au roi et aux membres de la famille royale chérifienne. La même peine est applicable lorsqu’une publication a un contenu qui porte atteinte à la religion islamique ou à l’unité territoriale du royaume ou au régime monarchique. Le tribunal peut, sur demande du ministère public et avant dire droit sur le fond, ordonner par un jugement en référé la suspension immédiate de la publication périodique.

Article 100 : deux amendes = un séjour en prison Quiconque, condamné auparavant par jugement définitif pour un délit à une peine d’amende dans le cadre de la présente loi et qui commet le même délit dans un délai d’un an suivant sa condamnation, sera puni d’emprisonnement de 3 mois à 1 an ou d’une amende qui ne peut être inférieure au double de l’amende prononcée précédemment.

Article 104 : la prééminence d’Addakhiliya Le ministre de l’Intérieur peut ordonner, par arrêté motivé, la saisie administrative de tout numéro d’un écrit périodique qui porte atteinte à l’ordre public, notamment dans les cas prévus à l’article 66. L’arrêté est susceptible d’un recours devant le tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le siège de l’entreprise de presse propriétaire ou locataire gérant de la publication concernée par la saisie. Le tribunal est tenu de statuer sur ce recours dans un délai de 24 heures à partir de la date de son dépôt.


Avancées. Ce qui a changé (en mieux)

Réduction des articles prévoyant une peine d'emprisonnement à 5 articles (4 d'après les promoteurs du texte).
Possibilité pour le juge, dans tous les cas, de ne retenir que l'amende comme sanction et de ne pas recourir à la peine d'emprisonnement.
Suppression de la peine de prison pour les cas de diffamation, notamment à l'égard des autorités publiques.
Principe de l'application des circonstances atténuantes à tous les délits de presse prévus.
Suppression de l'arrestation et de la détention préventive des journalistes.
Implication du CCDH (Conseil consultatif des droits de l'homme) dans la réflexion menée avant l'élaboration du texte.
Implication plus importante des professionnels dans les négociations, via le Syndicat national de la presse marocaine et la Fédération des éditeurs.

Karim Boukhari
Source: TelQuel

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